Restaurations, 1814 - 1815

Régicides sans Exil

DESMOUNLINS

En fait, début 1816, il reste 479 survivants de la Convention. Parmi eux, 239 sont régicides à un titre ou un autre. Tous voudraient rester. Au total, 173 d’entre eux doivent s’expatrier.
Soixante six régicides parviennent à rester par l’effet de la mansuétude ou de l’impuissance du Monarque Très Chrétien. Qui sont-ils ? Quelques conventionnels, qui ont voté la mort de Louis XVI, restent en France sous le règne de son frère, parce qu’ils ont eu la bonne idée de ne pas signer l’Acte Additionnel aux Cent-Jours. Amar, Francastel, Froger-Plisson, François-Marie Moreau, peuvent se considérer comme chanceux, même si les administrations locales cherchent à se mettre en valeur à leurs dépens. Azéma nargue la police de Louis XVIII. Il se promène avec un chapeau tricolore et claironne : “Ces couleurs reviendront !” Azéma reçoit des menaces de mort et quitte Paris par crainte de la Terreur Blanche. Robert Lindet, l’un des géants du Comité de Salut Public, et son frère Thomas, restent, bien que soupçonnés d’agitation républicaine. Les Bourbons ont tout tenté pour expulser celui qui fut chargé d’énoncer les crimes de Louis XVI, et qui rendit ainsi le procès inévitable. Jean-Baptiste Lacoste, fameux représentant en mission, a été nommé prefet aux Cents-Jours.Contre son gré, dit-il. Dans le doute, et avec l’aide d’amis hauts placés, il obtient un sursis.
Car les amis et les services rendus se paient cher à cette heure où les Régicides sont des animaux traqués. Barras a probablement su monnayer ses services passés. En 1799, il avait reçu des Lettres Patentes de la part de Louis XVIII qui l’autorisait à prendre toutes les mesures pour restaurer la Monarchie. Il a joué un double jeu qui est payant en 1815. Richard également a su mettre en avant les services rendus aux émigrés en 1794. Le royaliste Peyre a comploté contre la République et il peut rester. Isnard s’est distingué comme complice des massacreurs pendant la Terreur Blanche et s’est renié depuis longtemps. Les services de police cherchent noise à un autre royaliste, Réal, bien qu’il n’ait pas signé l’Acte Additionnel. Réal profite de la mansuétude royale.
Avec le fameux Merlin de Thionville, on rentre dans la série des démarches indécentes et déshonorantes pour leur auteur. Tout d’abord, Merlin n’est pas concerné puisque, étant en mission, il n’a pas formellement voté, et de plus, il n’a pas signé l’Acte Additionnel. Il se croit néanmoins obligé d’écrire au Roi, de se renier et d’implorer son pardon, ce qui révèle l’état d’inquiétude dans lequel se trouvait nombre de ses collègues. “J’avais vingt-sept ans alors, j’en ai plus de cinquante aujourd’hui et mes opinions sont bien changées. Je m’en rapporte à la clémence de sa Majesté et à sa justice.” Démarche osée et sans effet ! Merlin ne gagne que le mépris royal. L’ancien maratiste Milhaud, devenu général Comte d’Empire, n’a pas peur d’écrire au Roi qu’il “brûle de prouver au Roi, au prix de tout son sang, son amour inviolable et son dévouement éternel.” C’est la même lettre qu’il a déjà adressée au Roi un an plus tôt lors de la Première restauration ! De puissantes influences lui évitent finalement l’exil. Motif officiel : maladie. Chateauneuf-Randon n’a pas honte d’exprimer sa joie de “voir l’heureux avènement d’un prince, dont la légitime dynastie règne enfin à jamais sur la France.” Il évite l’exil, non pas grâce à cet acte d’allégeance douteux, mais parce qu’il est en prison pour dettes depuis 1812. Il n’a rien signé et est libéré en 1817.
Une autre catégorie de régicides évite l’exil avec panache. Ce sont les clandestins. Drouet s’installe comme patissier sous un nom d’emprunt à Mâcon. Il gagne la confiance d’un Ultra-royaliste, qui découvrira, stupéfait, à la mort de son ami huit ans plus tard, qu’il s’agissait du fameux Drouet, l’homme qui arrêta Louis XVI à Varenne, jadis. Lecarpentier veut s’installer à Guernesey mais le Gouvernement Anglais l’oblige à se rembarquer. De mars 1816 à novembre 1819, malgré les primes offertes pour son arrestation, il échappe à toutes les recherches dans le département de la Manche. Le 13 mars 1820, il est condamné à perpétuité par la Cour d’Assises de la Manche. Il meurt au Mont Saint Michel après neuf ans de cachot.
Les clandestins sont plus en sécurité dans l’immensité de la capitale. Ricord survit à Paris avec l’aide d’un autre montagnard qui, lui, a eu le droit de rester, Julien de la Drôme. Besson se cache, probablement dans le sous-sol de sa maison, pendant dix ans. Panis, caché à Paris, se permet d’écrire au Ministre de la Police pour se plaindre des recherches qui l’importunent. Maignet, grâce à sa popularité dans la région d’Ambert, parvient à échapper à toutes les recherches et à vivre quinze ans dans la clandestinité. Lui seul parmi les clandestins aura la joie de réapparaître au grand jour en 1830.
