Fin Des Girondins et Gouvernement Révolutionnaire

Une Enorme et Terrible Montagne

LOUVET

Car si l’été 1793 est beau en météo, il est calamiteux en politique. Pendant trois mois, chaque jour apporte son lot de catastrophes, dont une énumération partielle démoralise tout un chacun. Nantes assiègé par les Vendéens, députés emprisonnés par des rebelles, ravitaillement par mer bloqué, Avignon pris par les insurgés Marseillais, prise par les Autrichiens de la forteresse de Condé, blocage de la circulation fluviale, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Bourges, Bretagne, Jura, Provence en révolte armée, assignat dévalorisé ; déroutes répétées des républicains face aux Vendéens, à Thouars, Clisson, Vihiers, Bressuire, dix mille républicains prisonniers des Vendéens, capitulation de la forteresse du Quesnoy, capitulation de Mayence et de Valenciennes, spéculations et accapparements, critiques menaçantes des Enragés, haut commandement douteux, subsistances pillées, armes et munitions détruites, Dunkerque assiégé par les Anglais, conspirations royalistes, espions payés pour crier “Sauve qui peut !” en pleine bataille, manifestations menaçantes des sections, places livrées à l’ennemi par des généraux traîtres, disette populaire, émeutes des lavandières, émeutes de femmes à la porte des boulangers, Toulon aux mains des Royalistes, Roussillon, Savoie et Gascogne envahis, la Corse, la flotte de guerre de Toulon et son immense arsenal aux mains des Anglais, dix départements sous le contrôle de l’Armée Catholique et Royale, ….
“La République se meurt, la République est morte !” pouvaient s’écrier les contemporains avertis. Pas un sou n’aurait été parié sur sa survie. Comme l’année précédente mais avec plus de raison, les cours européennes attendent d’un jour à l’autre la dislocation de la République Française. Après avoir partagé la Pologne, les grandes puissances vont partager la France.
A Paris pourtant, la Convention ne renonce pas. Au contraire, un élan magique paraît transcender tous ses efforts. Un retournement psychologique spectaculaire a lieu au début du mois d’août, signalé par l’élection de Robespierre au Comité de Salut Public le 27 juillet, ou celle de Carnot, le 14 août. En fait, la stimulation vient des milliers de délégués des assemblées primaires, accourus de toute la France à Paris, pour porter à la Convention les résultats du referendum sur la Constitution. Arrivés pour la plupart vers le 30 juillet, les délégués sont des républicains déterminés à lutter. Ils exhortent la Convention à l’action révolutionnaire. Les Jacobins ont fraternisé avec ces délégués qui reprennent leurs idées de salut public et de Levée en Masse.
Les nombreux discours de ces délégués à la tribune de la Convention absolvent tous la Montagne et la félicitent : “Nous vivrons et nous mourrons Montagnards !”, “Le Marais n’est plus. Nous ne formons ici qu’une énorme et terrible Montagne !”.Dans Paris, les délégués se répandent en chantant sur l’air de la Carmagnole :“La Montagne nous a sauvés, En congédiant Gensonné, Au diable les Brissot, Les Guadet, les Buzot…” Aussi, malgré la gravité de la situation, Paris est en fête.
La ratification par le peuple de la Constitution est proclamée le 10 août. Cette Constitution, dite de l’An I, future bible des démocrates, gage d’un avenir radieux et de lendemains qui chantent, est acceptée par 1 784 377 voix contre 11 531. Les détails manquent sur le déroulement de ce premier referendum mondial. Les circonstances (la moitié du territoire est hors du contrôle gouvernemental), le mode de scrutin (public et à haute voix) et les résultats (99,34% de OUI) laissent à penser qu’il ne fut pas absolument démocratique. Pour montrer les Français unanimes sur la Constitution, le rapporteur, Gossuin, observe :“Sur quarante mille communes, la commune de Saint-Donan, canton de Plouvara, district de Saint-Brieuc, département des Côtes-du-Nord, forte seulement de cent vingt habitants, est l’unique qui ait demandé le fils de Capet pour roi, et le rétablissement du clergé !” A l’époque, la magie des chiffres agit et les députés, inquiets depuis le 2 juin sur leur représentativité, se rassérènent. Les délégués ont prolongé leurs pouvoirs.
La Convention, rassurée sur sa légitimité, reprend confiance et légifère sans désemparer. Parmi d’autres lois de progrès, sont votées pendant cette période, la suppression du rachat des titres féodaux, le recensement, la suppression du droit d’aînesse, les greniers d’abondance, le projet de Code Civil, le calendrier républicain, le Grand Livre de la Dette et le Système général des Poids et Mesures. Mais dans le même temps, la liberté en armes est rugueuse. La Convention, à la demande plus ou moins spontanée des délégués des assemblées primaires, surseoit à la mise en application de la Constitution jusqu’à la paix. Conformément au voeu de la Nation qui s’exprime par leur bouches (et celle des Jacobins), la Constitution, compte tenu des circonstances, est suspendue.
De jour en jour, l’horizon de l’humanisme s’assombrit. En témoigne le décret dévastateur, voté le 1er août contre la Vendée :“Les bois, les taillis, les genêts seront incendiés. Les forêts seront battues, les repaires des rebelles seront détruits, les récoltes seront coupées, les bestiaux seront saisis …”
Dans la fièvre de la défense nationale, tous les combats sont menés de front. Quatorze armées sont constituées. De Brest à Nice, de Bayonne à Strasbourg, de Marseille à Dunkerque, de Lyon à Cholet, de Caen à Toulon, de Maubeuge à Bordeaux, de Granville à Perpignan, partout, la Convention Nationale s’oppose à ses innombrables ennemis. En quelques mois, elle sauve la République moribonde. Elle trouve des ressources insoupçonnées, jusqu’au salpêtre des caves et aux cloches des églises. Elle galvanise les énergies, jusqu’à celle des vieillards. Elle assure un minimum d’approvisionnement, jusqu’à la production des jardins publics. Elle mobilise les compétences, jusqu’à celle des cordonniers.
Dans un élan lyrique, la Convention entreprend de soulever le poids d’une guerre continentale. L’Europe des Rois stupéfaits va assister à une série de prodiges fabuleux. Sous le regard impérieux et stimulant des sans-culottes, la Convention décrète le 23 août, la Levée en Masse, suprême effort. “Dès ce moment, jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire, tous les français sont en réquisition permanente pour le service des armées.”

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