Maigre consolation, car la création du Tribunal Révolutionnaire est d’une autre dimension. Les Girondins s’y sont opposés, puis résignés. Pour eux, cette institution monstrueuse, conçue comme provisoire, s’empare abusivement d’une parcelle de pouvoir. Ils pressentent des dérives dangereuses. Déjà, le Tribunal juge sans appel, ses jurés se prononcent à haute voix et il a failli ne pas avoir de jurés du tout !
Mais les Girondins peuvent encore le façonner à leur manière, regagner leur popularité, satisfaire les volontaires qui réclament des mesures énergiques avant de partir à la frontière, qui réclament des garanties, notamment sur le recrutement et l’indépendance des juges et des jurés. De plus, sous la pression de l’insurrection montante, les Girondins peuvent désigner une deuxième cible et ajouter à la lutte contre les complots aristocratiques, la lutte contre les désorganisateurs, les anarchistes, les affameurs ou les assassins, bref les ultra-révolutionnaires. Ils laissent passer cette nouvelle occasion et ne vont récolter que des sourires attristés.
Dans Paris, les alliés des Montagnards, la Commune avec Chaumette et Hébert, l’Hôtel de Ville avec le maire Pache (devenu pro-montagnard) et la Garde Nationale avec son commandant Santerre, parviennent à calmer le jeu et à dissiper les attroupements.
Le lendemain, Danton demande une concentration des pouvoirs. Le Girondin Larévéllière-Lépeaux, qui montre alors une étonnante lucidité, donne l’impression de connaître l’avenir. “Faites attention…si votre choix tombe aujourd’hui sur quelques hommes d’une grande ambition et d’une grande audace, demain peut-être, la Convention est dissoute et ces hommes revêtus tout à la fois de la puissance législative et de la puissance éxécutrice, exercent alors nécéssairement la plus formidable dictature, surtout ayant à leurs ordres ce terrible tribunal que vous venez de créer…”
Buzot et Guadet, absents la veille, remettent en cause les décrets du 10 et entreprennent un combat d’arrière-garde. Quelle assemblée accepterait de revenir sur un décret parce que certains de ses membres se sont absentés ? Ce serait dire à la fois que les présents sont inutiles et les absents indispensables. Ils étalent donc leur incohérence, leur acrimonie et leur inefficacité.L’immense lassitude de l’assemblée leur répond. On sent que les députés attendent, vaguement méprisants et moqueurs, de pouvoir passer à des questions plus sérieuses. Aussi, on comprend qu’excédé, le Montagnard Duhem les traite de conspirateurs, non sans provoquer un bruyant tumulte.
Le surlendemain, les Girondins terminent avec une dernière erreur ces journées tendues. Vergniaud attaque les sections qui ont réclamé la mutilation de la Convention. Là-dessus, une adresse de la société populaire de Marseille demande l’expulsion des appelants. Babey et Barbaroux demandent la convocation des assemblées primaires, c’est-à-dire le remplacement de la Convention. C’est une rengaine déjà repoussée par l’assemblée le 16 février.D’ailleurs, Guadet et Lasource s’opposent à leurs amis.
Pendant ce temps, les Montagnards règlent leurs comptes à l’extérieur après avoir conforté leur position dans la Convention. Robespierre, Marat et Billaud-Varenne épurent le Club des Jacobins des “désorganisateurs” et obtiennent l’arrestation de l’un des chefs de l’agitation. Les Montagnards tirent le bénéfice d’avoir rétabli l’ordre. Dans toutes ces péripéties, les Montagnards n’ont presque pas à lutter. Les Girondins se discréditent eux-mêmes.