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Le Passager Clandestin

DESMOUNLINS

A partir de l’émeute du 12 Germinal An III (1er Avril 1795), la Convention Nationale accélère sa marche rétrograde initiée depuis la chute de Robespierre. La Convention a réhabilité et réadmis en son sein tous les députés proscrits, au nom de la réconciliation et de l’inviolabilité de l’assemblée. Le 9 Mars 1795, les derniers proscrits, vingt-deux (1) députés survivants mis en accusation ou hors-la-loi les 28 Juillet et 3 Octobre 1793, sont réintégrés. Pendant quelques jours, l’effectif de la Convention est presque « complet ». On pourrait croire à l’apaisement et à la stabilité mais le balancier de l’Histoire poursuit sa course.
Car le Rapport SALADIN vise une nouvelle amputation de l’assemblée, objectif de nature à préoccuper les Républicains. En arrière plan, plus menaçant encore, le peuple de Paris a faim. L’aveuglement des Comités de Gouvernement sur sa souffrance, ce déni de réalité d’une terrible disette imputée à la malveillance, entraînent la recherche éperdue de coupables.
Ce 12 Germinal, l’émeute de la faim envahit la salle de la Convention… et déclenche un déluge de dénonciations, basées sur la participation supposée de tel accusé à l’émeute, voire à un complot criminel. Une surenchère malsaine élargit vite le champ des accusations jusqu’à l’arbitraire et l’invraisemblable.

Ce jour-là, les quatre (2) membres des anciens comités sont condamnés précipitamment et sans jugement à la déportation. Huit (3) députés sont mis en état d’arrestation. Neuf (4) autres, le 5 Avril. Le 18 Avril, MARIBON-MONTAUT est à son tour arrêté. Plusieurs autres députés mis en cause (5), trouvent des défenseurs dans l’assemblée, puis sont oubliés… certains provisoirement. On les accuse globalement, et sans crainte des contradictions, de former « la minorité qui conspire » (THIBAUDEAU), d’être les « successeurs de ROBESPIERRE » (PEMARTIN) ; ou les « véritables royalistes » (André DUMONT). Les accusations sont infondées, voire loufoques. Ainsi, selon TALLIEN, THURIOT est le « chef de la faction » et CAMBON « s’est signalé par la défense qu’il a faite des prévenus ».
Bref, tout cela débouche sur une purge de grande ampleur. En écho aux vingt-deux réintégrations récentes, la Convention décrète vingt-deux exclusions de toutes natures. Qualifiés de complices des émeutiers, aussi absurde que soit cette accusation, ces députés n’ont le plus souvent qu’un seul tort: leur républicanisme prononcé.

La psychologie des Conventionnels prend ici une place décisive. Parmi les accusateurs, figurent d’abord des Thermidoriens. Ces anciens Montagnards, peu nombreux mais actifs, se sont enrichis au cours de leurs missions. Certains ont pu même commettre des atrocités Il leur faut le silence des témoins gênants (6).
Quelques députés de bonne foi, marqués peut-être par leur vécu familial (CHENIER dont le frère a été guillotiné, THIBAUDEAU dont le père a été emprisonné, …) participent à la curée.
Des accusateurs figurent en grand nombre parmi la centaine de députés rappelés. Ceux-là ont vécu la peur quotidienne et, malgré leurs proclamations conciliatrices, au fond d’eux-mêmes, beaucoup veulent se venger. Ils soutiennent et stimulent la Réaction politique du moment (BAILLEUL, BLAD).
Dans cette ambiance, nombre de députés discrets s’encouragent pour accabler la minorité Montagnarde qui leur a imposé silence autrefois. La plupart ont peu parlé et peu agi jusqu’ici. Ces seconds couteaux trouvent un moyen confortable d’exister en hurlant avec les loups. De toutes ces attaques, résulte déjà un certain affaiblissement de la République.

Mais l’affaiblissement provient surtout d’une frange de nostalgiques de la Monarchie qui prend à cette occasion conscience de sa force. Pour aller à ce but, ils calculent que la destruction de la République passe par la destruction des Républicains. Ils appliquent avant l’heure le programme du Duc d’Harcourt, porte-parole du futur Louis XVIII : une république sans républicains. Dans cette logique, chaque exclusion d’un Montagnard rapproche la perspective d’une Restauration Monarchique. Donc une masse de députés, masse jusqu’ici peu étudiée, s’active alors en sous-main en faveur de la Royauté, méthodiquement et sournoisement. Aussi incroyable que cela paraisse, la Convention, l’assemblée fondatrice de la République, subit l’influence d’une minorité résolue de députés qui s’est fixé un objectif clandestin inavouable. Certains émergent alors d’un quasi-néant, osent parler haut et dénoncent frénétiquement (7).
Très vite, l’assurance de ces néo-royalistes est telle que PELET peut se permettre par un discours argumenté, le 8 Avril 1795 (19 Germinal An III), de démonter pièce à pièce le totem républicain, la Constitution Montagnarde de l’An I. Insidieusement, il propose exclusivement des mesures compatibles avec le retour de la Monarchie. De même, le 12 Avril, la Convention accepte de réintégrer le dernier député proscrit, DELAHAYE, royaliste notoire qui s’est battu parmi les chouans contre les républicains.
La Convention commence alors à se découvrir un dangereux passager clandestin, le Royalisme.

1) DOULCET-PONTECOULANT, GAMON, MOLLEVAULT, VALLEE, BONET de TREYCHES, DEFERMON, SAVARY, HARDY, ROUYER, ISNARD, Jean-Pierre DUVAL, BRESSON, ANDREI, LANJUINAIS, LOUVET, BERGOEING, HENRY-LARIVIERE, KERVELEGAN, CHASSET, MEILLAN, LESAGE d’Eure et Loir, LAREVELLIERE-LEPEAUX

2) BARERE, BILLAUD-VARENNE, COLLOT D’HERBOIS, VADIER

3)DUHEM, CHOUDIEU, CHASLES, Léonard BOURDON, HUGUET, AMAR, FOUSSEDOIRE, RUAMPS

4) THURIOT, CAMBON, GRANET, LECOINTRE, HENTZ, MAIGNET, LEVASSEUR de la Sarthe, CRASSOUS de MEDEUIL, MOYSE BAYLE.

5) MILHAUD, LESAGE-SENAULT, VILLARS, DUROY, TAILLEFER, FOUCHE, PRIEUR de la Marne, BORIE.

