Dix Neuf Brumaire, 9 Novembre 1799
Putsch   |   Parlement-croupion   |   Choix décisif   |   Opposants   |  

Opposants

GUADET

L’habileté de Bonaparte et l’absence des grands révolutionnaires sont pour beaucoup dans la relative faiblesse de l’opposition. Peut-on imaginer comment Vergniaud et Robespierre, Danton et Lasource, Pétion et Marat, Brissot et Saint-Just, tous ennemis mortels en leur temps, auraient stigmatisé l’ambitieux, le factieux, le conjuré, l’assassin de la liberté. La disparition de ces grands caractères rend possible le projet et la réalisation du coup d’état militaire. Tous les hommes lucides méditent alors la phrase de Billaud-Varenne, témoin impuissant, à cinq mille kilomètres de Paris, de la fin de la République : “Le gouvernement militaire est le pire après la théocratie.”
Parmi les fondateurs de la République, ex-conventionnels en opposition radicale au coup d’état, signalons d’abord les réactions extrêmes. Le Montagnard Hilaire Laurent, chassé à coups de crosse lors du coup d’état, meurt de chagrin en avril 1801. Son homonyme Bernard Laurens en août 1802. Le républicain modéré Bonguiod, dépressif depuis la proclamation de l’Empire, se suicide en juillet 1804. L’ancien Girondin Génissieu, dernier président de la Convention, arrêté et emprisonné à la Conciergerie au 19 Brumaire, s’éteint, rongé par la douleur en octobre 1804. Gourdan, ancien centriste, refuse une place de juge parce qu’il “ne reconnaît pas un gouvernement établi par la force”. Expulsé de Paris, il meurt de chagrin en novembre 1804. Le 19 juin 1804, à la proclamation de l’Empire, l’ancien montagnard Frécine se suicide d’un coup de fusil dans la bouche. Ces réactions paraîtront excessives. Mais il faut conserver à l’esprit ce que l’établissement de la République a coûté à la France et à ces hommes. La forme politique du gouvernement n’est pas comme aujourd’hui une donnée intangible. Les républicains ont payé cher la fondation et la défense de la république. Cette République, aussi imparfaite qu’elle soit, est le fruit de leurs travaux et de leurs sacrifices. Leur protection toute paternelle n’a pas suffi. A l’Ancien Régime, se substitue la dictature. Entre les deux, la République, fille des Conventionnels, périt sans procès, d’un coup d’état. Sa chute est un véritable traumatisme pour ses fondateurs.
Dans le cas général, les députés, purement et simplement exclus du Corps législatif, rentrent dans la vie privée. Le gouvernement ne les consulte pas et les met en fiches. Ces Représentants du Peuple, victimes de l’arbitraire, conservent pour toute richesse leur dignité. Ces opposants, qui n’auront plus d’autre opportunité, boudent la dictature. De son côté, le Premier Consul les a catalogués et marginalisés. Les opposants sont interdits de toute manifestation publique. Pour eux, les quatorze années du Consulat et de l’Empire se passent en famille. C’est le retour à la vie domestique pour les ex-conventionnels Dornier, Ferry, Pellissier, Dormay et tant d’autres républicains inflexibles.
Les ex-conventionnels déjà rendus à la vie privée sous le Directoire, doivent aussi se déterminer. S’ils font amende honorable, s’ils prêtent serment et s’ils votent comme l’immense majorité des Français, ils conservent une petite chance d’approcher à nouveau le pouvoir. Car Bonaparte a trouvé une astuce diabolique pour légitimer son pouvoir : il invente le plébiscite moderne. Les plébiscites de Bonaparte se font à scrutin public et permettent de dresser les listes d’opposants. Bonaparte demande successivement au peuple d’approuver le Consulat, puis le Consulat à vie, puis l’Empire.Le peuple souverain consulté devient ainsi “ses sujets”. Le nombre des NON n’a jamais dépassé les 8000 voix par rapport à 3 000 000 de OUI.
