Le 13 juillet, le sang de Marat, le provocateur visionnaire, colore l’eau de sa baignoire. Pour la Convention, c’est le point de non retour. Pour les Girondins, contrairement aux apparences, c’est une perte irréparable.D’abord, la mort de Marat donne aux Montagnards l’argument de la légitime défense.Un autre député Montagnard, Lepeletier de Saint Fargeau, avait été tué par un garde du corps du frère de Louis XVI et Louis XVI avait été guillotiné le lendemain. Aujourd’hui, en faisant tuer Marat, les Girondins provoquent la vengeance des Montagnards. Ensuite, Marat est un défenseur du peuple tué par des traîtres ou leur instrument. C’est le mal qui triomphe du bien. De nos jours, on vante l’héroïsme de Charlotte Corday. En 1793, elle est un monstre et Marat un saint martyr. Enfin, Marat parle beaucoup de sang mais en fait peu couler. Plusieurs fois, il a montré un réel sens politique en calmant les Ultras et les sans-culottes exaltés. Marat a protégé des députés Girondins que les Montagnards voulaient comprendre dans le décret d’arrestation du 2 juin, Jean-François Ducos et Boyer-Fonfrède, par exemple.
Le résultat immédiat de ce crime est de pousser la Convention à l’intransigeance. La pitié est proscrite. Quand les soeurs du député Léonard Bourdon demandent la grâce de neuf Orléanais, accusés d’avoir tenté d’assassiner leur frère, elles ne sont même pas reçues dans l’enceinte. Le 14 juillet, Chabot dénonce encore l’évêque Fauchet, un des vainqueurs de la Bastille. Guyomar veut intervenir en sa faveur mais le Montagnard Laloy lui impose silence. La Gironde est désormais sans voix. Cette fois, la dénonciation est accueillie sans opposition : Fauchet et Lauze-Deperret sont décrètés d’accusation comme complices de Charlotte Corday. Et pour couronner cet anniversaire de la prise de la Bastille, toute la municipalité de Lyon est mise hors-la-loi .
C’est fini. Toute la République est en feu. A la guerre étrangère depuis avril 1792, aux forces de la coalition de toute l’Europe depuis mars 1793, à la trahison de nombreux généraux, à une terrible guerre civile en Vendée, les Girondins ajoutent le soulèvement fédéraliste des départements, nouvelle guerre civile. Ils n’ont pas su se mettre “en réserve de la République”. Après le 2 Juin 1793, la désunion entre les Girondins devient dramatique, pour eux-mêmes, mais aussi pour la Convention et pour la République. Dans l’immédiat, face à la tragédie, nulle unité d’action. Beaucoup s’enfuient, complotent et appellent les départements à la révolte. Parmi eux, les Royalistes dévoilent leur vraie nature. Ces Girondins-là peuvent se reprocher d’avoir enterré la République. Les auteurs de ces actes criminels, de ces proclamations incendiaires, provoquent l’avènement d’un pouvoir dictatorial. Ils ne peuvent pas ignorer qu’ils entraînent la République dans un déchaînement de violence incontrôlable. Leur comportement d’émigré va donner naissance à la Terreur. Alors que les Vendéens massacrent les bourgeois républicains, que toutes les frontières sont forcées, que des généraux sont prêts à trahir, les Girondins évadés appellent aux armes la France entière contre son assemblée représentative.Soulever cinquante à soixante départements contre la République Une et Indivisible, c’est, aux yeux des Montagnards, une preuve absolue de complicité avec les royalistes et tous les ennemis de la République.
Les premières victimes de cette irresponsabilité seront leurs amis restés à leur poste, à la Convention. Certains sont paralysés. Les autres sont peu à peu réduits au silence.La guerre civile organisée par leurs amis fugitifs tourne au profit des Royalistes. Cette compromission explique plus encore leur discrétion que la censure exercée par les Montagnards. Ainsi, le 22 juillet, on apprend le supplice à Lyon d’une personnalité de premier plan, le chef Montagnard local, Chalier. Les royalistes locaux ont supplanté les Girondins à la tête de la révolte du Rhône-et-Loire. Le 28 juillet, Billaud-Varenne présente un rapport violent. Le rapport de Saint-Just du 8 juillet passe déjà pour une demi-mesure. Une vingtaine de députés sont mis hors-la-loi.