6) BARRAS, FRERON, TALLIEN, André DUMONT, MERLIN DE THIONVILLE, ROVERE, …

7) Par exemple HENRY-LARIVIERE, PELET, BOISSY D’ANGLAS, DELECLOY, PEMARTIN, MAREC, BOISSIEU, OLIVIER-GERENTE, AUBRY, BION, THIBAUT, DURAND-MAILLANE, …

La poussière retombée

DUBOIS-CRANCE

Deux mois se sont écoulés. Qu’a-t-on vu depuis que la poussière est retombée, depuis que l’horreur a pris place dans notre quotidien? Peu de choses. L’occasion est passée de prendre la question du terrorisme à bras le corps. Pour l’heure, des mouvements sympathiques mais symboliques se sont manifestés, comme l’exaltation de la Marseillaise et du drapeau tricolore. Et à part ces mouvements éloquents, restent un état d’urgence, susceptible de prorogation, qui a été utile quinze jours, et une modification de la Constitution peu mobilisatrice, pétrie d’arrière-pensées électoralistes, embourbée de plus dans des contestations hors de propos. Voilà le triste résumé des réactions concrètes de la République.

Les vagues d’émotion et de colère, les sentiments d’ingratitude et de trahison qui ont bouleversé la population débouchent sur cette impuissance. Des idées énergiques ont cependant émergé, émanant d’ailleurs de camps politiques divers : une garde nationale, le retour d’un service national, la perspective d’une utilisation systématique du fichier « S », des prêches religieux en français, exclusion d’imams fondamentalistes, interdiction des sites djihadistes. Pour l’heure, le courage et la détermination manquent pour aller plus loin dans ces directions. Aussi horrible que soit l’hypothèse, désormais, puisque les leçons n’ont pas été tirées, il faut craindre une nouvelle catastrophe, peut-être de plus grande ampleur.

Pourtant, on sent bien que dans ses tréfonds, la population demande la fin de l’angélisme, des concessions, des reculades et de l’aveuglement. Ainsi en est-il de la déchéance de nationalité au sujet de laquelle l’immense majorité des Français n’a pas d’état d’âme. (Notons au passage que pendant la Révolution, les Emigrés étaient naturellement déchus de leur nationalité) Voilà pourquoi depuis les attentats, les mensonges ou les occultations de faits avérés au motif qu’il ne faut pas stigmatiser telle communauté sont devenues insupportables. On découvre même que des exactions d’immigrés musulmans en Allemagne ou en Suède sont tues ou camouflées par les autorités policières. N’est-il pas temps de dire les vérités, si dérangeantes soient-elles, sans courir le risque d’être accusé d’islamophobie ?

Historiquement, la France a accueilli des vagues migratoires multiples et a su les intégrer rapidement. Il semble qu’il faille beaucoup plus de temps pour intégrer une partie des immigrés récents, peut-être parce que la République s’est montrée trop faible. Il convient donc de rétablir un mode de fonctionnement qui consiste à faire comprendre et accepter les valeurs de Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité, à expliquer les droits et les devoirs de chaque membre de la communauté nationale, de favoriser l’expression de la défense de la République. Dans cet esprit, et pour rester enraciné dans la Révolution, serait-il saugrenu de rétablir un serment civique solennel, de la part de chaque citoyen à l’occasion de son dix-huitième anniversaire, par exemple? Source d’inspiration, le serment imposé le 15 Août 1792 portait: « Je jure d’être fidèle à la nation, de défendre la Liberté et l’Egalité ou de mourir à mon poste. »

Les générations futures

05-PLUVIOSE

Il est temps sans doute de se préoccuper d’écologie. Une grand’messe internationale réunie à Paris devrait aller au-delà d’un catalogue mollement contraignant qui lui est assigné comme objectif. La COP 21 doit tracer une route claire au nom de l’intérêt général, au nom du Salut Public de la planète, au nom des générations futures. Si cette réunion de chefs d’état n’y parvient pas, il faudra attendre les prochaines COP pour que, à la lumière de nouvelles catastrophes écologiques gigantesques, les dirigeants n’aient plus d’autre choix…. en espérant qu’il ne sera pas trop tard.

Après tant d’années de gaspillage organisé et même vanté, après tant de temps consacré à la recherche d’une prospérité générale inspirée du libéralisme économique, après avoir succombé au mirage d’une croissance infinie et indéfinie, il faut dès maintenant mettre en œuvre une remise à plat de nos modes de production.
Les mesures homéopathiques ou timides ignorent la réalité. Les orientations libérales biaisent encore la question. En effet, on ne peut accepter la marchandisation des volumes d’émission de gaz à effet de serre, marchandisation qui signifie que les pays riches pourraient polluer en payant. On ne peut davantage accepter le maintien de mécanismes artificiels libéraux tels que l’obsolescence programmée. Jusqu’où faudra-t-il laisser grimper les montagnes de déchets, d’emballages, de plastiques, de productions inutiles, pour vaincre l’aveuglement des climato-sceptiques, sincères ou non ?

Plus grave est la volonté des sociétés multinationales de rentabiliser leurs investissements. Les multinationales du secteur de l’énergie, en particulier, continuent de prospecter pour découvrir de nouveaux gisements de gaz, pétrole et charbon alors que la planète ne supporterait pas d’utiliser ne serait-ce que le quart des réserves identifiées enfouies dans son sol. Ce qui était autrefois une richesse est devenu un poison mortel, distillé en toute quiétude par les multinationales.

A cet égard, la désunion des états paraît dérisoire en regard de la puissance et la détermination des multinationales, mues par des intérêts particuliers. Mais la force des Etats, garants de l’intérêt général, c’est précisément de pouvoir proscrire ce qui est incompatible avec cet intérêt collectif.

Ainsi, il est impérieux d’établir un planing de décarbonation, Etat par Etat, et de s’y tenir, sans faculté de rachat. Une chose interdite n’est pas monnayable. Dès lors, des bouleversements et des remises en cause déchirantes s’imposent ; l’humanité aborde un tournant décisif, peut-être le dernier. Car pour le dire crument, la question fondamentale est de savoir s’il y aura des générations futures.

