Experience

Age

SAINT-JUST

Un des traits les plus marquants des personnages de la Révolution est leur jeunesse. On connaît une multitude de généraux républicains âgés de moins de trente ans. Au député Aubry qui refusait de lui donner un commandement à cause de sa jeunesse, Bonaparte a pu répondre : »On vieillit vite sur les champs de bataille. » La même particularité s’attache aux députés, fonction qui exige pourtant a priori des qualités de maturité, de réflexion et d’expérience supérieures. Cependant, leur jeunesse reste dans la norme. Pour attirer l’attention, il faut, comme le fils du député Jullien, être agent diplomatique à l’âge de dix-sept ans !
Les quatre plus jeunes élus ont vingt cinq ans, l’âge minimum légal. Ce sont Gamon, Saint-Just, Barbaroux et Tallien, soit quatre personnages connus ou illustres. Mais si certains jeunes, considérant qu’ils ont tout à gagner et rien à perdre, se mettent en première ligne, d’autres restent en retrait.Si bien que l’immense activité de la Convention pèse uniformément sur toutes les tranches d’âge. Toutefois, les contemporains ont cru voir dans la jeunesse une des raisons des excès de la Convention. En 1795, ils élèveront l’âge légal d’éligibilité, à trente ans pour le Conseil des Cinq Cents, à quarante ans pour le Conseil des Anciens.
La Convention compte à son début 66 députés de trente ans ou moins, soit 9% du total. Parmi les députés, les grands-pères sont aussi rares qu’ils sont la norme de nos jours. Le député moyen naît en 1751. Il est élu à l’âge de 41 ans et meurt en 1816, à l’âge de 66 ans. De nos jours, les députés de trente ans sont rarissimes et l’âge moyen des députés est de 51 ans.
En matière d’espérance de vie, le cas des Conventionnels est curieux. En moyenne, en 1792, les Conventionnels ont 24 ans à vivre. Trois ans plus tard, fin 1795, ils ont 25 ans devant eux ! (Voir graphique) Au lieu de vieillir de trois ans, ils rajeunissent pendant la session ! A mesure que les uns meurent pendant cette période, l’avenir des survivants s’allonge.
Douze députés sont morts à trente ans ou moins, soixante sept à quarante ans ou moins. Les six plus jeunes, morts à vingt sept ou vingt huit ans, aux trajectoires météoriques, sont Jean-François Ducos, Duchastel, Barbaroux, Valady, Boyer-Fonfrède et Saint-Just, cinq Girondins et un Montagnard. Tous ont été guillotinés, Barbaroux à l’état de cadavre. Les deux derniers, Saint-Just et Boyer-Fonfrède ont eu le temps d’être élus à la Présidence de la Convention, la plus haute magistrature de la République à l’époque.
En courbant un peu l’échine, avec un peu de souplesse, ils auraient pu occuper la scène et s’illustrer pendant une bonne moitié du dix neuvième siècle. Avec un minimum de concessions, ils pouvaient fonder et protéger leur république comme Washington, Adams, Hamilton et Jefferson ont pu longtemps protéger la leur. S’ils avaient vécu, on aurait d’ailleurs d’eux une image plus rassurante.Ils nous paraîtraient plus proches, sans perruques poudrées, ni bas de soie. Car, si le mode de vie de la fin du dix-huit siècle est le prolongement du moyen âge, le milieu du dix neuvième siècle annonce au contraire les grandes transformations des sociétés industrielles. Difficile d’imaginer Saint-Just, devenu vieillard chenu à cheveux blancs, photographiant un chemin de fer sous Napoléon III ! Pourtant, certains de ses collègues, plus âgés que lui ont eu cette possibilité. Doulcet-Pontécoulant, Thibaudeau, Fockedey et Louis-Philippe Dumont, les quatre derniers survivants de la Convention sont morts sous Napoléon III, à l’âge moyen de 90 ans.
Le député le plus âgé à son arrivée à la Convention est un suppléant, Lonqueue. Il arrive en août 1793 pour remplacer Pétion mis hors-la-loi. Nullement impressionné, le pétulant vieillard s’assied parmi les Montagnards et offre à la Convention un « Discours contre les religions ». Il a soixante quinze ans, bel âge pour l’époque.
Beaucoup d’autres montrent une solidité impressionnante à travers les épreuves. La longévité des Conventionnels renvoie nécessairement à leur force de caractère. On ne peut s’empêcher de penser que les 164 octogénaires, dont 29 nonagénaires, ont voulu survivre le plus longtemps possible, dans des conditions matérielles souvent difficiles, afin de prouver à la face du monde dubitatif que la Convention exista bel et bien.
Vadier, terrible chef du Comité de Sûreté générale, exilé à Bruxelles sous la Restauration, s’exprime en dur à cuire : »J’ai quatre vingt douze ans. La force de mes opinions prolonge mes jours. Il n’y pas dans ma vie un seul acte que je me reproche, si ce n’est d’avoir méconnu Robespierre. »
Faut-il voir seulement l’effet du hasard si deux des quatre derniers survivants, Thibaudeau et Doulcet-Pontécoulant, ont été Présidents de la Convention, de même que Laloy, mort à 97 ans, surpassé en longévité par le seul Florent-Guiot, mort à 99 ans ?
A l’inverse, la Convention a épuisé des députés qui ont participé à ses luttes et à ses travaux, qui ont montré un dévouement absolu ou que la peur a laissé à l’état de mort-vivant. L’activité déployée par certains comme Barère, Lindet, Saint-Just et Carnot, est stupéfiante. Saint-André décrit le Comité de Salut Public comme composé “d’hommes qui succombaient au lieu de leur séance à l’excès des fatigues et des veilles”.
Beaucoup d’autres ont “tout donné”. De 1793 à 1799, une mort semi-naturelle, mélange de fatigue, de consomption, de dégoût, de neurasthénie et de chagrin, frappe des hommes encore jeunes. Cette sorte de vieillesse avant l’âge tue Bentabole, Gasparin, Anthoine, Gillet, Fayau.Ils ont 38 ans en moyenne, le plus jeune 29 ans. Tous ces députés célèbres à l’époque, disparaissent comme si leur énergie s’était diluée entièrement dans les débats enfiévrés de la Convention.
Legendre, terrorisé pendant quatre mois, Lanthenas, dont la vie n’a tenu qu’à un fil pendant un an, Louvet, caché comme un rat pendant quinze mois, ont vieilli excessivement vite. Au moins, ont-ils su raison garder. Charlier et Delmas, personnages équilibrés, anciens Présidents de la Convention et anciens membres du Comité de Salut Public, n’ont pas eu cette chance et sont morts frappés de folie. Cependant, les plus nombreux, qui ont pu « récupérer », se remettent des tensions et des fatigues accumulées. La Convention donne à ceux-là une santé de fer.

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