L'Empire, 1800 - 1814

Dans les Assemblées de Napoléon

ROGER-DUCOS

En dehors de ce groupe d’opposants, Napoléon invite les ex-conventionnels à se joindre à lui. Gare à celui qui montre alors de la mauvaise volonté. Tout concourt, la peur et l’intérêt surtout, à transformer les fondateurs de la République en ses fossoyeurs. Aussi, parmi les ex-conventionnels survivants, la proportion est considérable, de ceux qui détruisent leur propre ouvrage et qui soutiennent la dictature. Oubliant leurs scrupules et volant au secours de la victoire, de nombreux ex-conventionnels vont à la soupe. Sur les 673 survivants, 311 ex-conventionnels prêteront serment à l’Empire.
Dès ce moment, pourtant, Napoléon devrait se méfier. La loyauté de tous ces nouveaux fidèles, ralliés pour rester au sommet de la vague, risque de lui faire faux bond, si d’aventure l’étoile de Napoléon faiblissait. Fouché incarne le type de soutien que Napoléon doit attendre de ces anciens républicains apostats. Si le vent tourne, si le vaisseau tangue, si un orage s’annonce, ceux qui ont vendu leur âme à la dictature, quitteront le navire.
Dans l’immédiat, l’opération charme lancée par Bonaparte donne des résultats. En particulier, les ex-conventionnels qui ont été exclus des responsabilités pendant le Directoire, se laissent tenter. La frustration compréhensible de Barère, par exemple, la soif de revenir aux affaires, l’amènent à se laisser manipuler. L’ancien porte-parole du Comité de Salut Public écrit une lettre de ralliement au nouveau pouvoir qui est aussitôt publiée, le 10 décembre 1799, avec tapage, dans le Moniteur, nouveau Journal officiel. Mais Barère, trop compromettant pour Bonaparte dont la politique d’ouverture a des limites, n’obtient aucune récompense. Il faut dire que Bonaparte reçoit beaucoup de courrier.Le 20 février 1800, Louis XVIII lui mande de bien vouloir restaurer la Monarchie des Bourbons !
Les ex-conventionnels ralliés poursuivent essentiellement leur carrière dans les différentes assemblées, dans les administrations et dans la magistrature. L’avènement du Consulat puis de l’Empire range la souveraineté du peuple dans le magasin des accessoires politiques. Désormais, les parlementaires n’ont plus de légitimité et ils dépendent du bon vouloir du nouveau souverain : l’Empereur. Dans le personnel politique de l’Empire, en dehors des ralliés au Coup d’Etat, Napoléon conserve dans le Corps législatif des députés nuls ou insignifiants, qui n’ont montré jusqu’ici ni volonté, ni activité. Pour Bonaparte, la première qualité de l’homme politique, c’est la docilité. Entre autres, il remplit les places avec des pâles et médiocres représentants de la Convention, tels Lacrampe, Bazoche, Pémartin, Poulain, Bourgois et Villar. Le très terne Vigneron deviendra même vice-président du Sénat. Napoléon les place et les déplace comme des pions et c’est ainsi que tel Tribun passe au Corps Législatif puis au Sénat sans autre passeport que la décision impériale. Des députés plus influents se rallient par calcul politique. Les royalistes Auguis et Barailon par exemple, voient la possibilité à terme de restaurer la Monarchie. Et puis, d’autres encore, qui cultivent l’opportunisme depuis le 9 Thermidor. Eschasseriaux, Porcher, Clauzel et Richard, prêtent un serment supplémentaire et se déclarent prêts à mourir pour l’Empereur … avant de mourir pour quelqu’un ou quelque chose d’autre.
