Deux Montagnes, Indulgents et Ultras, Novembre - Décembre 1793

Plus Patriotes que Nous !

10-MESSIDOR

Le retour de Danton le 20 novembre ne change pas tout d’abord fondamentalement les données. Son absence lui a causé un tel tort que les députés n’osent pas lui parler. Des Montagnards l’attaquent à mots couverts comme déserteur. Ses initiatives les plus salutaires sont écartées d’office. Sa première intervention sur “l’économie du sang et des hommes” est très froidement accueillie. De plus, Danton s’abouche avec Thuriot, lui-même suspect aux Comités. Quand, avec Thuriot, Danton propose l’institution de Procureurs Départementaux afin de soutenir localement le Gouvernement Révolutionnaire, Billaud-Varenne et Barère, du Comité de Salut Public, sans même discuter la proposition, s’y opposent. Pourtant, l’idée de Danton, récupérée par Billaud-Varenne, donne naissance, quelques jours plus tard, à l’institution d’Agents Nationaux qui ont exactement le rôle défini par Danton. Très inquiétant.
Pendant ce temps, les Ultras s’appuient sur les sections et assaillent la Convention de délégations anticléricales. Une mascarade anti-religieuse obtient même de défiler devant la Convention. Aux Jacobins, la pression Ultra se précise. Cloots, Baron prussien et député Ultra, en est élu Président. Hébert, qui y fait la loi, traite Fréron, l’ami intime de Desmoulins, de Muscadin (homme de main royaliste). Les Ultras paraissent devoir imposer leur politique déchristianisatrice et leurs surenchères. Mais la riposte s’organise et Robespierre met son immense poids dans la balance.
Aux Jacobins, pour la première fois, il dénonce solennellement une faction, qui veut entraîner la Révolution à des excès contre-révolutionnaires. A partir de ce jour, les Jacobins commencent à exclure les Ultras. Une semaine plus tard, les Ultras reculent sur le terrain de la déchristianisation et Chaumette, le Procureur de la Commune, interdit les mascarades. Les Ultras perdent à la fois un outil de propagande et une partie de leur influence aux Jacobins.
Or, depuis son retour, Danton lève la voix chaque jour davantage. Danton a changé de tactique. Après s’être défendu soigneusement, après avoir récupéré une partie de son influence passée, Danton s’est placé sur la longueur d’onde de Robespierre. Il attaque les excès et décrit les Ultras comme aussi dangereux que les contre-révolutionnaires. Le 3 décembre, Danton attaqué une fois de plus aux Jacobins, est soutenu et défendu par Robespierre : “Qu’ils se montrent, ces hommes qui sont plus patriotes que nous !” Et quand, pour montrer leur force, les Ultras lancent une convocation des sections, le 4 décembre, le Comité de Salut public, conforté par la Convention, interdit cette assemblée comme insurrectionnelle. Les Ultras sont cette fois obligés de faire amende honorable et de se tenir momentanément tranquilles. La formidable alliance entre Danton et Robespierre est scellée contre les Ultras. A ce moment, Robespierre est le plus “indulgent” des membres du Comité de Salut Public, et Danton est le plus “pro-gouvernemental” des Indulgents.
Mais les Indulgents voulent profiter du relatif affaiblissement des Ultras. Malgré l’attitude prudente de Danton, qui tente de canaliser les initiatives de ses amis, les Indulgents recommencent des attaques dangereuses et mal préparées. Philippeaux, par exemple, vexé de l’échec de son plan d’attaque contre les Vendéens, a publié un manifeste plein de dénonciations, de récriminations et de conseils prétentieux au Comité. Pêle-mêle, il y attaque les généraux Ultras, les fautes du Comité de Salut Public, le pouvoir abusif des Comités en matière d’arrestation des députés, l’impéritie du Ministre de la Guerre et du secrétaire général Vincent, le choix des généraux et, de proche en proche, toutes les mesures autoritaires que le Comité est obligé de prendre. En tout, l’excès nuit et Philippeaux est excessivement excessif. A la lecture de ce brûlot, Billaud-Varenne qui apprécie peu les donneurs de leçon, a dû grincer des dents.
Puis, le 12 décembre, nouveau raté. Les deux rouquins de l’assemblée, les Indulgents Bourdon de l’Oise et Merlin de Thionville profitent d’une maigre assistance et de l’absence des membres du Comité de Salut Public pour proposer et obtenir son renouvellement. “Il y a dans ce Comité quelques membres qui ne plaisent pas à toute la Convention.” disent-ils. L’élection est prévue pour le lendemain. Or les Indulgents, comme surpris de leur victoire, n’ont pas préparé l’alternance. L’histoire a seulement retenu que Dubois-Crancé, l’ennemi de Couthon, membre du Comité de Salut Public très proche de Robespierre, était un des candidats. Le lendemain, les partisans du Comité sont présents. A la demande de Julien de la Drôme, le principe du renouvellement est abandonné dans l’indifférence.
Au total, cette initiative a compromis Danton vis-à-vis du Comité de Salut Public et les Indulgents ont dévoilé leurs intentions inutilement. Aujourd’hui, un remaniement ministériel est préparé et annoncé en même temps que la nouvelle composition du gouvernement. Cela devrait être encore plus vrai en 1793 où chaque minute compte. Or, quand l’opportunité se présente de remplacer en toute légalité le Comité de Salut Public, les Indulgents n’ont pas de solution de remplacement alors qu’une nouvelle équipe pouvait être investie sur-le-champ !