Le 4 Février 1794 (16 Pluviôse An II), l’humanité avait déjà pris un tournant décisif, à Paris. Tout était différent sans doute, et la désunion d’aujourd’hui n’est pas la moindre des différences. Mais ce jour-là, la Convention Nationale a décrété l’abolition de l’esclavage, bravant ainsi des pratiques millénaires. Le commerce de l’esclavage était donc proscrit. L’esclave devenait homme en dépit des intérêts particuliers d’adversaires multiples et puissants. DANTON l’explique : « Mais aujourd’hui, nous proclamons à la face de l’Univers, et les générations futures trouveront leur gloire dans ce décret, nous proclamons la liberté universelle. » DANTON pense bien à la planète entière et semble pressentir des bouleversements salutaires. Il veut « combiner les moyens de rendre ce décret utile à l’humanité sans aucun danger pour elle. » A DANTON la conclusion : « Nous travaillons pour les générations futures. »
Qui poursuivra désormais cette tâche ?

Des fiches « S » comme Suspects

LOUVET

Catastrophe épouvantable, attentats barbares, aveuglement fanatique. Souffrances incalculables, solidarité internationale, émotion universelle. Tout cela a, hélas, un air de « déjà vu ». Et maintenant ?

Sans doute, les évènements du 13 Novembre, comme ceux du 7 Janvier, ont des racines profondes, par exemple, dans l’ignorance, la superstition, la misère, la bêtise, la division de l’Islam en « chapelles », la guerre imbécile de Georges W. Bush en Irak, le financement d’intégrismes par des pétromonarchies rétrogrades, etc. Sans doute aussi, il convient d’engager sur le long terme une politique étrangère déterminée, d’une part, et une ambitieuse politique intérieure, socio-économique, éducative et culturelle, d’autre part. Mais chacun ressent la nécessité impérieuse de fortes réactions immédiates.

Or les recrutements annoncés de policiers, militaires, magistrats ou une modification de la Constitution ne répondent pas à cette exigence. Les pouvoirs publics doivent riposter sans délai, si par exemple, ils veulent limiter les excès, notamment anti-musulmans, qui risquent de se multiplier. Pour ce faire, ils doivent utiliser la vague d’émotion et d’indignation qui submerge le pays sans attendre. Ils doivent prendre des mesures d’exception à la hauteur d’une situation exceptionnelle.

Tout comme la Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat votée sous la Convention en Février 1795 comprenait un volet de surveillance policière (voir mon blog « Sacrilège » sur le 7 Janvier), il faut aujourd’hui aller plus loin encore et s’inspirer peut-être une fois de plus des décisions de la Convention. En l’espèce, il s’agit de remettre en vigueur une forme adaptée de la fameuse Loi des Suspects, sans s’arrêter aux fantasmes accumulés depuis plus de deux siècles sur ce sujet.

Un petit rappel chronologique s’impose. Le 26 Mars 1793, la menace d’une invasion se précise et la Convention vote le désarmement de « tous les ci-devant nobles, ci-devant prêtres et tous les hommes suspects ». Cette mesure paraît vite insuffisante. A la suite de la dramatique trahison du Général en Chef Dumouriez, le 3 Avril, MARAT, député de Paris, déclare: « Je demande que vous formiez un Comité de Sûreté Générale qui ait le pouvoir de faire arrêter toutes les personnes qu’il croira suspectes… » MARAT n’est pas (encore) suivi mais la tête de Dumouriez est mise à prix. Le 8 Mai, c’est ROBESPIERRE, député de Paris également, qui déclare, alors que l’Armée des Vendéens révoltés menace: « Il faut que les ennemis de la Liberté (…) ne puissent lui nuire. (…) Je demande en conséquence que tous les gens suspects soient gardés en otage et mis en état d’arrestation. » Il est soutenu notamment par COUTHON, député du Puy-de-Dôme, en vain. Les nouvelles alarmantes de la Vendée provoquent le surlendemain 10 Mai un grand discours de COLLOT D’HERBOIS, député de Paris, qui évacue les scrupules de nombreux Conventionnels au nom du salut public : « Nous avons dans l’intérieur nos plus dangereux ennemis (…) qui méditent dans le secret de nouveaux complots. (…) Nous n’avons pas sévi contre les hommes suspects et ce sont ceux-là qui marchent plus directement et plus sûrement à la perte de la République. (…) Vous vous alarmez de l’arrestation des hommes suspects. Eh! Citoyens, c’est le plus sûr moyen d’assurer la tranquillité que l’on craint tant de voir troublée. »
De fait, localement, des Représentants en Mission mettent nombre de suspects en arrestation. Mais malgré la succession de désastres, la Convention ne passe pas encore à l’acte et le 22 Juin, le Comité de Salut Public, par la bouche de RAMEL-NOGARET, député de l’Aude, présente même un projet à contre-courant qui vise à juger les suspects détenus en prononçant des libérations en masse.
Mais, à la suite de la prise de Valenciennes, verrou de la frontière Nord, par les Autrichiens, le ler Août, CAMBON, député de l’Hérault, qui, comme beaucoup, soupçonne des trahisons, déclare : « Je demande que, par mesure de sûreté générale, on puisse provisoirement arrêter tous les étrangers suspects. » L’idée chemine toujours…
Le 12 Août, la demande de pétitionnaires (« Il n’est plus temps de délibérer ; il faut agir. Nous demandons que tous les hommes suspects soient mis en état d’arrestation. ») est relayée par FAYAU, député de Vendée, (« Les traîtres sont impunis. Je demande aujourd’hui expressément que vous décrétiez que tous les gens suspects seront mis en état d’arrestation. ») puis par DANTON, député de Paris, (« Je demande donc que l’on mette en état d’arrestation tous les hommes vraiment suspects. »). Mais toujours pas de décret général. Le 20 Août, CHABOT, député du Loir-et-Cher, propose – sans succès – une formule alternative qui a elle aussi une forte résonance actuelle : « Mon projet est simple : c’est d’envoyer au-delà des frontières tous les hommes qui ne respirent qu’après la contre-révolution. »

L’exaspération monte cependant et l’orage éclate à la suite de la cataclysmique trahison de Toulon, premier arsenal militaire de la République livré aux Anglais. Le 4 Septembre, de nombreux Conventionnels interviennent sur le même sujet. BILLAUD-VARENNE, député de Paris, tonne : « … le temps des délibérations est passé ; il faut qu’aujourd’hui même tous vos ennemis soient mis en état d’arrestation. ». GASTON, député de l’Ariège, (« Il faut que tous les mauvais citoyens soient incarcérés. (…) Dès ce soir, il faut qu’ils (…) soient dans l’impuissance de nuire. » Le fameux DROUET, député de la Marne, alerte la Convention sur le risque de la faiblesse : « Depuis assez longtemps, on abuse de la générosité du peuple français. Votre loyauté et votre trop longue indulgence provoquent de toutes parts des trahisons. » BASIRE, député de Côte d’Or, glisse une définition des suspects à arrêter : « tous ceux qui se sont montrés notoirement ennemis de la Révolution. ». Ce jour-là, la Convention décrète que les comités révolutionnaires sont « chargés de procéder sur-le-champ à l’arrestation et au désarmement des gens suspects. » Le 17 Septembre, la Loi des Suspects proprement dite détaillera le mode d’application de ce décret.

