Trois Montagnes, Janvier - Mars 1794

Des Leçons un peu sévères

09-PRAIRIAL

Comme les escarmouches se poursuivent entre Ultras et Indulgents, changement notable, le Comité de Salut Public s’interpose désormais entre les deux factions. Le 27, le député Ultra Cloots est exclus de la Convention comme étranger et emprisonné le surlendemain. Le 31, aux Jacobins, quand Hébert réattaque Bourdon, Fabre, Desmoulins et Philippeaux, les “quatre endormeurs”, Collot d’Herbois se sépare spectaculairement de son ami Hébert en réclamant l’apaisement. Le 5 janvier 1794, les Jacobins stupéfaits entendent Collot d’Herbois vanter le républicanisme de Desmoulins. Collot d’Herbois demande par ailleurs l’exclusion de Philippeaux qui “discrédite les patriotes et le Comité de Salut Public”.
Mais les Indulgents vont trop loin. Le Numéro 5 du Vieux Cordelier relance les polémiques. Camille Desmoulins y attaque gentiment Barère et Collot d’Herbois, tous deux membres du Comité de Salut Public, dont la réaction est mitigée. Desmoulins parle d’une “querelle de ménage avec mes amis les patriotes”. Surtout, il dénonce la corruption d’Hébert qui touche des fonds du Ministère de la Guerre, dirigé par des Ultras.
La séance dramatique et agitée des Jacobins met les trois camps en évidence.Les ténors occupent successivement la scène. D’abord, Hébert se précipite à la tribune des Jacobins :“Justice, justice, Jacobins !”Il tient le Numéro 5 à la main et se plaint de la calomnie. Puis Desmoulins réplique :“En voilà la preuve !”, en montrant les registres de la trésorerie du Ministère de la Guerre. Là-dessus, Augustin Robespierre, qui suit la politique conciliatrice de son frère, veut que l’on se consacre à la chose publique, et maladroitement, il ajoute : “Que nous importe qu’Hébert ait volé…” Hébert suffoque :“On veut donc m’assassiner aujourd’hui.” Finalement, Robespierre, Collot d’Herbois et Danton font chorus pour mettre fin aux querelles particulières. L’influence de ces personnalités illustres va clore le débat. Hébert et les Ultras neutralisés, les Indulgents se trompent sur la nature du rapprochement entre Collot d’Herbois et Robespierre.
Le surlendemain à la Convention, convaincus que l’avenir leur appartient, les Indulgents sont très turbulents et tentent de faire aboutir un projet de réorganisation gouvernementale. Cette funeste séance est mal préparée. Danton est dans la confidence mais réprouve les attaques en direction du Comité. Quant au trublion Philippeaux, il a été tenu à l’écart. Bourdon de l’Oise, dans un discours habile et éloquent, soutient le Comité de Salut Public tout en attaquant le Ministère de la Guerre. En résultat, la Convention décrète qu’elle contrôlera désormais les fonds publics. C’est bien parti. Mais quand Bourdon réclame une nouvelle organisation ministérielle, Philippeaux, son ami Indulgent s’y oppose et demande le renvoi de la proposition au Comité de Salut Public ! Bourdon de l’Oise insiste.Excédé, Danton interrompt cette scène stérile et ridicule dont ses amis sont responsables, et fait décrèter le principe d’une réorganisation sous contrôle du Comité de Salut Public afin que la réorganisation, appliquée avec précaution, ne paralyse pas le gouvernement. Mais Danton n’a pas suffisamment pris ses distances par rapport à ses amis. Puis Philippeaux, qui revient à ses démons, dénonce une fois de plus les généraux Ultras, le Ministère de la Guerre, la conduite de la guerre en Vendée, le tout avec des exagérations manifestes.
Un député respecté, Choudieu, prend alors la parole. Choudieu, qui a été gravement blessé à deux reprises en Vendée, qui a combattu le plan désastreux de Philippeaux, combat aujourd’hui ses lubies. Choudieu conclut d’une phrase sans appel :“Si Philippeaux n’est pas fou, c’est le plus grand des imposteurs !” Merlin de Thionville, qui a pourtant soutenu le plan incriminé, abandonne et enfonce ce jour-là un Philippeaux en perdition. Tout cela fait désordre, sans aucun résultat. La séance se termine sur la remise en liberté à la demande des Indulgents, du général Westermann, destitué par le Comité cinq jours plus tôt. Ce succès est un camouflet pour le Comité. Bien que brouillons, margré leurs cafouillages, les Indulgents deviennent très puissants. Trop, aux yeux du Comité de Salut Public.
Le soir aux Jacobins, les Indulgents sont malmenés. Philippeaux ne trouve pas un seul défenseur. Desmoulins, accusé à son tour d’aider la Contre-révolution dans son “Vieux Cordelier” avoue :“Je ne sais plus où j’en suis.” Robespierre, pour le défendre, le qualifie d’enfant gâté et conclut :“Je demande que les numéros soient brûlés.” Desmoulins rétorque impulsivement :“Robespierre, brûler n’est pas répondre”. Sur quoi Robespierre éclate. Autrefois proche politiquement de Desmoulins, Robespierre, aujourd’hui, ne peut plus défendre un Desmoulins devenu irresponsable et ingrat. Danton doit intervenir :“Camille (Desmoulins) ne doit pas s’effrayer des leçons un peu sévères que l’amitié de Robespierre vient de lui faire.”

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