Girondins Prestigieux , Septembre - Décembre 1792

Il n’y a pas de Constitution sans la Ratification du Peuple

LASOURCE

La Convention est suspendue dans le vide institutionnel. Dernier rempart avant le chaos, seul pouvoir légal, elle doit montrer sa force, son assurance et son unité pour rallier à elle tous les inquiets, les angoissés, tous ceux qui ont peur de ce saut dans l’inconnu. De ce point de vue, le nom de Convention est rassurant. Il se réfère à une expérience récente et prometteuse. Après avoir acquis leur indépendance en 1783, les Etats Unis d’Amérique, peuplés alors de 3 millions d’habitants dont un quart d’esclaves, traversent une période de chaos. La Confédération des Etats menaçe d’éclater. Pour mettre fin à l’anarchie, il faut une nouvelle constitution. En mai 1787, à Philadelphie, une Convention se réunit à cette fin. A huis clos, sans interférence extérieure, posément, soigneusement, calmement, en quatre mois, cette Convention-là établit un texte de compromis universellement salué comme une oeuvre de sagesse prudente et de pragmatisme habile : la Constitution fédérale. Cette Constitution, basée sur un éxécutif fort et le suffrage censitaire, organise des pouvoirs rigoureusement indépendants. Les 55 membres de la Convention de Philadelphie sont jeunes et talentueux. Deux ans plus tard, George Washington, Président de la Convention, est élu premier Président des Etats-Unis d’Amérique.

Réunie pour le même objet, la Convention française a là un bel exemple de réussite. A certains égards, la Convention peut s’identifier à sa devancière américaine. Mais les ressemblances sont trompeuses. En premier lieu, les dimensions, les données humaines, géographiques, économiques, sont sans commune mesure. Ensuite, l’assemblée française est confrontée à un ensemble de traditions multiséculaires, qui sont pour elle autant d’obstacles. Enfin, la Convention doit résoudre des problèmes autrement plus graves et urgents : menace étrangère, complots intérieurs, sécurité publique. Certes, elle doit aussi établir une constitution. Mais pour y parvenir, elle doit gouverner au jour le jour, trancher en urgence. L’envergure des responsabilités place la Convention française loin de la théorie philosophique mûrement pesée.

Conjoncture et culture française éloignent la Convention de son but. Elle s’égare sur le terrain des attaques personnelles et du débat public, qui rendent si difficile l’établissement de compromis. La Convention élargit sans cesse le champ de ses responsabilités. Les méthodes françaises aboutissent à des blocages qui ne seront dépassés que par la violence.

Pour l’heure, Paris ne songe qu’à la défense nationale. Les représentants du peuple français doivent s’arc-bouter pour sauver la patrie. De fait, la Convention ouvre sa session sous le signe de l’union sacrée et les premiers jours sont en fait l’histoire d’une magnifique occasion manquée.

Avant l’ouverture officielle, Jérôme Pétion, qui sera élu maire de Paris par 97,2 % des parisiens en octobre 1792, est élu président en son absence et à huis clos par 235 voix sur 253. Ce geste élégant et unanime montre la confiance de l’assemblée dans la personne de Pétion, confiance partagée par le peuple. Peut-être voit-on en lui le nouveau Washington ? Dans la foulée, les plus brillants girondins sont élus à ses côtés comme secrétaires : Brissot, Condorcet, Rabaut-Saint-Etienne, Lasource, Vergniaud. Seul Camus, grand archiviste national, n’est pas Girondin.

Le 21 septembre 1792, la Convention ouvre officiellement sa session à la salle du Manège en présence d’un nombreux public. Avec solennité, Pétion monte au fauteuil. Dès les premiers instants, un esprit de rigoureuse égalité s’impose. Quand Manuel propose d’entourer le “Président de la France” d’une pompe toute monarchique, et demande notamment qu’il soit logé aux Tuileries, Chabot, Tallien et toute l’assemblée s’insurgent : “Le président ? Il faut aller le chercher au 5ème étage, c’est là que loge la vertu.” Un ton si tranchant est peu propice au compromis à l’américaine.

L’assemblée prête ensuite le serment d’établir une Constitution basée sur la liberté et l’égalité. Aussitôt elle décrète la nécessaire ratification du peuple. “La Convention Nationale déclare qu’il n’y a pas de constitution sans la ratification du peuple en personne”. Par son premier décret, la Convention invente le referendum. Des députés de tous horizons ou presque, participent au débat, d’une manière positive. Danton, rassurant, fait proclamer la protection dûe aux propriétaires. Condorcet est élu vice-président. Monge, ministre de la Marine prononce le premier le mot de République. Après un débat sur les pétitions, l’abolition de la Royauté est votée, officiellement à l’unanimité. Première journée encourageante.

Le 22, après un apport de tous dans la discussion, notamment de Danton, l’accès aux fonctions de magistrats est ouvert à tous les citoyens, par élection. Le renouvellement de tous les tribunaux et de toutes les administrations est décrèté. Par ailleurs, la République est proclamée. Deuxième journée bien remplie !

Hélas ! L’union sacrée ne résiste pas à la nouvelle de la victoire de Valmy qui parvient à la Convention le 22 septembre au soir. Le spectre de l’invasion s’éloignant, le ressort se détend et la Convention se lance dans une spirale néfaste de division et de méfiance. Le fantôme des massacres de septembre reparaît. Le 23, audition des ministres. Roland, Ministre girondin de l’Intérieur, réclame un pouvoir éxécutif fort pour empêcher les troubles. Le lendemain, dans son journal, le chef Girondin Brissot attaque, quoiqu’encore vaguement, les désorganisateurs de la société et les flagorneurs du peuple. A l’assemblée, ses amis Buzot et Kersaint réclament des échafauds pour les assassins et provocateurs au meurtre. Ils obtiennent le principe d’une garde départementale pour protéger la Convention à Paris.

Le 25 septembre enfin, c’est la première d’une série infinie d’attaques personnelles. Les Girondins Barbaroux et Rebecqui attaquent nommément Robespierre et l’accusent d’aspirer à la dictature. Ils font état d’une déclaration d’un député de Paris, Panis, déclaration qui est niée par l’interessé. Robespierre répond tellement longuement qu’il est interrompu par des députés de droite, de gauche et du centre. De sa place, Osselin lui demande de se taire et réclame sa conclusion en criant. Vergniaud, lui aussi, attaque Robespierre : jusqu’aux massacres des prisons qui a eu lieu au début du mois, il l’a estimé. Sous-entendu, depuis, il n’est plus que le complice des massacreurs.

Et la querelle s’envenime. Buzot attaque en masse les députés de Paris. Lasource demande que Paris soit réduit à un quatre-ving-troisième d’influence. Danton, impliqué, essaie de calmer les esprits. Marat, mis en cause lui aussi, objet de scandales et personnage infréquentable, se défend crânement à la tribune. Il tire un pistolet de sa chemise et finit par menacer de se suicider sur place si l’assemblée le décrète d’accusation. Finalement, l’assemblée passe à l’ordre du jour et décrète à la demande de Danton l’Unité et l’Indivisibilité de la République.

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