Que retenir ? D’abord que la Convention réagit très rapidement aux menaces. Ensuite, que les mesures prises s’adaptent à la gravité desdites menaces. En troisième lieu, que la Convention assume l’injustice induite par le principe des arrestations collectives. Enfin, qu’au nom du salut public, elle vise à neutraliser provisoirement une menace diffuse, pas à juger les protagonistes arrêtés.
Quelles leçons en tirer? Les suspects d’hier comprenaient notamment la catégorie des prêtres réfractaires. Quels sont les suspects d’aujourd’hui ? Ceux qui se montrent notoirement ennemis de la République. Certains individus fichés « S » correspondent d’évidence à cette définition. Et même si des hommes de bien figurent dans ce fichier, le tri doit se faire ultérieurement. Le salut public commande d’exploiter sans délai et au maximum ce fichier « S ». Si par cette mesure, un seul terroriste est neutralisé, elle aura été efficace. Qu’il s’agisse de bracelet électronique, de camp d’internement, de formation aux valeurs républicaines, de stages forcés sur la tolérance et la laïcité, peu importe le mode opératoire. A défaut du courage nécessaire, le fichier « S » risque d’enfler inutilement et la République de rester les bras ballants quand on l’assassine.

L’oxymore du pape progressiste

COLLOT-DHERBOIS

Nouvel oxymore à la mode, la presse en général exalte la personnalité du pape François et son prétendu progressisme. Cette pression médiatique se heurte à la réalité à deux niveaux, celui de l’individu pape et celui de l’institution Eglise Catholique.

A propos du pape, on ne peut que s’interroger sur sa conduite sous la sanguinaire dictature militaire du Général Videla en Argentine dans les années 1976-1983. Ses convictions progressistes ne l’ont en tous cas pas amené à lutter franchement contre la dictature, à l’inverse de nombre de ses collègues emprisonnés, torturés, assassinés parce qu’ils s’étaient engagés dans la théologie de la Libération. Son comportement douteux a donné lieu à des accusations de complicité avec la Junte militaire mais ces scandales ont été étouffés par le Vatican. En tous cas, le futur pape a su louvoyer et conserver ses privilèges de prélat installé : recteur de collège et d’université, professeur de théologie, provincial des Jésuites… On lui prête le mérite de n’avoir pas dénoncé des ecclésiastiques menacés. C’est bien le moins.

Plus récemment, ses interventions à la suite de la tuerie de « Charlie Hebdo » devraient avoir permis de cerner le personnage. Pour mémoire, il condamne les attentats : « Tuer au nom de Dieu est une aberration. » mais il fixe des limites à la liberté d’expression sur un ton trivial qui dépare avec la gravité du sujet : « Si un grand ami dit du mal de ma mère, il doit s’attendre à recevoir un coup de poing ! » Notons au passage qu’il assimile abusivement le personnage de la mère à celui d’un prophète quelconque et qu’il justifie la violence et la vengeance. Comme il a par ailleurs dénoncé « des gens qui provoquent » et « l’héritage des Lumières », il donne un formidable encouragement aux tenants de tous les intégrismes cléricaux, encouragement cristallisé dans le fameux « Ils l’ont bien mérité ! » si répandu dans le public.

Cela dit, même si un pape irréprochable était élu, pourrait-il réformer l’Eglise ? Sans même parler du mode de recrutement de la hiérarchie catholique, on peut en douter dans la mesure où jamais l’Eglise, en tant qu’institution, ne s’est remise en cause. Ainsi, le pape actuel peut-il condamner la Saint Barthélémy sans critiquer le comportement de l’Eglise de l’époque. Ainsi en est-il de tous les conflits que l’Eglise a encouragés, attisés, voire fomentés. Ainsi en est-il également de toutes les positions rétrogrades adoptées par l’Eglise, comme la condamnation de la pilule contraceptive par Paul VI.

Pendant la Révolution, le Pape Pie VI a pris position dès le 13 Septembre 1789 puis le 29 Mars 1790 contre la Déclaration des Droits de l’Homme. Il proteste également, préoccupations bien matérielles, d’une part, contre l’annexion du Comtat Venaissin et d’Avignon par la France, d’autre part contre la nationalisation des biens du Clergé. Surtout, il lance l’anathème contre les auteurs de la Constitution Civile du clergé. Le pape demande à Louis XVI le 10 Juillet 1790 de ne pas la valider. Pie VI fait connaître sa position officielle par les brefs Quod aliquantum du 10 Mars 1791 et Caritas du 13 Avril 1791. Pour le pape, la Constitution Civile du Clergé est sacrilège et schismatique. La position du pape, relayée, enflée, déformée, stimule les préjugés et transforme une masse de prêtres réfractaires en une armée d’incendiaires. Dans la guerre civile qui s’ensuit sous la Convention à partir de Mars 1793, la hiérarchie catholique réfractaire récompense les pires atrocités commises contre les républicains, au nom de Dieu et du Roi, par la promesse de la vie éternelle. On chercherait en vain une condamnation ultérieure de ces comportements criminels.

De nos jours, les papes se gargarisent de la défense des Droits de l’Homme ou de la Liberté d’Expression et tentent de se les approprier. Mais on n’entend jamais d’autocritique sur les innombrables violences suscitées par l’Eglise quand elle s’est opposée à ces progrès (diabolisation des auteurs de la Déclaration des Droits, mise à l’index d’innombrables ouvrages considérés comme subversifs). C’est bien là qu’un pape véritablement progressiste est impossible. D’abord, le dogme de l’Infaillibilité papale veille et, plus généralement, la masse de la hiérarchie de l’Eglise Catholique, fruit autoproclamé de la volonté divine, ne peut admettre s’être trompée.

