Les Journées de Thermidor, Fin Juillet 1794

Cinq ou Six Scélérats

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Cependant la crise latente n’éclate pas immédiatement. Depuis le vote tumultueux de la loi du 22 Prairial, il n’y a plus d’accrochage. Le fait nouveau est la retraite chez lui du grand révolutionnaire à l’immense popularité qu’est Robespierre, vexé de l’opposition rencontrée au Comité de Salut Public et au Comité de Sûreté Générale. Comme beaucoup d’autres députés, il est scandalisé de l’odieuse application par les Comités de la Loi du 22 Prairial. Seulement, pour les députés, le responsable de cette loi qui tranche en moyenne 25 têtes par jour est Robespierre lui-même.
Les motifs profonds du 9 Thermidor sont multiples : succès des armées, maximum des salaires, désaffection des sections, retard mis à l’application des lois sociales de Ventôse, excès de la Terreur à Paris, rejet de l’Etre Suprême. Mais la chute de Robespierre est avant tout l’aboutissement d’un complot parlementaire préparé de longue date. Ces journées fameuses restent l’évènement le plus fascinant de la Convention en ce que l’homme présenté depuis comme un dictateur omnipotent et sanguinaire, est abattu sans coup férir. A l’examen, l’évidence éclate : Robespierre n’est ni dictateur, ni omnipotent, ni sanguinaire. En revanche, son immense influence morale lui confère un caractère d’oracle sacré et explique son pouvoir extraparlementaire.
Autre curiosité, le 9 Thermidor An II est présenté comme la fin de la Révolution. Du point de vue des masses de citoyens mis en mouvement par la Révolution, d’autres dates paraissent plus indiquées, comme Germinal An II, date de la désorganisation des sections parisiennes, ou Prairial An III, date du désarmement des sans-culottes, ou encore Brumaire An VIII, date de la fin du pouvoir politique parlementaire. Mais en ce qui concerne la Convention, il est certain qu’elle opère un virage à 180 degrés en Thermidor An II.
Ce revirement lui-même, dû à la disparition d’un seul individu, le fait que cet individu ait focalisé tant de haines et que, dans l’Histoire, cet individu semble laisser la place au vide, ont souvent amené des simplifications caricaturales : “Le châtiment d’un dictateur criminel, tout-puissant et méchant, permet à la foule des gentils opprimés, ensemble, de retrouver le bonheur.” La réalité est bien sûr plus complexe.
Le personnel de la Convention ouvre déjà un champ immense d’investigations. Les députés de Droite et du Centre modéré se taisent et se terrent depuis longtemps. Royalistes comme Boissy d’Anglas et Durand-Maillane, Girondins comme Lecointe-Puyraveau et Pénières, Marais mouvant muet depuis toujours, ne se sentent pas directement menacés. A la longue, par leur discrétion, ils sont devenus plus témoins qu’acteurs. Les Centristes ralliés comme Merlin de Douai et Cambacérès sont les instruments du pouvoir montagnard mais ne le menacent nullement. Cependant, tous ces parlementaires seraient satisfaits de voir des modifications importantes dans le fonctionnement, la politique et le personnel dirigeant de la Convention. La masse de la Convention est résignée à voir le débat, la lutte et le pouvoir circonscrits aux seuls Montagnards et aux Comités.
Fouché, le rescapé Ultra, Tallien, Bourdon de l’Oise, les miraculés Indulgents, Fréron, l’ami intime de Camille Desmoulins, Rovère, André Dumont, tous trois représentants en mission corrompus rappelés sèchement, Panis, ami personnel de Danton, évincé du Comité de Sûreté Générale, sont sur la corde raide. Ils forment le coeur d’une conjuration cimentée par la peur. Ils veulent tuer pour ne pas être tués car les coups se rapprochent. Tallien a été exclu des Jacobins le 12 juin, Fouché le 11 juillet. La Cabarrus, maîtresse de Tallien, est arrêtée le 22 mai, le frère de Dumont le 2 juin. Ils se savent dans le collimateur. Couthon aux Jacobins les visent précisément quand il parle de “cinq ou six scélérats dont il faut purger la Convention”. Ces “scélérats” sont donc les premiers interessés à la perte de Robespierre. Mais la chute de Robespierre n’est pas suffisante pour leur tranquillité. Robespierre éliminé, restent Saint-Just, Couthon, Billaud-Varenne, Vadier, Collot d’Herbois, Barère, bref tous les hommes de pouvoir des Comités de gouvernement. Au delà de la personne de Robespierre, la conjuration cherche donc en fait à remplacer, et les dirigeants, et les organes de direction.
En ce mois de juillet 1794, nul ne sait exactement quand l’épée de Damoclès doit tomber. Mais les conjurés ne perdent pas leur temps.Ils ont cherché ces derniers jours des alliés dans tous les camps. Ils sont écoutés avec bienveillance. Mais très peu de députés jouent aussi gros.Voilà pourquoi les conjurés multiplient des fausses listes de proscrits dans l’espoir d’impliquer un nombre croissant de députés. Panis et Thuriot, exclu des Jacobins le 13 novembre 1793, prêtent leur concours pour convaincre des anciens Indulgents, aujourd’hui indécis. Fouché s’occupe des anciens Ultras. Au Comité de Sûreté Générale, il trouve l’oreille attentive de Vadier, qui est en conflit larvé avec le Comité de Salut Public au sujet du partage du pouvoir. Au Comité de Salut Public, Fouché approche discrètement son ami Collot d’Herbois et parvient à le circonvenir. Grâce à l’influence des conjurés, le 1er Thermidor, Collot d’Herbois est élu Président de la Convention pour la deuxième fois.
Mais les autres contacts ne sont pas sûrs. Aussi, les conjurés attendent, impuissants, et multiplient les mesures de sûreté personnelle. Chaque soir, ils changent de lit. Car il leur manque trois choses pour gagner : des hommes puissants, des hommes respectés, et un motif politique vraisemblable.Sans cela, sur leur seules personnalités, ils ne peuvent prétendre entraîner la Convention. En attendant, ils sont neutralisés. C’est alors que tout se précipite. Fouché écrit le 5 Thermidor : “Encore quelques jours et les scélérats seront démasqués”. Inutile de préciser que les scélérats selon Fouché et les scélérats selon Couthon ne sont pas les mêmes.

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