Le XIXe siècle et les Derniers Conventionnels, 1830 - 1854

L’Idéal Républicain

ROGER-DUCOS

Les Conventionnels n’attirent la sympathie de leur contemporains, mais ils peuvent au moins constater que leur idéal est populaire. Déjà Mignet en 1824, puis Thiers en 1827, avaient lancé le thème de la défense nationale : “Son souvenir [de la Convention] est demeuré terrible. Mais pour elle, il n’y a qu’un fait à alléguer, un seul, et tous les reproches tombent devant ce fait immense : elle nous a sauvés de l’invasion étrangère !”
La Révolution de 1830 leur montre que l’idée de république survit, même sans eux. Dans les années qui suivent, alors que la loi du 19 avril 1831 rétablit le cens électoral tel qu’il existe depuis 1814, les indices se multiplient d’un profond mouvement dans la société. Le 28 mai 1831, Grégoire, ancien évêque et régicide de coeur, meurt à Paris. L’Archevêque de Paris lui propose les sacrements en échange de sa rétractation. L’agonisant refuse. Malgré l’interdit de l’Archevêque, un abbé dit une messe.Il est aussitôt proscrit dans son diocèse. Mais la renommée de Grégoire est considérable. L’affaire scandalise les étudiants progressistes.Le jour des obsèques, la foule détèle les chevaux du convoi et le traîne à bras jusqu’au cimetière. Autour de la sépulture, les Conventionnels régicides sont réunis. Thibaudeau, prononce l’éloge funèbre en leur nom : “Grégoire, mon collègue, mon ami, mon honorable complice … Tu as vécu inébranlable dans ta noble vocation, fidèle à la Révolution, à ses anciens amis, à la Patrie …”
Leurs proches défendent leur cause. Le fils de Carnot, Hippolyte, a agité les faubourgs en 1830 au nom de son père. En avril 1831, Godefroy Cavaignac, fils du Conventionnel régicide, est arrêté dans une agitation républicaine. Au cours d’un procès retentissant, Cavaignac ose la première réhabilitation des proscrits : “Mon père fut un de ceux qui, au sein de la Convention Nationale, proclamèrent la République … Il la défendit aux armées. C’est pour cela qu’il est mort dans l’exil après douze ans de proscription. Tandis que la Restauration … comblait de ses faveurs les hommes que la République avait créés, mon père et ses collègues souffraient seuls pour la grande cause que tant d’autres trahissaient. Aujourd’hui que l’occasion s’offre à moi de prononcer un mot que tant d’autres proscrivent, je le déclare sans affectation comme sans crainte, de coeur et de conviction, je suis républicain.”
Alors que l’idée de république progresse toujours, avec les journaux “Le National” ou ”La Tribune”, rien n’est fait pour se prévaloir du patronage des anciens. Pourtant, le programme des républicains de la Société des Droits de l’Homme a, en 1834, un net parfum de Convention : suffrage universel, instruction gratuite, justice gratuite et démocratique, libertés d’association, impôt progressif, ratification populaire. Mais les républicains sont divisés. Armand Carrel, qui se déclare “pour la politique de Condorcet, de Turgot et de La Fayette, non pour celle de Robespierre”, combat Godefroy Cavaignac. Raspail, ancien président de la Société des Amis du Peuple, au cours d’un procès, apprécie le rôle de Robespierre et de Saint-Just avec des nuances de reproche. Déjà, les républicains veulent faire un tri impossible entre les bons et les méchants.
De toute façon, la Monarchie de Louis-Philippe anéantit ces vélléités, écrase les insurrections de 1832 et de 1834, multiplie les délits de presse et interdit même la “qualification de républicain”. Politiquement, Louis-Philippe ressemble de plus en plus à Charles X. La répression est furieuse et l’agitation se calme à partir de 1835. Un nouveau ministère Thiers est constitué le 22 février 1836, dans lequel le fils du Conventionnel royaliste Pelet de la Lozère est ministre de l’Instruction Publique. Ce ministère poursuit les mouvements républicains comme la Société des Amis du Peuple ou la Société des Familles. En mai 1837, à la Chambre, le ministre Guizot attaque le libéralisme d’Odilon Barrot et stigmatise “l’absurde égalité politique, l’aveugle universalité des droits politiques”.
Mais la censure n’empêche pas le succès grandissant des propagandistes républicains Eugène Sue, George Sand, Philippe Buchez, Auguste Mignet, Louis Blanc, Jules Michelet, Edgar Quinet, Alphonse de Lamartine. Cependant, si l’idée de république progresse toujours clandestinement, la réhabilitation de la Convention reste problèmatique. En 1837, Léonard Gallois, historien apologétique de la Convention, exalte le premier son mérite politique : “Il sera difficile d’excuser les crimes dont quelques hommes se rendirent coupables au nom de la liberté ; … mais ne devrons-nous pas toujours de la reconnaissance à la Convention Nationale pour l’élan sublime qu’elle imprima à toute la nation contre l’invasion étrangère, autant que pour les principes d’éternelle vérité qu’elle a proclamés.”
1839 : Auguste Blanqui, Armand Barbès et Martin Bernard prennent la tête d’une nouvelle émeute. A cette occasion, certains journaux clandestins avaient réclamé le régicide, associant à nouveau l’idée de république à une image sanglante. L’émeute est réprimée sans état d’âme.