L’infirmité permet de surseoir à l’exil. Quatorze régicides signataires obtiennent de rester pour motif médical. Ils devaient être vraiment malades car les simulateurs n’ont pas convaincu la police. Bernard de Saintes aurait simulé la folie, sans succès. D’autres qui ont de réels problèmes de santé doivent partir. Desgrouas, aveugle et infirme, est emprisonné le 18 février 1816 parce qu’il n’a pas respecté le délai d’un mois. Or, il n’a pas signé l’Acte Additionnel et, de plus, son état de santé est désespéré. Il meurt en prison deux mois plus tard.
En revanche, l’illustre Tallien, borgne, atteint de la lèpre éléphantiasis, fait valoir son action au profit des Bourbons au début de 1795 et peut rester. Il obtient même une pension pour son action au Neuf Thermidor. Enfin, il écrit au préfet de police de Paris :“Je puis garantir que la réserve et la sagesse de ma conduite ont déjà justifié l’inépuisable bonté de Sa Majesté et que je m’en rendrai de plus en plus digne.” Projean, paralysé, obtient de rester. Vallée, condamné à l’exil sans motif valable, peut finalement rester à cause de son hydro-sarcocèle (sic).
Taveau, presque aveugle, après un an de démêlés avec la police, est expulsé. Monestier est aveugle. Il reste. Monestier a plus de “chance” que Montégut qui est atteint de cécité trop tard : il est déjà en exil et le retour lui est interdit. Vinet obtient de rester en détention à l’hôpital. Il est libéré en 1819 en échange de la rétractation de son vote. Châles est handicapé, suite à la blessure qu’il a reçue à l’Armée du Nord en 1793. De plus, il fait amende honorable et obtient de rester. Sallengros, qui est atteint d’aliénation mentale, reste en France plus ou moins caché. Quand le sursis officiel lui parvient, il est déjà mort. Même situation pour Allafort qui meurt trois jours avant d’obtenir le sursis définitif au bannissement.
Pendant ce temps, les 240 non-votants restent séparés. Eux peuvent s’affranchir de la fidélité à leur passé. Quelques uns continuent leur carrière, dans une ambiance franchement hostile, même s’ils ont renié la Convention depuis longtemps. Les plus intéressants sont actifs dans les Chambres, où ils poursuivent le combat libéral comme Boissy d’Anglas, Lanjuinais, Pilastre, Daunou, Vernier et Eschasseriaux jeune.
Quelques autres, sans se renier, cherchent la paix et l’oubli. Ils se consacrent aux plaisirs domestiques.La plupart, en butte à toutes sortes de tracasseries, cherchent un refuge ou une place. Les rapports de police les suivent de près. Jean-Jacques Serres a de plus eu la faiblesse d’applaudir au retour de Napoléon. La Restauration lui refuse un secours et il meurt de misère dans l’indifférence.
La Restauration a peu de prise sur la petite poignée de farouches républicains non-votants. Pierre Guyomar est un amoureux de la liberté. Il a lutté fièrement contre la Montagne et contre Bonaparte. En 1796, il a publié une brochure “pour la célébration de la juste punition du dernier roi des Français.” Guyomar, non-régicide, exaspère la Restauration, qui ne peut pas l’empêcher de rester Maire de Guingamp. Autre tempérament, ancien Girondin emprisonné par les Montagnards, l’avocat Dugué d’Assé est apostrophé au milieu de sa plaidoirie enflammée par le Président du Tribunal : “Maître Dugué, nous ne sommes pas ici à la Convention !” A quoi Dugué, au prix de sa carrière, n’a pas peur de répondre : “Je le crois foutre bien, sinon, il y a longtemps que tu serais dans le trou !”
Une marque d’infâmie s’attache collectivement à la Convention qui, il est vrai, a proclamé la République à l’unanimité. Ainsi, la masse des non-votants, à cause de leur passé de conventionnels, est souvent plus royaliste que le Roi. Le Baron Zangiacomi poursuit sa carrière de magistrat etse rend célèbre en s’opposant à la révision du fameux procès Lesurque. C’est l’Affaire du Courrier de Lyon dans laquelle un innocent eut la tête coupée à cause d’une ressemblance avec un chef de bande. La Convention lègue à la Restauration des réactionnaires effrenés comme Pelet, Jard-Panvilliers et Doulcet-Pontécoulant. Comtes d’Empire, ils appartiennent sans interruption à la Chambre des pairs sous Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe. Pour eux, la philosophie a révélé ses dangers et l’ordre est d’autant plus solide que l’ignorance est répandue. Ils défendent l’aristocratie et les prérogatives royales, telles qu’elles existaient sous Louis XIV, avant Montesquieu et Voltaire, Diderot et Rousseau.
Interrogés sur leur passé de conventionnel, ceux-là répondraient probablement : “La Convention ? Connais pas !”.

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