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Quarante jours d’orage


CHABOT

Par les temps qui courent, le mot « crise » s’applique à tout et à tous propos. A l’aune de périodes passées, l’abus du mot crise devient presque risible. Qu’on en juge.

10 Août 1792 : suspension du Roi Louis XVI

20 Septembre 1792 : fin de l’Assemblée Législative.

Entre les deux, quarante jours, comme un déluge… de catastrophes.

 

Pour l’essentiel, la France doit résoudre alors, simultanément et urgemment, un double problème de légitimité constitutionnelle, un double problème militaire et un double problème d’ordre public. Pas moins !

 

Au plan constitutionnel, l’Assemblée Législative, élue en Septembre 1791 pour faire fonctionner la Constitution, entérine la suspension du Roi et la fin de la Constitution. Or, en dehors du souci de leur sauvegarde personnelle, les deux tiers des députés considèrent que, élus dans un cadre constitutionnel déterminé, ils ne peuvent légalement continuer de siéger. Ils quittent l’Assemblée. Le tiers restant de l’Assemblée, environ 250 députés, assume cette contradiction du viol de la Constitution au nom du salut public. L’Assemblée pâtit donc de cette illégitimité originelle, illégitimité à la fois du point de vue du nombre minoritaire de députés en séance et de celui de la violence qui les a menés à un pouvoir sans roi.

Par ailleurs, la Commune de Paris, qui s’est arrogé le mérite de la chute du Trône, et qui fait valoir ses martyrs, exerce une pression immense, à grands renforts de pétitions menaçantes, sur l’Assemblée soupçonnée de mollesse. La Commune veut frapper vite et fort et outrepasse ses pouvoirs. Quarante jours d’une intense concurrence politique débutent alors.

 

Au plan militaire, la France est envahie. La Patrie a été déclarée en danger le 11 Juillet 1792 mais les volontaires enrôlés rejoignent le front peu à peu. L’insolent Manifeste de Brunswick, connu à Paris le 3 Août ajoute à la fermentation révolutionnaire. Surtout, la trahison gangrène toute la hiérarchie militaire et administrative. Le Général en Chef La Fayette a déserté son armée le 19 Août avec une grande partie de son Etat-major. Malgré les ordres de l’Assemblée, la municipalité de Sedan lui vient en aide. Des places fortes réputées sont prises par l’ennemi autrichien et prussien. Les villes et citadelles de Longwy le 23 Août et Verdun le 2 Septembre se rendent presque sans combattre. Ces municipalités, et d’autres, trahissent et désorganisent la défense du territoire. Invasion et trahisons : tous les excès sont à craindre.

 

Car, dès la chute du Trône, on pourchasse et massacre partout dans Paris les mercenaires Suisses qui défendaient les Tuileries au 10 Août. La Commune cherche des traîtres, réquisitionne, perquisitionne, organise des visites domiciliaires, remplit les prisons. L’Assemblée, qui cherche à contrôler l’agitation, crée le 17 Août un Tribunal Extraordinaire, chargé de juger les crimes contre-révolutionnaires. Ce nouvel ordre judiciaire doit neutraliser la menace d’une anarchie sanglante que fait planer la Commune de Paris.

Le contraire se produit. Ce nouveau Tribunal , très lent à condamner, se prend à acquitter des hommes connus comme complices des contre-révolutionnaires. De plus, la conjonction de nouvelles désastreuses amène le Comité de Surveillance de la Commune à financer des commandos de sabreurs avinés pour appliquer une justice expéditive dans les prisons surpeuplées. On déplore environ mille morts, en deux jours, les 2 et 3 Septembre, dans les prisons parisiennes, la plupart sans jugement. L’Assemblée n’a pas pu ou voulu empêcher le massacre.

Moins sanglant, le vol du Trésor de la Couronne, un des plus grands cambriolages de tous les temps, le 17 Septembre, illustre l’immense désordre qui sévit alors.

L’ordre judiciaire et l’ordre public ainsi bafoués, l’Assemblée poursuit sa tâche. Et c’est là le plus étonnant de cette période plus que troublée. Pendant ces quarante jours, le « tiers maintenu » de l’Assemblée Législative organise la convocation au SUFFRAGE UNIVERSEL de la Convention Nationale, instaure le DIVORCE par consentement mutuel, ainsi que l’ETAT CIVIL LAÏC.

Au final, le « tiers maintenu » de l’Assemblée a légué à la postérité des conquêtes politiques immenses et irréversibles dans un temps où tout paraissait devoir s’effondrer. Ce legs, constitué en une durée infime au regard de l’Histoire, forme un concentré de progrès, obtenu malgré ou grâce à une Crise sans exemple.

 

Dans cette Crise, des hommes déterminés ont su faire face, malgré les dangers, les humiliations, l’illégalité de leur situation. Ils se retrouveront, pour deux cent un d’entre eux exactement, au sein de la Convention Nationale.

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