La Convention et la Postérité
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Héros

CHABOT

D’autres députés distinguent bien davantage la Convention. Là, le drame sert de véritable révélateur. Anonymes dans la multitude des sujets du roi, ils deviennent des personnages hors du commun. Déconnectés des contingences matérielles, presqu’inhumains, ils sont appelés colosses, géants, héros, hallucinés ou fanatiques, selon les auteurs. L’impression demeure en tout cas d’individus hors norme. Pour les comprendre, il faut leur prêter une force de conviction exceptionnelle. Partie considérable de l’image laissée par la Convention, admirables, mais souvent inquiétants, les “héros” sont si entiers dans leurs convictions qu’ils dérangent le témoin d’aujourd’hui. Saint-Just incarne ce culte de l’absolu. On ne discute pas avec quelqu’un qui annonce froidement : “Je méprise la poussière qui me compose et qui vous parle ! … Je défie qu’on m’arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux !” Le 9 Thermidor, il restera muet, les bras croisés à la tribune, toisant toute la Convention en ébullition.
Le mépris pour le monde d’ici-bas transparaît dans les lettres intimes qui nous sont parvenues. Ecrivant à leurs proches, pour toute confidence, les héros multiplient les références au salut de la République, leur déesse. On les voit se sacrifier, incroyablement sereins face à leur mort. Comme au théâtre, la vie terrestre a moins de valeur que l’honneur. Mais l’austère Gilbert Romme ne joue pas la comédie. A quelques instants de sa fin, il écrit : “J’ai fait mon devoir. Mon corps est à la loi ; mon âme reste indépendante et ne peut être flétrie. Mon dernier soupir, en quelque temps, en quelque lieu, de quelque manière que je le rende, sera pour la République, une, indivisible, fondée sur la Liberté et l’Egalité.” Et Duquesnoy, le jour de son suicide : “J’ai l’âme calme. Je n’ai rien à me reprocher. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Vive à jamais la République démocratique !” Courage, détermination et ténacité inflexibles, mais aussi froideur, éloignement, et orgueil insupportable, tels sont les héros.
Alors que la Convention se compose majoritairement d’hommes de bien, elle doit sa réputation aux sanguinaires, aux arrivistes et aux héros inhumains. Mais un type de conventionnel reste trop ignoré. Plus sympathiques que les héros, ils ont montré autant de qualités humaines que de talents politiques. Boyer-Fonfrède, le conciliateur, invente le jury populaire, et, au pied de l’échafaud, il embrasse le frère de sa femme, Ducos. Celui-ci, un des premiers, réclame la république, la laïcité, l’exemption des nécessiteux de l’impôt. L’arrestation de son ami Vergniaud le rend ivre de douleur. Goujon, un des responsables des subsistances pour toute la République, supplie les juges de faire parvenir son portrait à sa famille. Bourbotte distingue Marceau et Davout, et sur le champ de bataille de Savenay, recueille et adopte un enfant abandonné par les Vendéens. Peu avant sa mort, il “recommande son malheureux fils à tous ceux que ses malheurs pourraient interesser.” Soubrany repousse les Espagnols à la tête de l’Armée des Pyrenées Orientales. Inflexible au combat, il a des attachements et des faiblesses bien humains. Arrêté, il écrit : “Tranquille sur mon sort, fort de mon innocence, je n’ai d’inquiétude que pour ma mère.” Ou encore : “Ma vie appartient aux hommes. Je la leur abandonne. Ils me l’ont rendue odieuse.”
Conviction certes, mais aussi modestie et fraternité, distinguent Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède, Jean-François Ducos, Jean-Marie Goujon, Pierre Bourbotte, Pierre Soubrany, beaucoup d’autres.Exemples de conviction généreuse et d’abnégation, ils sont des héros de bonne volonté. Pour cette raison, ils n’ont pas la dose d’extrêmisme, de “monstruosité” nécessaire pour retenir l’attention de la postérité.
Encore moins dignes d’intérêt selon les critères classiques, des Conventionnels de premier plan et d’une rectitude exemplaire ont été oubliés parce qu’aucune violence ne vient “dynamiser” leur image. Des députés comme Edmond Dubois-Crancé, Jacques Thuriot, Louis-Marie Larévéllière, Pierre Guyomar, François-Xavier Lanthenas, méritent pourtant à des titres divers, l’hommage du progrès. Parmi les oubliés surprenants, citons aussi, Claude-Antoine Prieur-Duvernois, Pierre-Louis Prieur de la Marne, André Jeanbon Saint-André, tous trois membres d’un Comité de Salut Public fameux et corresponsables de son action ainsi que Jean-Marie Hérault de Séchelles, principal auteur de l’audacieuse Constitution de l’An I. Tous ces acteurs importants de la Convention sont pourtant ses véritables ambassadeurs, capables de porter dans l’Histoire son message de fraternité humaine.

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