Anniversaire de la Sécu : 70ème ou 221ème?

CHENIER

Incontestablement, la Sécurité Sociale date de 1945. Sans doute, elle résulte du programme politique du Conseil National de la Résistance établi en 1943. La « Sécu » opère la synthèse de toutes les lois sociales qui se sont succédé depuis la Révolution. Mais elle a surtout un ancêtre en ligne directe : le Grand Livre de la Bienfaisance Nationale.

La Convention Nationale a eu recours à des secours ponctuels en faveur de tel individu, telle famille, telle groupe victime à un titre quelconque. C’est le rôle de son Comité des Secours Publics. Dans le même temps, elle commence à appréhender la question sociale globalement. La Convention s’oriente vers des lois plus générales. Ainsi, la Loi du 19 Mars 1793 présentée par BEAUVAIS, député Montagnard de Paris, contient déjà en germe un secours systématique à l’indigence et pose en principe que «le soin de pourvoir à la subsistance du pauvre est une dette nationale.» Le 28 Juin 1793, une Loi générale organise les «pensions, secours et indemnités à accorder aux familles des défenseurs de la Patrie.» Le 14 Octobre 1793, BÖ, député Montagnard de l’Aveyron, présente un rapport qui vise à détruire la mendicité. De même, il faut mentionner les Lois de Ventôse, présentées par SAINT-JUST, député Montagnard de l’Aisne. Ces lois prévoient un recensement des patriotes indigents. Mais les véritables fondations de la Sécurité Sociale sont posées le 11 Mai 1794 (22 Floréal An II) à la suite d’un long rapport de BARERE, député Montagnard des Hautes Pyrénées, au nom du Comité de Salut Public.

Le préambule de ce rapport contient des sentences très actuelles. «La lèpre des monarchies, la mendicité, fait des progrès effrayants dans l’intérieur de la République.» «La mendicité est une accusation ambulante, une dénonciation vivante contre le gouvernement.» «La mendicité» est «l’histoire de la conspiration des propriétaires contre les non-propriétaires.» «Il faut encore faire disparaître (…) l’esclavage de la misère et cette trop hideuse inégalité parmi les hommes.» «C’est à la Convention (…) à faire disparaître la grande inégalité des fortunes.»
Le préambule de ce rapport qui devient une Loi distingue plusieurs cas : les accidents du travail – «les carriers, les maçons, les charpentiers s’exposent à être blessés ou infirmes.» ; l’assurance maladie – «cette multitude de manouvriers nécessaires à l’agriculture (…) contractent tous des maladies.» ; la retraite – «les vieillards indigents auront aussi leur Grand Livre (…) pour y graver leurs droits» ; les allocations familiales – «la fécondité des mariages, loin de craindre la misère, recevra des encouragements et des secours de la République.» Tous ont droit à des secours selon un barème excessivement précis et à certaines conditions.

Ce rapport contient aussi des éléments risibles. Par exemple, on est frappé par le souci du détail chiffré qui confine à l’absurde, avec un plafonnement du nombre de bénéficiaires par district (!), et qui aboutit à un semblant de budget pour le moins hasardeux. On s’interroge sur l’inégalité surprenante de traitement entre l’artisan et l’agriculteur. De même, la gestion délocalisée et plafonnée des médicaments laisse perplexe. Enfin, on remarque l’angélisme des Conventionnels qui se méfient peu des abus possibles : «Les certificats de temps de travail ou d’indigence seront délivrés par la commune.» compensé seulement par «Les agents nationaux des communes veilleront à ce qu’il ne s’introduise aucun abus dans ce service.»
Mais la Convention détermine un âge pour la retraite (soixante ans) et se préoccupe du nombre d’annuités de travail (vingt ans) pour y avoir droit. Elle prévoit également un statut de médecin fonctionnaire, la gratuité des médicaments et la systématisation des soins à domicile.

Aujourd’hui, le régime général de la sécurité sociale comprend trois branches, maladie, retraite et allocations familiales, trois branches qui font écho à la Loi du 22 Floréal An II. La Loi qui établit le Grand Livre de la Bienfaisance Nationale n’a pas pu recevoir d’application. Mais on doit admettre qu’elle jette les bases de la « Sécu » que nous connaissons, il y a plus de deux siècles (!).

La mauvaise réputation de 1793

LASOURCE

A propos d’un conflit social à Air France, l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy s’illustre à nouveau par son sens de la nuance. Je cite, après avoir dénoncé la « chienlit » et « le délitement de l’Etat », « ON N’EST PAS EN 1793. On ne peut pas accepter que deux dirigeants soient au bord de se faire lyncher…» Pour Nicolas Sarkozy, l’année 1793 est donc synonyme de chienlit, délitement de l’Etat et lynchage. Il relaie ainsi la vulgate réactionnaire dominante depuis plus de deux siècles. Voyons cela de plus près.

Indiscutablement, l’année 1793 a peu à voir avec un long fleuve tranquille. Près de soixante administrations départementales en rupture avec la Convention Nationale, seul pouvoir légitime, une dizaine de départements de l’Ouest soulevés contre Paris, des villes comme Marseille, Lyon, Toulon, Bordeaux en révolte, une vingtaine de puissances européennes dont l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche, l’Espagne, coalisées pour se partager la France, des trahisons innombrables au plus haut niveau, sont des éléments de nature à créer le désordre et la pagaille. Pourtant, au 31 Décembre 1793, la chienlit a, pour l’essentiel, disparu. Globalement, la Convention a neutralisé les différentes menaces. Sans doute, la République paie le prix fort et la Convention elle-même crée des martyrs en son sein. Mais les faits sont têtus : la République est sauvée. Donc chienlit ? Oui, mais provisoirement, jusqu’au rétablissement d’un pouvoir fort, perçu rapidement comme trop fort d’ailleurs.