On mesure alors le courage de ceux qui votent NON. Rentrer dans l’opposition à cette époque, c’est entrer dans la Résistance en 1940. Les dangers ne sont pas comparables mais le climat général est analogue. C’est, à la lettre, se battre pour l’honneur, sans espoir, et risquer de supporter les conséquences de cet engagement pour le restant de leurs jours. Pour l’honneur de la Convention justement, nombre de ses membres prennent le parti de David-démocratie contre Goliath-dictature. L’Empire ne s’occupe plus d’eux que pour les espionner et les emprisonner. Martel, Souhait ou Lecointre votent contre le Consulat à vie et l’Empire. Joubert, Jouenne-Longchamp, Leyris, Daubermesnil, Vitet, Conventionnels discrets, se révélent ardents républicains face au coup de force militaire. Les personnalités plus fortes de Camus, Delbrel, Lesage-Senault, Talot, et Michaud, ne réservent pas de surprise et rejettent totalement le coup d’état. De même que Roux-Fazillac, Siblot, Reverchon, Vidalot, Ramel, Artaud-Blanval, tous anciens montagnards ou centristes républicains à la Convention.Même le thermidorien Bar refuse de coopérer avec le nouveau pouvoir. Tous rentrent dans la vie privée et s’enveloppent dans leur manteau de fierté et de mépris. Pressavin est un cas à part.Il rentre tellement dans la vie privée qu’on perd définitivement sa trace.
Les montagnards de premier plan tels que Lindet, Cambon, Prieur de la Marne, reprennent leur profession. Pour Dubois-Crancé, ancien ministre,“on ne sert pas un homme après avoir servi la République”. Billaud-Varenne, déporté depuis quatre ans en Guyane refuse de revenir en France pour ne pas reconnaître le Gouvernement issu d’un coup de force. L’ancien Girondin Mercier veut voir tomber le tyran. Son ami Larévéllière aussi, ancien Directeur, qui sacrifie ses légitimes ambitions. Les anciens Montagnards Crévelier, Maignet et Monmayou refusent des opportunités alléchantes. Prieur-Duvernois, écoeuré, refuse toutes les fonctions, malgré l’insistance de son ami, le Ministre Carnot.
Or, le Premier Consul Bonaparte n’est pas tendre envers les anciens Conventionnels qui refusent la dictature. Lui qui prétend réunir les Français, semble leur accorder plus de pouvoir qu’il n’en ont et les persécute. Florent-Guiot est Ambassadeur du Directoire en Hollande. A son retour, après le coup d’état, cet ancien montagnard refuse le cadeau d’un siège de député et est harcelé pendant tout l’Empire. Les vexations policières sont monnaie courante. Beaucoup de députés ou ex-conventionnels, même rentrés dans la vie privée, sont espionnés de près ou emprisonnés comme au temps des lettres de cachet. Parmi les plus connus, on trouve les anciens Montagnards Lecointre, Lesage-Senault, Lequinio, Laignelot, Lejeune. Ricord qui est pourtant à l’origine de l’ascension de Bonaparte, est lui aussi emprisonné. Après l’attentat royaliste de la rue Saint-Nicaise en décembre 1800, cent trente républicains sont déportés arbitrairement sans jugement, parmi lesquels plusieurs anciens conventionnels comme Talot, Sergent et Julien de Toulouse.
L’ensemble de ces opposants au coup d’état représente au total une proportion importante des ex-conventionnels survivants. Le plus souvent, les opposants à Bonaparte siégeaient à la Convention sur les bancs de la Montagne. Les survivants de la Gironde progressiste, Guyomar, Bertrand-L’Hodisnière, Quirot, Poullain-Grandprey, Fronton-Duplantier, Daubermesnil, sont aujourd’hui à leurs côtés. Enfin, quelques députés de la Plaine, jadis en retrait à la Convention, sont aussi dans l’opposition. Ceux-là ont eu sous le Directoire la “révélation” de la république. De tous ceux-là, aucun ne fait carrière sous l’Empire.
Citons enfin quelques cas particuliers. Quelques opposants de droite, irréductibles légitimistes de la Convention, comme Saladin et Delahaye, complotent contre l’Empire au profit des Bourbons. Par ailleurs, le nouvel homme fort veut réunir autour de lui tous les talents, toutes les volontés et toutes les fortunes … à la double condition de ne pas s’être trop compromis dans la Révolution et d’accepter le nouveau pouvoir. Curieusement, sont ignorés du maître les chefs Thermidoriens, pourtant carriéristes par nature. Bonaparte n’en veut pas parmi les carriéristes de l’Empire.Seule exception : André Dumont qui devient sous-préfet. Mais Barras, Fréron, Tallien, Merlin de Thionville, Reubell, Ysabeau, Bergoeing sont trop voyants pour Bonaparte. Excessivement corrompus, ils rappellent probablement à Napoléon une période désagréable et compromettante. Parce qu’il leur doit beaucoup, le futur Empereur s’en débarrasse. Le débiteur a honte de ses créanciers.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.