La République aux mains des Royalistes, Janvier - Juin 1795

Il y a quarante Scélérats sur cette Montagne

10-MESSIDOR

Le 12 Germinal An III, 1er avril 1795, l’orage est là, dans la salle. Il prend la forme des milliers de parisiens, hommes, femmes et enfants, au regard égaré, qui forcent les portes de la Convention et qui crient inlassablement :“Du pain ! Du pain ! Du pain !” Ironie du sort, Boissy d’Anglas présentait à ce moment un rapport optimiste sur les subsistances.Une partie des émeutiers s’installe sur place. La foule reste, désemparée, naïve, inorganisée. Ces citoyens ne paraissent pas violents mais l’assemblée n’a pas vécu de journée populaire analogue depuis un an et demi. Aussi, tous les députés revenus à l’assemblée au cours de ces huit derniers mois sont terriblement impressionnés.
Les députés s’accusent mutuellement de cette intrusion. Le désordre est immense. Le président André Dumont accuse le royalisme. Le Montagnard Choudieu, montrant le fauteuil présidentiel, répond : “Le Royalisme ? Il est là !” Une grande partie de la Droite et du Centre a fui à l’irruption des émeutiers, craignant une multitude qu’elle n’a jamais côtoyée. Le Président Thibaudeau a montré l’exemple de la pusillanimité. Les Thermidoriens, au contraire, habitués à l’action, aux mouvements de foule et aux luttes de Clubs, se rendent indispensables. En particulier, les Thermidoriens vendus aux Royalistes sont très utiles dans ces journées chaudes. Tallien, Bourdon de l’Oise, Dumont, Fréron, Legendre, Barras, parviennent à apaiser le peuple et à organiser la protection de la Convention. Merlin de Thionville “bluffe” les manifestants et obtient leur départ : “Personne plus que nous ne veut la Constitution de 1793 !” L’évacuation de la salle permet le retour en séance des députés disparus.
La Droite a encore besoin des Thermidoriens dans les situations violentes. Les Thermidoriens prennent prétexte d’attentats supposés sur la personne de deux députés réactionnaires, Pénières et Auguis, pour lancer des proscriptions injustifiées. Au motif fantaisiste de complicité terroriste, huit députés Crêtois, dont Choudieu, Amar, Ruamps et Duhem, sont arrêtés séance tenante, en vue d’un prochain jugement. Par ailleurs, Barère, Collot d’Herbois, Billaud-Varenne, et Vadier, les quatre accusés des anciens comités, pourtant étrangers aux émeutes, sont condamnés à la déportation sans jugement. Peut-être doivent-ils s’estimer heureux : Pelet et Tallien avaient demandé leur mise à mort immédiate !
Les arrestations sont ressenties comme iniques par la masse de la Convention. Mais les Thermidoriens, remis en selle, règlent leurs comptes et la Droite croit conjurer la menace populaire en supprimant ses appuis dans l’assemblée. Le Montagnard Levasseur, et Lecointre revenu soudain à gauche, réclament sans succès l’appel nominal. Ils recueillent les signatures de leurs collègues. Cette signature n’est pas anodine. A leur attention, Merlin de Thionville lance une menace prémonitoire :“Il y a quarante scélérats sur cette Montagne qui méritent le même sort.”
L’émeute du 12 Germinal a montré le désespoir des Parisiens. Les émeutiers ont de plus l’amertume de s’être laissés berner. Rien n’est donc résolu. Dans l’assemblée, l’équilibre est rompu. La violence et l’autoritarisme règlent à nouveau les rapports de force. Les Crêtois, soucieux de ne pas donner de prétexte à la réaction, commencent à adopter la tactique du légume : se taire et attendre. Ils craignent à présent tout mouvement populaire qui permettrait à la Droite, au mieux de les faire arrêter, au pire de les envoyer à l’échafaud. Aussi, le lendemain, les Montagnards sont absents pour éviter de nouvelles arrestations. Or, les Thermidoriens réclament l’arrestation de ceux qui avouent leur crime par leur absence. La Convention ne les suit pas. De même, le 4 avril, le Girondin réactionnaire Pénières réclame l’arrestation des 56 Montagnards qui ont signé une demande d’appel nominal trois jours plus tôt.