En parlant de lynchage, Nicolas Sarkozy ne pense certainement pas au journées des 2 Juin et 5 Septembre 1793, journées pendant lesquelles une partie du peuple parisien (ou de la populace selon sa vision des choses) impose des décisions à la Convention. Lors de ces journées critiques, aucun mort à déplorer. Peut-être pense-t-il aux jugements expéditifs du Tribunal Révolutionnaire ou aux décisions des commissions militaires, juridictions qui illustrent par leur indéfendable sévérité, l’exaspération des responsables politiques d’alors. Mais aussi atroces qu’aient été certains jugements, il y a eu jugement et pas lynchage.
Le terme de lynchage correspond peut-être au sort du député de Corrèze, CHAMBON. Peut-être, dans la mesure où il était proscrit, en fuite et condamné à mort. Mis hors la loi par la Convention le 18 Juillet 1793, il fut tué le 20 Novembre 1793. En revanche, il correspond tout à fait au député FERAUD, élu des Hautes Pyrénées, massacré par la foule, à Paris mais beaucoup plus tard, le 20 Mai 1795.
Toutes sortes de violences interviennent en 1793 mais peu de lynchages proprement dits.

Enfin, en matière de « délitement de l’Etat », Nicolas Sarkozy se trompe à deux niveaux. D’abord, l’établissement du Gouvernement Révolutionnaire, avec le Comité de Salut Public à sa tête, traduit tout sauf du délitement. Ensuite, la Constitution de l’An I, peut-être inapplicable, montre en tous cas le souci des fondateurs de la République de fixer un cadre institutionnel démocratique.
Alors pourquoi tant de haine sur 1793 ? Il s’agit toujours de jeter le discrédit sur l’année décisive de la fondation de la République. C’est d’autant plus regrettable de la part d’un ancien président.

Nicolas, Bertrand et Jean-Marie

04-NIVOSE

Rien à voir avec des personnalités actuelles…. A la suite du Rapport SALADIN (voir blog le concernant), Nicolas BILLAUD-VARENNE, Bertrand BARERE DE VIEUZAC et Jean-Marie COLLOT D’HERBOIS sont accusés de différents crimes et sont appelés à se défendre devant la Convention Nationale qui les enverra le cas échéant devant le Tribunal Révolutionnaire. VADIER ayant pris la fuite, ils sont trois à comparaître à partir du 22 Mars 1795 (2 Germinal An III). Depuis plusieurs décades, des pétitions téléguidées se succèdent à la barre de la Convention pour demander leur mort. A cette pression, s’ajoute une campagne de presse et d’affichage d’une violence inouïe, réclamant par exemple également la mort de ceux qui prendraient leur défense (!), campagne relayée dans les tribunes de la Convention par un public trié. Nicolas, Bertrand et Jean-Marie voient donc l’échafaud de très près.
Pourtant, à l’exception d’abus de pouvoir incontestables intervenus lors du procès de DANTON et autres, le rapport SALADIN est d’une vacuité confondante. Quoiqu’il en soit, la Convention de cette époque ne s’arrête pas à de tels détails et veut expédier l’affaire. Tout se présente bien. Le précédent du député CARRIER permet de croire à une exécution rapide. En trois jours, la Convention avait décidé l’envoi de CARRIER au Tribunal qui le condamnait à l’échafaud peu après, comme une formalité.

Oui mais… L’assemblée se montre nerveuse. Confusément, elle ressent l’énormité de l’acte à accomplir. Solennel, le Président THIBAUDEAU invite d’ailleurs chacun au calme. L’enjeu peut se comparer à celui du Procès de Louis XVI. A cela, il convient d’ajouter l’identification possible de nombreux Conventionnels aux prévenus dans la mesure où ils ont soutenu leur politique.

Ce premier jour, après quelques échanges vifs, la majorité découvre que les accusés disposent de soutiens. Citons par exemple FOUSSEDOIRE : « Je crois que l’ancien Comité de Salut Public a sauvé la Patrie. ». Deuxième découverte, Robert LINDET, ancien collègue des prévenus au Comité de Salut Public, livre un discours de plus de six heures qui fait l’apologie détaillée de l’An II, de la politique suivie alors par le Comité, et de l’action menée par les accusés dont il se dit solidaire : « Quoiqu’on m’excepte de l’accusation que l’on porte sur les prévenus, j’appelle sur ma tête la responsabilité que je dois partager avec eux. »
Dans le même temps, comme une sévère disette occasionne des troubles dans les rues de Paris, LINDET donne la leçon au passage à BOISSY D’ANGLAS, chargé des subsistances au Comité de Salut Public. En l’An II, Paris était approvisionné. « Comparez avec ce résultat ce qu’a fait le gouvernement actuel, au milieu de la prospérité que nous lui avons laissée. » De fait, le gouvernement actuel s’est montré incapable de soulager la misère des Parisiens.
(Pour l’anecdote, notons que Robert LINDET et BOISSY D’ANGLAS ont chacun une rue à leur nom à Paris.)
En fin de séance et pendant toute la journée du lendemain, des députés, plus nombreux que prévu, osent, malgré les menaces, apporter leur soutien aux accusés et livrent des témoignages plus favorables les uns que les autres.

Alors que les accusés n’ont toujours pas parlé, l’ambiance a changé. Même le rédacteur du Moniteur, journal de référence, partial au début, adopte une ligne plus équilibrée.

Les accusés ne parlent qu’à partir du 24 Mars et dans les jours qui suivent. Leur éloquence, leur ténacité et leur habileté ne se démentent pas. Par exemple, COLLOT D’HERBOIS : « L’ombre de Capet est là, qui plane au-dessus de vous, et qui anime vos ennemis. Vous qui l’avez condamné, vous êtes désignés ; vous qui ne l’avez pas sauvé, vous l’êtes aussi… »
Contre toute attente, leurs nombreux soutiens, parmi lesquels figurent de fortes personnalités telles que d’anciens Présidents de la Convention, se renforcent. Ce qui était inenvisageable depuis longtemps, ils tiennent tête aux Thermidoriens, ces ex-Montagnards, actifs et entreprenants, passés à la Réaction pour faire oublier leur passé douteux. Une masse d’indécis se forme et dès lors, tout peut arriver.