En 1840, éclate une crise internationale aigüe. On parle de guerre. Et les journalistes se souviennent du symbole de redressement militaire que représente la Convention. “L’Europe est bien faible contre nous. Elle peut essayer de jouer avec nous le terrible jeu de la guerre. Nous jouerons avec elle le formidable jeu des révolutions.” Mais à la Chambre, Arago réclame le suffrage universel et n’obtient que des haussements d’épaules. Guizot et Thiers ajournent même la modeste réforme électorale réclamée par Odilon Barrot.
Car les gouvernements successifs de Louis-Philippe refusent toute réforme. Le corps électoral est limité à 200 000 Français aisés. Plus d’un tiers des députés, dépourvus d’indemnité parlementaires et fonctionnaires de l’état, sont à la botte du pouvoir. Bertrand Barère, dernier survivant du mythique Comité de Salut Public s’éteint, en 1841. Au moment où ce compagnon de l’Incorruptible disparaît, la corruption régule la vie parlementaire.
En mars 1846, Thiers, passé dans l’opposition, réclame à son tour la réforme électorale. Il montre que la Chambre compte 184 fonctionnaires dépendants du gouvernement sur 457 députés et il s’écrie : “Serions-nous donc réduits à n’avoir que la fiction du gouvernement représentatif ?” Mais en août 1846, le Ministère Guizot renforce encore sa majorité par l’élection de nouveaux députés “achetés”. Le conservatisme des parlementaires éloigne le régime du pays réel.
En 1847, paraissent coup sur coup avec succès “l’Histoire des Girondins” de Lamartine et les deux premiers tomes de “l’Histoire de la Révolution” de Louis Blanc, quelques mois avant “l’Histoire de la Révolution” de Michelet. Dans le même temps, le comité radical, nouveau nom des républicains, avec à sa tête Hyppolite Carnot et Louis-Antoine Garnier-Pagès, mobilise ses troupes. Les journaux “La Réforme” avec Ledru-Rollin et “Le National” avec Armand Marrast, préparent les esprits à une réforme électorale et à un transition politique. A la Chambre, le 26 mars, Guizot, interpellé par Garnier-Pagès, traite le suffrage universel de“système absurde”. Dès juillet, les libéraux et les républicains modérés organisent une campagne de banquets pour dénoncer la corruption et réclamer la réforme. Puis, de juillet à décembre 1847, à mesure que les banquets, plus d’une cinquantaine au total, se succèdent, les revendications changent insensiblement. Fin 1847, on y boit à “l’organisation du travail, à la Convention, aux Droits de l’Homme”. Le gouvernement, irrité, répond en interdisant les cours de Quinet et de Michelet au Collège de France. Les républicains radicaux ont pris la tête du mouvement et réclament résolument le suffrage universel. La clairvoyance de Guizot est cruellement mise en défaut. Le feu couve sous la cendre et tout se précipite.
Le 28 décembre 1847, la session s’ouvre et le Roi Louis-Philippe dénonce ”les passions ennemies”. Le 17 janvier 1848, Odilon Barrot prouve la corruption du gouvernement mais Guizot obtient sans difficultés le vote de confiance de sa majorité. Thiers, Garnier-Pagès essaient de secouer l’inertie du gouvernement et de la Chambre qui s’appuient ouvertement sur des moyens immoraux. Même l’aristocrate Tocqueville : “Nous nous endormons sur un volcan !”En vain. Garnier-Pagès, Odilon Barrot, Thiers surtout, accentuent leur pression. Le 4 février, Thiers scelle l’alliance des réformistes et des radicaux. En réponse au gouvernement qui agite la peur “des nouveaux barbares”, il répond : “Je ne suis pas radical, mais je suis du parti de la Révolution, tant en France qu’en Europe. Je souhaite que le gouvernement de la Révolution reste dans les mains des hommes modérés.Mais quand ce gouvernement passera dans les mains des hommes ardents, fussent les radicaux, je n’abandonnerai pas ma cause pour cela. Je serai toujours du parti de la Révolution !” Tumulte et acclamations.
Le 9 février, nouvelle scène. Le gouvernement interdit un banquet à Paris. Les libéraux protestent et affirment la légalité des banquets. Le Ministre de la Justice se couvre de ridicule : “Tout ce qui n’est pas expressement permis par le loi, est défendu ; il n’y a pas d’autres droits que ceux qui sont formellement écrits dans la Charte.” A quoi, on lui assène un cuisant : “Pas même le droit de respirer ?” Le 11 février, Lamartine réclame l’autorisation du banquet : “Vous voulez mettre la main de la police sur la bouche du pays. Souvenez-vous du Jeu de Paume. Le Jeu de Paume, c’est un lieu de réunion fermé par l’autorité, rouvert par la Nation !” Mais le 12 février, la Chambre vote encore le soutien au gouvernement.
Dès lors, les libéraux et les républicains, sous la pression de leurs sympathisants, ne peuvent reculer. Ils maintiennent le banquet au 22 février 1848. A cette date encore, ils comptent obtenir une simple réforme électorale par une grande manifestation pacifique et silencieuse. Mais la Monarchie est trop vermoulue et peu de chose suffit en effet à l’abattre. Ce banquet du 22 février, maladroitement interdit, une insurrection inopinée le 23, des morts dans la nuit, des affiches républicaines au matin du 24 et l’invasion de la Chambre le jour-même. Ledru-Rollin réclame un gouvernement provisoire et la convocation immédiate d’une Convention Nationale. La IIe République chasse Louis-Philippe.

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