Les Girondins qui siègent encore et qui n’ont rien à se reprocher, sont pourtant dans une position extrêmement délicate. La suite prouvera qu’elle est même intenable. Difficile en effet de ne pas désavouer leurs amis tout en prouvant leur patriotisme. Plus la situation s’aggrave et moins ils peuvent intervenir, moins ils sont fréquentables. Au mieux, on ignore leur demande, au pire, on les accuse de complicité, dans tous les cas, on suspecte leurs arrière-pensées. La Convention aurait voulu laisser les Girondins à leur destin, sur le bord de sa route. D’ailleurs, la Droite girondine est presque muette. Mais quelques agitations désordonnées subsistent encore. Les Royalistes Devars et Ferrand attaquent le décret du Maximum le 3 septembre, le Girondin Lecointe-Puyraveau s’oppose à Collot d’Herbois le 18 septembre 1793, surtout le Royaliste Pelet et le Girondin Génissieu soutiennent l’attaque contre le Comité de Salut Public le 25 septembre. Ces quelques interventions donnent un résultat opposé à leurs objectifs.
Les Montagnards s’irritent de voir que leur politique, qui rencontre déjà infiniment d’obstacles par ailleurs, pourrait encore être mise en cause dans l’assemblée. La décision est prise alors de précipiter le procès des Girondins détenus et d’éliminer la menace parlementaire. Le 3 octobre 1793, le plus terrible, le plus impolitique, le plus injuste et le plus inhumain des décrets est rendu contre les Girondins. Terrible parce qu’il concerne au total plus de cent députés. Impolitique parce que Saint-Just avait défini ce qu’il convenait de faire vis-à-vis des députés en désaccord avec les Montagnards : “pardonner au plus grand nombre”, châtier les traîtres et libérer les autres. Injuste parce que la plupart des députés traduits au Tribunal ne sont pas coupables : ils n’ont pas fui et n’ont pas pris les armes contre la République. Or ils sont accusés des mêmes crimes que les députés déjà mis hors-la-loi. Inhumain parce que des députés sont arrêtés sur-le-champ, dans la salle même des séances, et que la liste de proscription est allongée par improvisation à la demande de tel ou tel député exalté.
Ce jour-là, en effet, Amar présente le rapport au nom du Comité de Sûreté Générale. Amar commence par faire fermer la salle, puis après une série d’accusations douteuses, il cite une première liste de 41 députés décrètés d’accusation, une seconde liste des 21 députés fugitifs hors la-loi, une troisième liste de 75 députés décrètés d’arrestation ! Dans la confusion, quelques noms sont cités deux fois.
Le grand Boyer-Fonfrède, décrèté d’accusation, veut parler à la tribune.Albitte et d’autres Montagnards lui crient :“Tu parleras au Tribunal Révolutionnaire !”. Comme le 7 octobre, leur ami Gorsas, député hors-la-loi arrêté est guillotiné, Boyer-Fonfrède et ses amis peuvent méditer à la Conciergerie sur la clémence à attendre du Tribunal.
Qu’advint-il des Girondins en tant que force parlementaire ? Parmi eux, les plus sincères républicains sont éxécutés. Les divisions perdurent jusqu’à la mise en accusation. A leur procès, de manière symptomatique, comme s’ils voulaient donner raison à leurs bourreaux, incapables encore de s’unir, ils s’accusent même mutuellement ! D’autres Girondins, mis hors-la-loi, se terrent, craignent le moindre bruit et restent sur le qui-vive pendant quinze mois. Rappelés à la Convention, ils reviendront avec plus de haines que de convictions. Ceux qui sont arrêtés et qui croient pendant un an que chaque jour est le dernier, sont dans le même état d’esprit. A quelques exceptions près, leur foi révolutionnaire n’a pas résisté aux terribles épreuves. Ceux qui l’ont conservée n’en ont que plus de mérite. Hommage donc à Louvet, Larévéllière, Bertrand-Lhodisnière, Daunou, et quelques autres, par qui survivra le brillant esprit de la Gironde. Parmi ceux qui restent à la Convention et qui échappent au procès, certains conservent aussi de fermes convictions républicaines, tels Lanthenas, Guyomar, Lecointe-Puyraveau et Génissieu. Ceux-là, déjà hors de l’Histoire, ont le privilège d’assister en témoins muets à la lutte acharnée et titanesque menée par des Montagnards inflexibles et résolus.
Tu parleras au Tribunal Révolutionnaire
SAINT-JUST