Quelles erreurs ont été commises ? En fait, les Thermidoriens, qui n’ont limité ni la durée des débats, ni le nombre d’intervenants, ont mal préparé ce procès. Ils s’attaquent à trois accusés au lieu d’un seul. En outre, il s’agit de trois hommes d’envergure, presque déjà des personnalités historiques. CARNOT rappelle d’ailleurs leur républicanisme. COLLOT D’HERBOIS a fait abolir la royauté dans la première séance de la Convention. BILLAUD-VARENNE a fait admettre la République le lendemain. BARERE, par son discours du 4 Janvier 1793 a probablement déterminé la mort de Louis XVI.
Ensuite, les Thermidoriens ont méprisé le parti encore puissant des Montagnards, désinhibé à cette occasion, et dont les membres s’encouragent mutuellement. Surtout, ils ont écarté la question politique de fond : la Convention peut-elle condamner la politique de l’An II, sa propre politique ?
Les Thermidoriens ont sous-estimé leurs adversaires et paraissent débordés à mesure que les auditions se poursuivent.

Arrive le 12 Germinal (1er Avril 1795). Divine surprise, une émeute de la faim force les portes de la Convention. L’agitation dure jusqu’au soir. Dans la nuit, pour en finir avec cette affaire devenue incontrôlable, les députés encore présents décident la déportation des accusés en Guyane…. et décrètent l’arrestation de plusieurs de ceux qui ont pris leur défense.

La Convention aurait dû absoudre les accusés, comme le disait CARNOT, au nom d’ « un torrent de circonstances ». D’une part, elle se serait montrée cohérente dans la mesure où le respect de l’intégralité de l’assemblée avait été l’argument déterminant pour réintégrer en Décembre 1794 et Mars 1795 une centaine de députés proscrits. D’autre part, la Révolution pouvait prendre un cours apaisé. Car la Réaction Royaliste avec sa sanguinaire Terreur Blanche, n’aurait pas reçu un formidable encouragement par la proscription de Nicolas, Bertrand et Jean-Marie.

Que faire des langues régionales ?

DESMOUNLINS

Donc depuis 1992, la France ne ratifie pas la Charte Européenne sur les Langues régionales. Faut-il le regretter ? Faut-il s’en étonner ? Ni l’un, ni l’autre.

La Convention a accompli un travail titanesque en matière d’enseignement et a établi le principe de l’éducation gratuite, laïque et obligatoire. A l’époque, on ne parle pas de Langues régionales mais de patois. Le contexte de la guerre civile avec la Vendée royaliste sensibilise l’opinion à la nécessaire unité nationale. En outre, les Montagnards perçoivent les Girondins comme des diviseurs, voire des traîtres. Leur crime porte un nom : le Fédéralisme. Face à cette obsession de l’unité nationale, les patois sont perçus comme des résidus d’ancien régime, des traces de la féodalité honnie et des alliés objectifs de la Contre-Révolution. Il convient donc de les éradiquer.

Dans cette entreprise, des hommes comme BARERE ou JEAN BON SAINT-ANDRE, au nom du Comité de Salut Public, par exemple avec la Loi du 8 Pluviôse An II (27 Janvier 1794) qui crée les premiers instituteurs fonctionnaire publics, jouent les premiers rôles. Mais l’Abbé GREGOIRE, au nom du Comité d’Instruction Publique, a le plus marqué les esprits par son discours exhaustif du 16 Prairial An II (4 Juin 1794) et l’Adresse aux Français qui en découle.

Quels arguments développe-t-il ? La conjoncture crédibilise son approche simpliste : parmi toutes les insurrections que la Convention doit juguler, certaines sont favorisées par l’ignorance du Français, assimilé à la langue de la Liberté, et le maintien des patois. « Nous avons encore trente patois. » « La féodalité (…) conserva soigneusement cette disparité d’idiomes comme un moyen de reconnaître, de ressaisir les serfs fugitifs et de river leurs chaines. » ou encore : « L’idiome est un obstacle à la propagation des lumières » « Les dialectes (…) empêchent l’amalgame politique et d’un seul peuple en font trente. » « Nos frères du Midi ont abjuré et combattu le fédéralisme politique, ils combattront avec la même énergie celui des idiomes. »
Ceci posé, GREGOIRE utilise aussi des arguments très actuels. Il mentionne l’aspect financier de la question. Pensons par exemple aujourd’hui au gaspillage inouï de fonds publics à force de remplacer la signalétique routière par des panneaux bilingues, par ailleurs confus. Autre argument de bon sens: il serait absurde de prétendre tout traduire, tout le passé littéraire, francophone ou non, en patois.
« Proposerez-vous de suppléer à cette ignorance par des traductions ? Alors vous multipliez les dépenses en compliquant les rouages politiques. » Il ajoute qu’une nouvelle aristocratie pourrait se faire jour. L’intolérance menace au bout de ce chemin si, par exemple, l’occupation des emplois publics était réservée à ceux qui maîtrisent l’idiome local. « Si (…) cette ignorance exclut des places, bientôt renaîtra cette aristocratie. »
Enfin, préoccupation très actuelle, l’utilisation des patois recèle une incertitude juridique, dans le temps et l’espace, incompatible avec la clarté revendiquée dans le projet de Code Civil en gestation. « Les droits des citoyens seront-ils bien garantis par des actes dont la rédaction présentera l’impropriété des termes, la confusion des idées, en un mot tous les symptômes de l’ignorance ? »
GREGOIRE mentionne aussi la difficulté de maintenir en vie des idiomes agonisants, dont la survie artificielle serait source d’efforts inutiles, et surtout rétrogrades. « L’état politique du globe bannit à jamais l’espérance de ramener les peuples à une langue commune.(…) mais au moins on peut uniformiser le langage d’une grande nation. » « Les langues naissent, vieillissent et meurent. »

La problématique actuelle porte plutôt sur l’invasion de la langue anglaise, par le rayonnement de la culture anglo-saxonne, les nouvelles technologies, la domination du vocabulaire dans certaines corporations (marine, hôtellerie, etc.). La langue anglaise est la menace du jour. Dans ces conditions, faut-il vraiment chercher à morceler la langue française, encourager les petits nationalismes étriqués ? Qui ne voit, surtout depuis le 7 Janvier 2015, que l’attachement aux valeurs universelles de la République doit prévaloir sur toute autre forme d’attachement politique?

Le Rapport Saladin, un moteur à réaction politique

LASOURCE

LE CONTEXTE
Ce 2 Mars 1795, un homme monte à la tribune sous les applaudissements apparemment unanimes des Conventionnels et des citoyens des tribunes. Le député SALADIN présente le Rapport tant attendu établi par une commission de 21 membres sur la conduite de COLLOT D’HERBOIS, BILLAUD-VARENNE, BARERE, anciens membres du Comité de Salut Public, et VADIER, ancien membre du Comité de Sûreté Générale.

