Trois Montagnes, Janvier - Mars 1794

Les Monstres… Ils voudraient briser les Echafauds !

SAINT-MARTIN-VALOGNE

Le même jour, le Comité de Salut Public trouve un nouveau porte-parole. Saint-Just, de retour de mission à l’Armée du Rhin, est élu président de la Convention. Son arrivée change les données du problème. Politiquement, Saint-Just place en priorité l’unité du gouvernement et de la Convention. Pour Saint-Just, la marche du gouvernement ne doit plus être continuellement entravée. Il faut donc mettre un terme aux péripéties des dernières semaines. A peine arrivé, il entraîne Robespierre sur une ligne plus ferme vis-à-vis des factions. Il rapproche encore Robespierre de Billaud-Varenne, rapprochement en définitive fatal à Danton, que Saint-Just méprise. (Saint-Just déteste aussi l’esprit de Desmoulins.)
Et le Comité de Salut Public décide de neutraliser les factions, en offrant des concessions d’ordre politique. Pour rallier tout le monde autour de lui et permettre d’éviter l’affrontement, le 26 février, Saint-Just, pour les deux Comités, présente un rapport extrêmement ambitieux socialement et habile politiquement. Ce rapport donne lieu au premier décret de Ventôse. Après avoir critiqué les tendances contre-révolutionnaires des factions, il cherche à les satisfaire toutes les deux. Selon l’Article Ier, le Comité de Sûreté Générale doit opérer un tri entre les suspects présumés innocents et les présumés coupables. Selon l’Article 2, les biens des présumés coupables sont séquestrés.
La distribution des biens des présumés coupables convient aux Ultras. La libération des présumés innocents convient aux Indulgents. Enfin, le décret rassure le Comité de Sûreté Générale, renforcé dans ses pouvoirs. Afin d’éloigner des Ultras, Danton obtient encore l’épuration des Comités Révolutionnaires, instruments des Ultras, sous le contrôle du Comité. Le Décret est voté sous les acclamations et le soir aux Jacobins, Collot d’Herbois, prolonge le discours de Saint-Just en réclamant l’union avec les Cordeliers. Cette plateforme de compromis devait satisfaire les factions.
Mais les Ultras, qui ne désarment pas dénoncent encore les “quatre endormeurs” comme “traîtres à la patrie et indignes de sièger à la Montagne”. La tentative de conciliation du Comité échoue. Le 2 mars, Ronsin proclame aux Cordeliers la nécessité d’une insurrection alors qu’un dirigeant Ultra est arrêté sur ordre du Comité de Sûreté Générale. Ce Comité, passé si brusquement du côté des adversaires des Ultras, aurait dû les inciter à la prudence. Mais en réponse, le Club des Cordeliers voile la Déclaration des Droits de l’Homme. Cela revient à accuser le pouvoir de tyrannie. Or le Gouvernement Révolutionnaire tient à ce que sa légitimité ne soit pas contestée.
Le lendemain, le Comité tente un nouvel effort de conciliation. Saint-Just fait décrèter l’établissement de listes de malheureux devant bénéficier de la distribution des terres. Danton le soutient avec zèle. Mais sa proposition de distribuer des terres aux mutilés de guerre tourne le projet en ridicule. Saint-Just et le Comité apprécient peu cet appui empoisonné. Et les Ultras, enivrés par leurs illusions, sont insensibles au fond du projet. Le point de non-retour est atteint le 4 mars 1794. L’ambition personnelle de quelques chefs entraîne les Cordeliers au désastre. Ronsin, Momoro et Vincent réclament une insurrection et toute la Terreur. Carrier attaque les Indulgents, d’une phrase qui serait comique si elle n’était pas atroce :“Les monstres…Ils voudraient briser les échafauds !” Carrier demande “une insurrection, une sainte insurrection !”. Hébert, exalté, attaque les Indulgents, les 73, Carnot, Amar, du Comité de Sûreté Générale et il traite Robespierre, sans le nommer, “d’homme égaré”. Cela fait beaucoup d’adversaires en peu de temps.
De plus, de l’idée d’insurrection, les Ultras tentent de passer à l’acte. Quelques sections seulement s’agitent à leur appel.Le surlendemain, les Ultras appellent la Commune de Paris à une manifestation populaire. Le Procureur Chaumette et le Maire Pache les abandonnent. Malgré les problèmes de ravitaillement, Paris ne bougera pas. Les Ultras, qui ont été trop loin, sont maintenant sur le fil du rasoir. Leur ami Collot d’Herbois obtient un peu de patience de la part du Comité. Le 6 aux Jacobins, il veut encore concilier l’inconciliable. Les Ultras présents, dont Carrier, se rétractent. Le 7, Collot d’Herbois obtient des Cordeliers, notamment d’Hébert, la promesse de fidélité au Comité. Mais le 8, Vincent dénonce encore la faction des “endormeurs”. C’est la goutte d’eau. Collot d’Herbois ne peut plus empêcher le vase de déborder.
Le 13 mars, Saint-Just dénonce les factions et leurs ambitions :“Vous périrez, vous qui courez à la fortune et qui cherchez un bonheur à part de celui du peuple !” Dans la nuit, l’accusateur public fait arrêter lesUltras comme des “agents de l’étranger”, à juger prochainement. Dans Paris, beaucoup de sans-culottes sont incrédules. La popularité des personnalités arrêtées, Hébert, Vincent, Ronsin, Momoro, provoque des remous. Le Comité est contraint de justifier les arrestations aux Jacobins. Quatre membres du Comité de Salut Public, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Couthon et Robespierre en personne, obtiennent enfin dans la soirée du 14 le serment de fidélité des Jacobins. Les manifestations de mauvaise humeur persistent pourtant plusieurs jours dans Paris. Les chefs Cordeliers épargnés, courageux et inconscients, critiquent l’oppression, se permettent de réclamer le rapport du Comité sur l’arrestation de leur chefs et sont arrêtés à leur tour. Les Cordeliers se taisent enfin.

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