Aussi, pour saisir la réalité politique fugitive de la Convention, il est nécessaire d’étudier la composition de l’assemblée à intervalles réguliers. Afin de comprendre la logique de ses évolutions, brutales ou progressives, il convient de fixer de véritables instantanés de la Convention, aux périodes critiques. Les partis et les opinions n’étant jamais figés, l’étude de l’appartenance ou de l’attirance politique des députés est un véritable casse-tête historique. La résolution de ce casse-tête passe par la définition des tendances politiques et l’indication de l’appartenance politique de chaque député, à chaque période significative de la Convention. Chaque député est donc classé à chaque époque dans une des grandes familles politiques, détaillées au préalable. La rigueur mathématique s’applique mal aux passions humaines et l’attribution d’une tendance à chaque député paraît aléatoire. Cependant, l’histoire de la Convention permet de procéder à l’“étiquettage” de la plupart d’entre eux à chaque étape. Ainsi, les images politiques de l’assemblée, tirées à chaque moment significatif, donnent des débuts d’explication à l’inexplicable.
Les sources d’informations les plus riches sont les scrutins de la Convention: vote sur le jugement de Louis XVI, sur l’accusation de Marat, sur la Commission girondine des Douze. Ces votes par appel nominal, tous réunis au début de la session, permettent de dégrossir l’entreprise de classification. Par ailleurs, le choix des présidents, des secrétaires et des membres des comités révèle, même après le 9 Thermidor, l’orientation de la politique de l’assemblée, et induisent celle des élus. La composition des Comités des Gouvernement donne également une idée des dispositions de l’assemblée. Les autres critères sont l’appartenance au Club des Jacobins, l’activité au cours de l’An II, soit en mission, soit en comité, soit en séance. En l’An III, d’autres critères interviennent.Par exemple, la dénonciation de députés Montagnards permet le plus souvent d’identifier les Thermidoriens et les Royalistes actifs.
De plus, quelques positions politiques exprimées, soit par écrit, soit verbalement, permettent de cerner les options politiques des députés. Parmi les écrits, des signatures d’adresse ou de protestation sont instructives, comme les protestations contre le 2 Juin 1793, ou la demande d’appel nominal sur la déportation des anciens membres des Comités Montagnards. De même, quelques débats sont révélateurs. Les tenants du suffrage universel que sont Lanthenas, Thomas Paine, Lecointe-Puyraveau, Guyomar, permettent de les classer parmi la Gironde Progressiste. En revanche, Creuzé-Latouche, qui « invente » la Déclaration des Devoirs, appartient à la Gironde Réactionnaire. Enfin, les parcours politiques, avant et après la session permettent de complèter le portrait politique de tel ou tel député, notamment la révision de la Constitution à l’automne 1791, la scission des Feuillants à la même époque, le vote sur l’accusation de Lafayette le 8 août 1792, l’attitude au 18 Fructidor et au 18 Brumaire.
En intégrant toutes les informations disponibles et bien qu’une classification reste hasardeuse pour un certain nombre de députés, il est possible de mieux cerner les familles et sous-familles politiques avec leurs représentants marquants et leurs attitudes typiques. La classification habituelle des Conventionnels dégage trois grandes mouvances: Montagnards, Girondins et la Plaine. Quelques réflexions générales mettent en évidence ce que ce schéma a de trompeur dans sa simplicité.
La Droite de l’assemblée se subdivise vite en trois “sous-courants”: Girondins Progressistes, Girondins Réactionnaires et Royalistes. Après la persécution de 1793-94, la Gironde Progressiste a presque disparu. Les chefs, Vergniaud, Pétion, Brissot, Lasource, Boyer-Fonfrède, Jean-François Ducos, Condorcet, sont morts. Quelques individus restent cependant fidèles à l’idéal démocratique comme Lanthenas, Louvet, Larévéllière-Lépeaux et Guyomar.
Mêlé à cette phalange d’avant-garde, la Gironde compte au début un fort contingent de députés frileux, en réaction politique à la marche de l’assemblée. Par la suite, la plupart des survivants, qui ont une réaction humaine anti-montagnarde, renforce ce contingent. Les Girondins réactionnaires ne veulent pas de roi, mais encore bien moins la souveraineté du peuple. Tels sont Defermon, Doulcet-Pontécoulant, Pénières, Mercier, Creuzé-Latouche.
Comptés le plus souvent comme Girondins, les Royalistes se présentent en effet comme tels au début de la session. Actifs pour soutenir les mesures de lutte contre les Montagnards, ils ne votent pas la mort du roi.Après une mise en sommeil volontaire ou forcée, ils obtiennent de nombreux renforts en l’An III et cherchent à faciliter une restauration du trône. Leurs chefs sont Lanjuinais, Henry-Larivière, Lesage, Gamon, Aubry.