Cependant, l’alliance Danton-Robespierre résiste aux saccades. Leur ami commun, Camille Desmoulins lance un journal, le “Vieux Cordelier”, machine de guerre contre les Ultras. Desmoulins est encouragé et conseillé par Robespierre qui compte contrebalancer l’influence du journal d’Hébert, le Père Duchesne. Aux Jacobins, Robespierre obtient l’exclusion du député Ultra, Cloots, leur tout récent président. Le 15 décembre, dans son Numéro 3, le Vieux Cordelier de Desmoulins prend parti nettement pour les Indulgents et réclame un “Comité de Clémence”.
Mais Desmoulins, imprudent, soutient le compromettant Philippeaux et prend à partie sévèrement Collot d’Herbois, en mission à Lyon. Or Collot d’Herbois est membre du Comité de Salut Public. Robespierre veut le séparer des Ultras sans provocation. Robespierre, pour qui cette attaque est impolitique, commence à être en porte à faux et embarrassé. Doit-il soutenir ses convictions et Desmoulins, ou son collègue du Comité attaqué ? La solidarité gouvernementale doit-elle passer avant l’amitié ?
Pendant cette période, la Convention assiste à des luttes d’influence aussi nombreuses que stériles. Il suffit de quelques députés remuants pour relancer l’agitation. Le 16, l’Indulgent et inconséquent Bourdon de l’Oise dénonce pour la troisième fois Hérault de Séchelles, membre du Comité de Salut Public et ami de Danton. Le 17, les Indulgents obtiennent l’arrestation de trois dirigeants Ultras, Vincent, Ronsin et Maillard. Puis Bourdon de l’Oise cherche à obtenir le remplacement de Bouchotte, ministre Ultra de la Guerre. Bouchotte est convoqué à la barre. Le soir aux Jacobins, les Indulgents triomphent de cette humiliation. Mais le lendemain à la Convention, Bouchotte est mis hors de cause.
Commence alors une guerre de pétitions, pétitions plus téléguidées les unes que les autres. Le 20 décembre, une pétition de femmes réclame la libération de leurs parents abusivement emprisonnés comme suspects. Les responsables de ces arrestations sont les Comités de Surveillance sous l’influence des Ultras. Robespierre, sincèrement ému et impressionné, fait décrèter une Commission d’Examen, copie du Comité de clémence de Desmoulins … Le lendemain, une pétition des Cordeliers demande au contraire le jugement et la mort des 73 députés Girondins emprisonnés. Robespierre les traite de “désorganisateurs” et parvient à éluder la question. Puis, l’Indulgent Fabre d’Eglantine obtient l’arrestation de Mazuel, dirigeant Ultra. Le succès des Indulgents paraît total.
Mais, coup de tonnerre dans le ciel Indulgent, ce 21 décembre, Collot d’Herbois est de retour de Lyon. Robespierre et Couthon sont très critiques sur sa mission. Aussi, sans paraître devant eux au Comité, il obtient habilement l’approbation de la Convention sur sa conduite de la répression. Couthon, le prédécesseur de Collot d’Herbois à Lyon, préside la Convention, muet. Le soir même, Collot d’Herbois est acclamé aux Jacobins.“Si j’étais arrivé trois jours plus tard, je serais peut-être décrèté d’accusation.” Les Ultras reprennent espoir. Collot d’Herbois attaque Desmoulins. On entend : “Desmoulins frise la guillotine”. Puis Hébert se défoule sur les quatre “endormeurs, complices de Brissot,queue de la Gironde”. Quelles sont ces quatre bêtes noires d’Hébert et des Ultras ? Ce sont en fait les quatre députés activistes Indulgents : Desmoulins, Fabre d’Eglantine, Philippeaux et Bourdon de l’Oise. Prudemment, Hébert débite un vibrant éloge de Danton et de Robespierre … avant de réclamer des mesures qu’ils combattent, comme l’éxécution des 73. Hébert, avec l’assentiment de Collot d’Herbois, invite les Jacobins à présenter une pétition dans ce sens.
Même si, le lendemain, mystérieusement, la pétition des Jacobins présentée à la Convention est devenue anodine, Hébert et son journal sont “regonflés”. En parlant du retour de Collot d’Herbois, il annonce : “Le Géant a paru !” Cependant, le 23, la nouvelle pétition des Cordeliers pour la mort des 73 ne rencontre aucun écho. A la Convention, les Indulgents contrôlent la situation.
Le soir aux Jacobins, Collot d’Herbois interpelle Philippeaux qui a mis en cause le Comité de Salut Public.Philippeaux bafouille quelques paroles peu convaincantes.Danton, excédé des incartades de son ami imprudent, lui lance : “Il faut que tu prouves ton accusation ou que tu portes ta tête sur l’échafaud”. Le moins que l’on puisse conclure du ton adopté par Danton, c’est qu’il est décidé. Danton “colle” au Comité de Salut Public. Pour gagner en crédibilité, il est déterminé à proscrire les excès et les initiatives intempestives de ses amis Indulgents.
A ce moment-là, Danton et Robespierre sont politiquement très proches, presque soudés. Aux Jacobins, ils lancent en choeur un appel à l’union. Ensemble, ils neutralisent les Ultras. Incontournables. Leur pouvoir paraît solide. Aucun député, aucun révolutionnaire, aussi prestigieux soit-il, ne peut espérer rivaliser avec un tandem de cette trempe.

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