Organisation

Civiles et Militaires

CHENIER

En général, les missions dans les départements amènent les députés à s’occuper de tout : mendicité, subsistances, hopitaux, éducation, religions, santé, commerce, police, déserteurs, prêtres réfractaires, ventes de biens nationaux, surveillance et encouragement des autorités municipales et départementales. Servière s’occupe même d’arrêter les prostituées.
Les missions civiles s’étendent sur deux départements. Compte tenu de la superficie à contrôler et de la nécessité de tout parcourir, la tâche est immense. Il est fréquent de voir les Conventionnels, à cheval et presque seuls, se déplacer d’un bourg à un autre pour porter la bonne parole… et intervenir inopinément dans telle réunion locale. De plus, certaines missions civiles sont aussi violentes et périlleuses que les missions militaires. Dans le volume gigantesque des arrêtés pris par les représentants en mission, il est normal de trouver des initiatives surprenantes : chaque représentant agit en urgence, au mieux et d’après son seul jugement. En fait, tout dépend de la personne du Représentant, et surtout des dispositions de la population.
Si les missions civiles sont les yeux de la Convention, les missions aux armées sont son épée. Avec des pouvoirs illimités ou même extraordinaires, les plus énergiques Conventionnels ont joué un rôle de premier plan aux armées dans la libération du territoire. Quand un rideau de sang a paru cacher l’action civile de la Convention, quand tous les journalistes de la Restauration voulaient montrer la République comme l’âge de la plus horrible barbarie, c’est là que ses défenseurs ont toujours trouvé les plus grands exemples des vertus républicaines. Rien ne prédispose les médecins, les avocats et les notaires à la conduite des armées. Pourtant, la personnalité des représentants aux Armées inspire au soldat un respect surprenant. Le civil investi de la légitimité populaire s’impose au militaire de carrière.
Levasseur, médecin de son état, refuse d’abord une mission à l’Armée du Nord. Carnot le convaint qu’il est l’homme de la situation. Arrivé sur place, Levasseur fait arrêter le général en chef Houchard au milieu de ses soldats qui l’adorent. Il lance aux guerriers assemblés qui murmurent : “Je tuerai de cette épée le premier qui fera mine de désobéir, ou bien il faudra me tuer !” Levasseur est obéi. Le général Jourdan, qui eut à commander plus de cent mille hommes, explique qu’il se sentait désemparé devant Saint-Just.
Les représentants en mission aux armées doivent se démultiplier : pourvoir à l’approvisionnement en vivres, en eau-de-vie, en chaussures, en habits, en cartouches, en fusils, en poudre, en tentes, prévoir des cantonnements, voilà sur le plan matériel ; stimuler les troupes de ligne qui regrettent l’ancien régime ou leurs généraux, rassurer les volontaires et les réquisitionnaires prompts à la débandade, charger en tête des troupes ou rester sous la mitraille, maintenir les panaches tricolores à la vue des soldats, voilà sur le plan humain ; surveiller les officiers et surtout obtenir l’obéissance et forcer le respect des généraux, au besoin opérer les destitutions et les arrestations nécessaires, maintenir le moral des troupes, réprimer la désertion, vivre comme les soldats, lire sur le front des bataillons les décrets de la Convention déclarant que l’Armée des Pyrénées Orientales, l’Armée du Rhin ou l’Armée de Sambre et Meuse a bien mérité de la patrie, voilà sur le plan politique ; appliquer les directives du Comité de Salut Public, effectuer les choix tactiques appropriés, et vaincre, voilà sur le plan militaire.
Bourbotte, Duquesnoy, Choudieu, Soubrany, Féraud, Levasseur, Delbrel, Bellegarde, Haussmann, Augustin Robespierre, Lebas, Bô, Hentz, Garrau, une trentaine d’autres sans même parler de Carnot et de Saint-Just, ont rendu d’immenses services. Même d’autres plus douteux, comme Barras et Fréron, probablement transcendés par la ferveur de leurs compagnons, ont montré à certains moments une bravoure et un sens du devoir admirable. Les plus grands, les meilleurs, n’ont pu accomplir ces travaux d’Hercule sans encourir de reproches. Par la suite, afin de justifier l’arrestation des anciens missionnaires Montagnards, la réaction thermidorienne trouvera toujours tel individu arrêté arbitrairement, tel officier suspendu sans motif, telle réquisition abusive. Mais dès la Restauration, après l’écroulement de l’Empire, après deux invasions, l’Histoire leur reconnaît un rôle éminent dans la libération. A tel point que leur souvenir sera invoqué à chaque crise nouvelle.

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