Le Centre de l’assemblée, ou la Plaine, se subdivise aussi en trois mouvances. Les Royalistes du Marais sont des députés suiveurs. Leurs sympathies royalistes ne vont pas jusqu’à la prise de risque. Ils désapprouvent tout ce qui s’est fait jusqu’à la chute de Robespierre, mais ils se taisent. Seuls, leurs votes modérés les désignent. Les Royalistes de la Plaine ne se manifestent qu’en 1795 pour dénoncer, réagir et aider les Royalistes actifs. Les principaux sont Pelet, Boissy d’Anglas, Durand-Maillane, Coren-Fustier, Marec, Jard-Panvilliers.
A côté, une autre partie de la Plaine se caractérise par un solide fond de conservatisme, caché par un constant suivisme tactique. Cette Plaine “molle” manque de chefs et de convictions. Cependant, elle soutient mollement les Girondins, puis glisse vers les Montagnards au temps de leur puissance avant de glisser vers la droite royaliste, le tout dans une discrétion remarquable. Quand la lutte est indécise, la Plaine Molle attend. Ses députés font nombre mais ne jouent aucun rôle moteur. Cependant, la lassitude et l’écoeurement amènent de plus en plus de députés à se fondre dans ce Marais suiveur. Il est difficile alors d’indiquer des députés leaders. Siéyès est cependant représentatif de ce suivisme tactique.
En revanche, la Plaine Républicaine, composée de députés actifs, se rapproche des Montagnards et participe même aux travaux de la Convention en l’An II. Comme ces compagnons de route ne se sont cependant pas trop compromis, ils restent actifs en l’an III. La plupart sont régicides et barrent la route aux Royalistes. Cambacérès, Merlin de Douai, Thibaudeau, Grégoire, Roger-Ducos, Marie-Joseph Chénier, Treilhard, sont les plus connus.
Enfin, la Gauche de l’assemblée est divisée elle aussi. Tout d’abord, la Montagne pure et dure est composée de Jacobins ou de députés proches des Jacobins. Dès le début de la session, ils se groupent autour de la délégation parisienne. Faciles à identifier, ils défendent les Montagnards attaqués dès le début et sont actifs en l’An II. Aux noms illustres de Danton, Desmoulins, Fabre d’Eglantine, Saint-Just, Robespierre, Marat, Couthon, Billaud-Varenne, il convient d’ajouter des hommes moins connus mais importants comme Amar, Basire, Chabot, Lamarque, Saint-André, Prieur de la Marne, Anthoine, Gasparin, Romme, Bourbotte, Garrau, Levasseur, Choudieu, Fayau.
A côté d’eux, un groupe important se compose de Montagnards ralliés. Ceux-là quittent la Plaine ou la Gironde dans les premiers mois de la session et deviennent Montagnards lors du Procès du Roi. Ce sont des hommes influents, qui ne reconnaissent pas les Jacobins comme source de toute vérité. Eux aussi sont actifs en l’An II. Lacroix, Thuriot, Cambon, Barère, Hérault de Séchelles, Lindet, Carnot, Prieur-Duvernois, Mallarmé, Charlier, appartiennent à ce groupe.
A la Montagne, siègent également des députés Ultras. Très minoritaires, souvent excessifs ou intempestifs, à la tribune ou en mission, parfois sincères, souvent dénonciateurs démagogues, ils sont critiqués ou rappelés avant Thermidor. Sympathisants de l’opposition de gauche extraparlementaire, les principaux représentants Ultras sont Collot d’Herbois, Vadier, Javogues, Fouché, Carrier, Albitte, Léonard Bourdon, Bentabole, Rovère, André Dumont.
L’étude de la Montagne se complique du fait de l’émergence des Thermidoriens. Car les Montagnards se divisent. Les trois mouvances, dure, ralliée, ultra, se fondent, après le 9 Thermidor, en deux: les Montagnards maintenus, ou orthodoxes, et les Thermidoriens. Les orthodoxes restent membres des Jacobins après Thermidor, défendent l’oeuvre accomplie en l’An II et ses responsables attaqués. Les orthodoxes sont proscrits ou menacés en l’An III. Dans un premier temps, les Thermidoriens sont les participants à la chute de Robespierre au 9 Thermidor, tels Tallien, Fréron, Barras, Bourdon de l’Oise, Merlin de Thionville. Puis, un flot de Montagnards se joint à eux, par interêt ou par crainte des proscriptions.Ceux-là obtiennent le pardon en échange de leur aide et de l’abandon de leurs convictions.
Sans aller jusque-là, beaucoup de Montagnards donnent alors des gages à la réaction. Dubois-Crancé, Roux, Delmas, Pons, par exemple, quittent les Orthodoxes, sans devenir pour autant Thermidoriens, afin seulement d’éviter la persécution.