L'Exil et la Mort, 1815 - 1830
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Les Flammes éternelles

05-PLUVIOSE

Entre 1815 et 1848, les conventionnels sont soumis à une pression immense, de la part des autorités, du clergé, des journaux, de leur famille et de tout leur entourage. La plupart des non-votants se renient. La position des exilés est plus compliquée. Comme ce qui était le bien, jadis, est devenu le mal aujourd’hui, beaucoup minimisent leur rôle, presque honteux de leur passé. Hélàs pour eux, ils ne peuvent gommer leur signature. Mennesson se reproche son vote régicide pendant toute sa vie, en une véritable torture mentale. Ceux-là se sont toujours laissés entraîner. A la remorque de la Convention, des Montagnards, des Thermidoriens, du Directoire puis de Napoléon, ils auraient bien voulu changer de locomotive. Mais le train des Bourbons les laisse sur le quai d’une gare étrangère. Pour revenir en France, ils s’abaissent.Pour obtenir le pardon, ils s’excusent, se renient, s’agenouillent, embrassent les pieds de Louis XVIII, lui jurent une fidélité éternelle.
De même, les régicides ayant été excommuniés, la liste est cruelle des moribonds qui veulent échapper aux flammes éternelles. Au seuil de la mort, pour obtenir l’absolution et l’Extrême Onction que le prêtre lui refuse, le régicide François-Primaudière rétracte son vote et renie la Convention. Ferroux nie même sa participation aux travaux de l’assemblée diabolique. Isnard, le responsable de la proscription des prêtres réfractaires, qu’il qualifia en 1792 de “lâches, vindicatifs, superstitieux et pestiférés”, écrit au pape pour obtenir son pardon et vire au mysticisme. Martineau veut renouer avec le Roi, et demande pardon à Dieu et aux hommes, de son vote et d’avoir abandonné la Religion. Royer, ancien évêque, supplie le Pape de pardonner son serment à la Constitution Civile du clergé. Méconnaissables, les farouches conventionnels.Quel plaisir, quelle jouissance, ils procurent à ceux qui les ont combattus sans succès vingt trois ans plus tôt.
A côté, le plus souvent mieux logés et mieux nourris, les “magnats”. Ce sont ceux qui ont plié devant Napoléon, mais, titrés et fortunés comme le Baron Chazal et le Comte Thibaudeau, vis-à-vis de la Restauration, ils conservent leur dignité. Pour eux, la Convention, c’est de l’histoire ancienne. Voulant tirer un trait sur cette période qui les met mal à l’aise, ils n’en disent pas de mal puisqu’ils n’en parlent pas. Cependant le Baron Debry tient la Convention en une telle horreur qu’il ne supporte pas la vue de ses compagnons d’exil. Les Magnats conservent souvent en France des relations haut placées. Ils sont entourés de visites et d’attentions. Ce sont des personnalités de haut rang, bannies certes, mais que la Restauration ne peut complètement mépriser, compte tenu de leur pouvoir passé.
Enfin, l’exil révéle d’autres tempéraments. Rétrospectivement, on comprend mieux l’atmosphère volcanique de la Convention dans les années héroïques à travers le comportement irréductible de quelques survivants. En dehors de l’exaltation du moment, isolés, sans autre enjeu qu’eux-mêmes, ils conservent leur dignité. Michaud, qui, après quinze ans d’opposition à la dictature, a signé son ralliement à Napoléon aux Cent-Jours, refuse obstinément de détruire le registre où sa signature est portée, et préfère l’exil au mensonge. Hourier-Eloy, Laloy et Monmayou, exilés, refusent de rentrer en France. On leur permet le retour pour prix d’un reniement et d’un serment au roi. C’est trop leur demander. Monmayou : “Une loi m’a frappé, c’est une loi qui doit me rappeler.” Laloy : “Votre drapeau n’est pas le mien !” Leur attitude illustre autant leur fierté que leur fatalisme. Refusant le retour à la sauvette, ils n’osent penser, qu’un jour viendra où ils n’auront pas besoin de pardon pour rentrer chez eux. En tout cas, il semble que la tenacité et la longevité aillent de pair. Laloy atteint 97 ans, Hourier-Eloy meurt à 95 ans après la proclamation de la Seconde République !
Ainsi, malgré l’environnement, l’âge, la misère, l’isolement, les difficultés matérielles, des Conventionnels, même dispersés, gardent une fierté ombrageuse. Envers et contre tout, le culte de la Convention, le feu sacré survivent en eux et ils y croient encore. Par testament, cinquante ans après, l’ancien centriste, Julien Souhait, lègue sa fortune à tous les survivants nécessiteux de la Convention. Bien qu’elle lui ait valu quinze ans d’exil, il affiche fièrement sa participation aux travaux de“la très haute, très illustre et invincible Convention Nationale.” Dans son testament, Blondel, député insignifiant à la Convention, se proclame l’“un des fondateurs de la République”.
D’autres personnalités, de plus grande envergure, scandalisent parce qu’ils sont fidèles à eux-mêmes. Saint André, devant un parterre d’officiers :“Le gouvernement du Comité de Salut Public a sauvé la France. J’en étais et je m’en fais gloire !” Barère, dans un salon bien-pensant, au sujet de l’interrogatoire de Louis XVI :“Si c’était à refaire, je le referais !” Piorry, à son retour en France après quinze ans d’exil :“Ce serait à refaire, je voterais de la même manière !”.
Alors que tout annonce le triomphe définitif de l’absolutisme européen, les plus fermes conservent même une confiance surprenante dans l’avenir. Au moment suprême, leur combat revient au premier plan. Genevois-Duraisin, agonisant, demande à son domestique de venir sur sa tombe informer sa dépouille du départ des Bourbons : “Monsieur, nous les avons chassés !”. Les Montagnards historiques, les durs, les inflexibles, ont conservé toute la raideur et la fermeté de la Convention. Vadier, Cambon, Barère, Prieur de la Marne, qui ont été au sommet du pouvoir, ne renient rien et assument son oeuvre, leur oeuvre.
Mais, outre les difficultés et les harcèlements de toutes natures, les dernières années des Conventionnels en exil sont empreintes d’un désespoir insondable. Cruauté suprême, le doute a pu les ronger. Ils ont pu croire que leurs immenses sacrifices étaient inutiles, que leurs idéaux étaient des mirages, que leurs ennemis avaient triomphé pour l’éternité. Peut-être se voyaient-ils plus comme des vestiges d’une époque révolue, que comme les accoucheurs de la démocratie. Et s’ils s’étaient trompés ? Cette seule pensée, loin des leurs, avait de quoi les détruire.
Car, de France, la réaction royaliste leur apporte chaque jour des nouvelles stupéfiantes. Charles X est oint à Reims de cette Sainte Ampoule, que les Conventionnels avaient détruite en 1793. Les Emigrés reçoivent un milliard d’indemnités, le crime de sacrilège est instauré, le droit d’aînesse doit être rétabli, la presse d’opinion est interdite, le Clergé contrôle l’université.

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