Mais les députés de Droite qui se sont eux-mêmes plaint de l’oppression aveugle des Montagnards, sentent ce qu’il y a de nuisible à une proscription massive. Ils préfèrent procéder avec plus de discernement et de discrétion. Aussi, dix nouvelles arrestations seulement, sont décrètées, dont celles de Moïse Bayle, Levasseur, Lecointre, Cambon et Thuriot. Chacun y va de son accusation grotesque. L’assemblée assiste sans mot dire à la nouvelle mutilation. Tallien obtient l’arrestation de Cambon, l’irréprochable financier de l’An II, haï comme tel par Tallien. Legendre et Merlin de Thionville obtiennent celle de Thuriot, leur ami à l’époque des Indulgents, devenu témoin génant de leur corruption ! De plus, la Droite obtient l’arrestation ou la mise en jugement d’une foule de personnalités qui ont servi la République Montagnarde comme Pache, ancien Maire de Paris, et Rossignol, général populaire.
La vengeance sordide ne plaît pas à tout le monde. Les quelques Girondins restés républicains commencent à se poser des questions. Louvet, seul survivant d’un groupe de sept Girondins pourchassés par les Montagnards, tente de s’interposer : “Avant de frapper à la hâte, il faut des preuves.” Dans le même esprit, des Montagnards modérés essaient de calmer l’assemblée et de chercher les vraies causes de la crise. Dubois-Crancé réclame une remobilisation au nom du Salut Public.Saint-André le soutient : “C’est à l’anarchie que nous devons tous les fléaux qui nous désolent”. Mais les royalistes refusent d’entendre un discours qui rappelle trop l’An II. Au lieu de se préoccuper d’une nouvelle organisation des pouvoirs et de la distribution des vivres, la Convention s’enfonce toujours vers plus de réaction.
Le 10 avril, est ordonné le désarmement des terroristes des sections.Le peuple sans-culotte est armé de piques. La pique est inséparable de la citoyenneté. Cette mesure de protection est donc aussi une humiliation irritante. Le 19, le Girondin Pénières obtient la limitation à 20 membres des députations admises dans la salle. Plus tard, la Convention, à la demande du Girondin Defermon, limite le nombre des spectateurs des tribunes. Plus important, le 23, la Commission des Lois Organiques, devenue Commission des Onze, est officiellement chargée de présenter un nouveau projet de Constitution. La Constitution Montagnarde est tuée dans l’oeuf. Cette Commission de onze membres chargée d’élaborer une constitution républicaine ne comprend pas moins de six Royalistes !
A la Convention, au milieu du déchaînement contre-révolutionnaire, le Montagnard modéré Chénier prouve sa lucidité. “Tout excès mène à un excès contraire… La mollesse et l’inertie ont remplacé insensiblement cette force démesurée et despotique qui caractérisait le gouvernement décemviral… Les vieux ennemis de la Révolution… provoquent ouvertement à la Royauté.” Chénier passe en revue toutes les manoeuvres des royalistes et dénonce ce qui ne s’appelle pas encore la Terreur Blanche, des calomnies aux intimidations, des tortures aux assassinats. A sa demande, la Convention confirme ou renforce les lois contre les émigrés et les prêtres réfractaires. Mais ces lois ne sont pas appliquées.
A la surprise générale, l’homme qui l’a soutenu le plus vivement est l’un des Vingt-Deux députés réintégrés récemment, le Girondin Larévéllière-Lépeaux. C’est le premier exemple d’un reclassement de part et d’autre de la ligne de partage république-royauté. Girondins progressistes et Montagnards se retrouvent côte à côte. Trop tard.

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