SALADIN a été absent de la Convention et emprisonné pendant la période la plus tendue, d’Août 1793 à Décembre 1794. Dans le contexte, cette absence le sert : il est à la fois victime et absolument étranger aux abus de pouvoir reprochés aux accusés. Sans doute, il a voté la mort de Louis XVI sans appel ni sursis. Mais, il a surtout été membre de la coterie de Philippe d’Orléans dit Egalité. Le républicanisme de SALADIN peut donc être suspecté.

Cette Commission des 21, instituée par le décret du 8 Brumaire An III – 29 Octobre 1794, a vu ses pouvoirs élargis le 4 Pluviôse An III – 23 Janvier 1795 à l’initiative de MERLIN DE DOUAI. En application du Rapport du même MERLIN DE DOUAI en date du 27 Décembre 1794 – 7 Nivôse An II, les quatre accusés ont été « sélectionnés »
L’ambiance politique est très défavorable à ces derniers : des pétitionnaires payés ou manipulés réclament inlassablement le « châtiment des grands coupables » dans le sein de la Convention ; la presse thermidorienne fait caisse de résonance ; le député PENIERES a réclamé la veille sous les acclamations la réintégration des députés mis hors de la loi à l’époque Montagnarde. Donc les quatre accusés sont condamnés avant le jugement

LE CONTENU DU RAPPORT
En outre, le rapport SALADIN suit le rapport COURTOIS du 6 Janvier 1795 qui a en quelque sorte tracé sa route politique : la France a été tyrannisée avant le 9 Thermidor. Paris compterait dix fois plus de prisons que sous les Rois. La Convention a été tyrannisée aussi. S’ensuit la question : Robespierre, Couthon, Saint Just ayant été « punis », reste-t-il des complices ?
Démagogiquement, SALADIN exalte le « courage de la Convention » ( !!) au 9 Thermidor.
Il attaque BARERE qui prétend que le Bureau de Police Générale coupable des mandats d’arrêt « les plus atroces » appartenait à Robespierre. Maladroit : BARERE faisait l’apologie de ce Bureau à la tribune le 7 Thermidor.
SALADIN décrit à l’aide d’exemples le flou des mandats d’arrestation. A cet égard, le 1er exemple, qui porte sur la maîtresse de TALLIEN, la Cabarrus, atteste de l’influence de TALLIEN encore à l’époque. A l’inverse, l’arrestation beaucoup plus grave et sans motif d’HERAULT DE SECHELLES ne vient qu’en 5ème position!
SALADIN cite à charge plusieurs arrêtés cosignés avec Robespierre, Couthon ou Saint-Just . Argument non probant si l’on considère que des milliers d’arrêtés ont été cosignés en dix mois de collaboration au Comité.
Il attaque BARERE sur l’interprétation excessivement large de la Loi des Suspects du 17 Septembre 1793, œuvre du décidément omniprésent MERLIN DE DOUAI, même pas cité. Subjectif.
Il attaque COLLOT D’HERBOIS sur ses opinions en matière de répression et BILLAUD-VARENNE pour ses demandes d’une justice plus expéditive. Mais ce sont des opinions.
Il attaque VADIER sur des exécutions à visée personnelle à Pamiers. Cet acte serait ignoble mais il n’est pas avéré.
Il attaque le zèle outrancier des Commissions populaires dans toute la France. Mais les accusés n’en sont pas responsables.
Il attaque COLLOT D’HERBOIS sur sa mission à Lyon. Le rôle répressif de COLLOT D’HERBOIS est trop réel mais il a été approuvé par la Convention.
Il attaque BILLAUD-VARENNE et BARERE pour leur soutien au député LEBON, trop fameux représentant en mission sanguinaire. Mais là aussi, la Convention a approuvé.

Enfin et surtout, SALADIN attaque les accusés pour avoir exercé une tyrannie sur la Convention, par « divisions entretenues » (!!) entre ses membres, « dénonciations perpétuelles contre ses membres les plus énergiques », par compression de la Convention par la terreur. Pour l’amalgame, il cite Robespierre: « Quiconque tremble en ce moment est coupable » et BILLAUD-VARENNE: « Malheur à ceux qui se sont assis à côté de lui ! » (Fabre d’Eglantine, guillotiné avec Danton)
L’affaire Danton est minutieusement décrite. Elle a en effet été l’occasion d’actes tyranniques. Des manoeuvres mensongères ont permis d’obtenir l’accord de façade de la Convention. Cette accusation, la plus pertinente, révèle ce qu’est le traumatisme suprême des Conventionnels à ce moment-là. Mais au lieu de s’en tenir là, SALADIN synthétise sa liste d’accusations par le concept de « l’influence despotique sur la Représentation Nationale ». Politiquement, il place la Convention en porte-à-faux : soit elle a été lâche, soit c’est une girouette à cinq cents têtes !!! SALADIN révèle un immense malaise.

LE RESULTAT
En tous cas, la conclusion du rapport stipule qu’il y a lieu à accusation contre les quatre prévenus comme « principaux auteurs de la conjuration tramée contre le peuple » Toute liberté est assurée aux prévenus pour leur défense.

A la demande de LEGENDRE, très proche ami de Danton, leur arrestation immédiate est décrétée à une immense majorité. Toutefois, l’unanimité fait défaut, même si aucun opposant ne s’est exprimé.

Cependant, la question de fond reste en suspens jusqu’à aujourd’hui. La Convention a-t-elle été veule ou a-t-elle simplement changé d’avis ?
Ce rapport Saladin a été critiqué comme partial, (rien sur la situation militaire ou les trahisons de l’époque, par exemple), même par des Conventionnels modérés comme ENJUBAULT le 24 Mars 1795. Il a considérablement accéléré la Réaction Thermidorienne en imposant silence aux républicains déterminés de la Convention Nationale.
Les circonstances sont timidement invoquées par Barère dans sa défense. Mais l’Histoire a jugé : succès de la défense nationale, sans crise alimentaire majeure, tout en poursuivant l’œuvre d’émancipation politique.

Quant à Saladin, il fut décrété d’arrestation comme complice des royalistes insurgés au 13 Vendémiaire An IV (5 Octobre 1795), condamné à la déportation comme complice des Royalistes au 18 Fructidor An V (4 Septembre 1797), mort dans son lit en 1812 à Paris.