Au Sénat, la plus prestigieuse assemblée de l’Empire, la Convention a des représentants. Siéyès a choisi les trente premiers sénateurs qui ont coopté les trente autres. Puis les sénateurs ont nommé les Tribuns et les membres du Corps Législatif. Les complices du 19 Brumaire se partagent les dignités de l’Etat. Dès le 25 décembre 1799, sous la présidence de Sièyès, Vernier, Villetard, Roger-Ducos, Porcher, Creuzé-Latouche, Chasset et Dubois-Dubais appartiennent à la première sélection. Parmi eux, aucun germe de subversion. Seul, Villetard a fricoté autrefois avec les Montagnards. Puis le Sénat accueille successivement Lanjuinais en 1800, Grégoire l’année suivante, Fouché pour le dédommager de la perte de son ministère en1802. De 1804 à 1809, d’autres ex-conventionnels deviennent comme les précédents, sénateurs à vie. Boissy d’Anglas, Garnier, Cambacérès, Doulcet-Pontécoulant, Curée, Cochon-Lapparent viennent cautionner “les funérailles de la Convention”. Ils ferment les yeux en échange de sénatoreries juteuses. Parmi ces dix-sept sénateurs ex-conventionnels, seuls, Grégoire et Lanjuinais manifesteront leurs désaccords. Aucun Montagnard parmi les sénateurs.
En revanche, dans une autre assemblée de l’Empire, le Tribunat, qui est constitué de manière un peu plus libérale, la sensibilité républicaine subsiste. Aux vélléités d’indépendance, Bonaparte répond par des épurations successives puis par la réduction du nombre de ses membres, puis enfin en 1807, par la dissolution pure et simple. Parmi les vingt-deux ex-conventionnels sur les 131 membres qu’a compté la Tribunat jusqu’à sa disparition, les plus turbulents en faveur de la démocratie sont Carnot, Laloy, Chénier, Ludot, Bailleul, Bézard, Thibault, Lecointe-Puyraveau, Mathieu et Daunou. Même Isnard et Chazal protestent contre l’instauration, dès décembre 1800, de tribunaux militaires spéciaux qui sont appelés à juger, comme sous l’Inquisition, sans témoins, sans public, sans avocat, sans appel, sans procédure contradictoire. Les démocrates ne peuvent croire de bonne foi plus longtemps que Bonaparte restaurera l’ordre et la liberté. Pour s’être trompé et pour le dire trop haut, ils sont tous exclus du Tribunat entre 1802 et 1804. Les autres, Boissy d’Anglas, Chabot, Chazal, Curée, Debry, Eschassériaux aîné, Himbert-Flegny, Jard-Panvillier, Pénières, Portiez, étalent une absolue platitude, se taisent … et conservent leurs privilèges. C’est humain mais peu glorieux. Quant à Courtois, il est exclus pour tripotages excessifs.
Troisième assemblée, le Corps Législatif est pour Napoléon un “assemblage de médiocrités”. Pour le public, c’est le “Corps des trois cents muets”. De fait, le Corps Législatif est mou, impuissant et servile. Quelques anciens de la Convention comme Chabot de l’Allier, Balthazar Faure, Meyer, Gaudin, Treilhard, Casenave et Bollet en sont membres et sont, à l’image de l’assemblée, mous, impuissants et serviles. Parmi eux, pas de forte tête. Complices du coup d’état, ils trouvent là leur récompense. Cependant, le fantôme de la terrible et diabolique Convention rôde encore, et même si ses représentants sont ici anodins, Bonaparte en prend ombrage. Il craint les Conventionnels pris en groupe et le 13 mars 1802, l’épuration emporte la plupart de ces témoins et acteurs gênants d’une révolution indomptable, exclus sans autre motif, du Corps Législatif. Le premier président du Corps Législatif, Perrin des Vosges, Savary, et Bréard, par exemple, bien que complices du coup d’état, sont épurés et remerciés en 1802. Le piège s’est refermé. Le pouvoir du dictateur est suffisamment fort pour se passer d’alliés encombrants.
Bonaparte apprécie davantage, au début, le Conseil d’Etat. Ce Conseil comprend des personnalités connues à la Convention comme Defermon, Treilhard, Thibaudeau, Fourcroy et Pelet. Mais le Conseil d’Etat devient vite un laboratoire d’idées qui tourne à vide. Les conseils des Conseillers sont ignorés et les Conseillers se satisfont de leur rente de situation dépourvue de pouvoir.

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