Mentalite
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Peuple

SAINT-JUST

Par ailleurs, les députés ont une confiance aveugle dans le Peuple, par nature raisonnable, travailleur et vertueux. Ignorant la notion de classe sociale, ils n’ont pas conscience que les trois cent mille ouvriers, artisans, boutiquiers et salariés parisiens, le peuple des sans-culottes, le peuple des pré-prolétaires, forment la Grande Armée de la Révolution,.
Le peuple infaillible s’est soulevé contre le roi et ses complices. Grâce à lui, la Révolution a abattu les obstacles un à un. Par nature, les représentants du peuple n’ont rien à craindre de lui, sauf s’ils se rendent indignes de sa confiance. Pour eux, ni pompe, ni privilèges, ni gardes du corps.Ni murs, ni grilles ne séparent le public de ses représentants. Ce serait insultant envers ce peuple si bon et si généreux. Les députés vivent près des spectateurs, et du public parisien. Ils s’habillent comme lui. Ils habitent dans des appartements accessibles à tous au milieu de Paris. Ils viennent à l’assemblée à pied. Pour la plupart des députés, la notion moderne de microcosme politique est une aberration. Ils ne conçoivent pas d’être coupés de l’opinion publique qui s’exprime dans les sections de Paris.
Le projet des Girondins d’une garde départementale pour la Convention a échoué pour cette raison. Séparer le peuple de ses représentants par une barrière de militaires, c’est un signe de tyrannie. De fait, le Jardin des Tuileries qui donne accès à l’assemblée et, antérieurement, aux appartements du roi, a longtemps été protégé par un simple ruban.
Mais cette confiance dans le peuple induit un effet pervers, le souci de la popularité. Pour plaire au peuple et le convaincre de son patriotisme, tel député sera tenté par la surenchère ou l’éxagération ultrarévolutionnaire. Puis le vent politique dominant ayant tourné, la surenchère deviendra ultraréactionnaire. En temps de Révolution, le mécanisme de la démagogie est simple. Laissant de côté toutes convictions, les démagogues émettent les motions les plus audacieuses, choquantes ou violentes.On confie alors les places à ceux que l’on prend pour des patriotes d’avant-garde. Là encore, le phénomène est numériquement faible mais il contribue aussi à passionner et à enflammer la Convention. Les motions démagogiques permettent même de surmonter une difficulté. Pour réparer une mauvaise impression produite par une position trop modérée, Merlin de Thionville veut refuser des avocats au Roi, Legendre dénonce son amie Lucile Desmoulins, Osselin réclame la tête des 73 députés girondins arrêtés, Delmas attaque les sociétés populaires alors qu’il était Président des Jacobins un mois plus tôt.
Par ailleurs, les Conventionnels ont horreur du secret. Le secret, c’est “l’instrument des rois et des aristocrates qui trament leurs complot dans l’ombre”. Tout ce qui ressemble à une coterie, une messe basse, un conciliabule, est suspect. La politique de la liberté progresse au vu du monde. Tout doit être débattu en public, “sous les yeux du peuple”. La démocratie directe, c’est le peuple témoin partout et toujours du travail de ses représentants, quand il ne peut débattre lui-même. Ainsi, au début de la Convention, les délibérations des Comités se déroulent au grand jour. Un vaste public gêne les débats et excite les députés. Les résolutions sont connues à l’extérieur avant d’être officielles. La règle du “tout public” est difficilement applicable quand il s’agit de stratégie militaire ou de négociations internationales. L’intransigeance de la Convention vient en partie de là. Toutes sortes de difficultés qui auraient pu être éventuellement surmontées par le dialogue et le compromis dans le silence d’un cabinet, vont s’accroître au contraire sous le regard d’observateurs exigeants. Devant le peuple souverain, pas de faiblesse, pas de demi-mesure. Mais la mentalité évolue et le secret de la délibération en Comité s’impose rapidement.

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