Le Directoire, Novembre 1795 - Novembre 1799

Agonie

GUADET

A Paris, le Directoire ne contrôle la situation que pendant quelques mois. Bonaparte est à Paris. Les Directeurs souhaitent l’éloigner de la capitale … et acceptent dans cet esprit le délirant et criminel projet de campagne en Egypte.
D’autre part, les élections de l’An VI approchent et présentent un grand danger d’instabilité. 298 sièges sur 500 aux Cinq Cents, 139 sur 250 aux Anciens sont à pourvoir. Cette fois, le Directoire craint le retour des Jacobins. Déjà, l’ancien Montagnard Pons de Verdun a obtenu l’abolition progressive du cens électoral.Les Directeurs ont dû intervenir pour empêcher l’application de cette dangereuse mesure démocratique. Le Directoire et la coterie au pouvoir prouvent là leur détachement de la politique. En fait, l’opportunisme est devenu en peu de temps une des bases de la République. Le régime est vulnérable.
Le Directoire essaie d’abord de parer en douceur le coup qu’il attend à gauche. Le Directeur Merlin de Douai se lance dans des manoeuvres juridico-journalistiques, qui tournent court. Ensuite, le Directoire décide de corriger les élections par anticipation. Il faut faire vite, les élections sont prévues pour le 20 mai. Le 4 mai 1798, une Commission de cinq membres est nommée : Audouin, Hardy, Bailleul, Chénier, quatre ex-conventionnels, et Crassous. Bailleul, encore lui, présente le rapport le 7 mai. L’audacieux projet du Directoire vise purement et simplement à se substituer au suffrage des électeurs. Une fois connu le résultat des élections mais avant que les députés ne soient admis, la Commission choisira souverainement les députés qui seront effectivement admis et écartera ceux qui sont suspects de “terrorisme”. L’arbitraire du Directoire est soutenu notamment par Hardy et Creuzé-Latouche, anciens Girondins réactionnaires.
Le rapport de Bailleul rencontre une forte opposition de gauche avec le célèbre vainqueur de Fleurus, le général Jourdan, et l’ancien Montagnard Lamarque. La politique scinde le bloc des ex-conventionnels, uni huit mois plus tôt. Bailleul propose d’infirmer l’élection de députés qui siègent encore aux Conseils ! Les anciens Montagnards Dupuch, Martel, Gay-Vernon, Thomas Lindet, par exemple, assistent ainsi à l’annulation de leur propre élection ! On peut comprendre leur désaccord.
Heureusement pour le Directoire, l’opposition de gauche trouve le soutien empoisonné des Royalistes qui en veulent au Directoire, depuis le 18 Fructidor. Ce soutien discrédite immédiatement l’opposition au coup d’état.En définitive, les Directoriens convainquent les indécis par un argument frappant. A ceux qui émettent des réserves ou qui ont des scrupules, Crassous, membre de la commission et Leclerc, ancien Girondin régicide et ami du Directeur Larévéllière, répondent :”La guillotine est prête.Voulez-vous y monter ?” Cela faisait longtemps que la peur du rouge n’avait pas été utilisée. Là, elle agit avec un total succès.La Loi est votée aux Cinq Cents et sanctionnée aux Anciens le 11Mai 1798 (22 Floréal An VI)
Les conséquences politiques sont graves. Violée deux fois en huit mois, la Constitution n’est plus crédible. De plus, le coup d’état orienté contre la gauche, détache du gouvernement ceux croyaient dans la sincérité républicaine des gouvernants. Les citoyens n’ont plus prise sur le gouvernement de la République. C’est l’heure de Siéyès et de son rêve ploutocrate d’un personnel politique spécialisé pour gèrer la France. Le personnel politique issu de la Convention thermidorienne s’accroche au pouvoir, sans autre projet. Treilhard, ancien Centriste régicide, devient Directeur. Les restes de la mouvance Montagnarde, remis en selle par le 18 Fructidor, sont à nouveau rejetés. Les ex-conventionnels se divisent et la base du gouvernement en est encore réduite. Le tout se déroule dans une indifférence préoccupante.
Moins graves mais plus concrètes, les conséquences parlementaires sont considérables. 48 départements sont concernés, 106 députés sont exclus de la représentation nationale. Au total, le résultat de 159 élections est corrigé. 42 ex-conventionnels sont frustrés de leur siège de député. Des députés proches du Directoire sont déclarés élus au détriment d’hommes qui ont recueilli plus de voix. Comme on crierait trop au scandale si la Loi était nominative, la Loi procéde par députations entières. Ainsi, des anciens montagnards régulièrement élus voient leur élection annulée. Thuriot, Lamarque, Venaille, Roux-Fazillac, Sautereau et les deux frères Lindet, sont dans ce cas. D’autres “floréalisations” sont plus surprenantes, comme celles de Cambacérès, Roger-Ducos, Thoulouse et Tallien. En revanche, des Royalistes notoires comme Rivaud et Rousseau, pourtant élus par des assemblées non-représentatives, sont admis. La massue du coup d’état n’est pas une arme précise. Le Directoire a frappé trop fort à gauche. Le coup de bascule ne s’est pas arrêté exactement à l’endroit désiré.
En quelques mois, le Directoire, qui a malmené les Conseils, est à son tour menacé. Il est d’abord soumis à la pression de Bonaparte qui a obtenu de satisfaire son ambition en faisant expédier une armée de 50 000 hommes en Egypte. Puis le Directoire se laisse emporter par une politique annexionniste agressive. Après le traité de Campo-Formio, l’expansion donne lieu à une multiplication inconsidérée de Républiques-soeurs, en Helvétie, en Italie et en Hollande. Le Directoire n’a pas les moyens de sa politique. En février 1799, une nouvelle guerre continentale éclate : la Deuxième Coalition. Le Directoire discrédité est rendu responsable des revers militaires qui marquent le début de la campagne, de mars à juin 1799. Le Directoire, qui avait vaincu en l’An V sur fond de victoires, pris dans une conjoncture de défaites, est gravement contesté. Son pouvoir affaibli ne lui permet pas de corriger une troisième fois les élections, malgré l’utilisation de l’épouvantail terroriste.
Les élections de mai 1799 apportent un regain d’influence néo-jacobine et surtout une masse de députés qui veulent réviser la Constitution. Les révisionnistes se groupent autour du Directeur Siéyès, révisionniste de la première heure, récemment élu en remplacement de Reubell, et nouvel homme fort. La Constitution n’a plus de défenseurs et le Directoire n’a plus de soutien parlementaire. Il reste 16 régicides aux Anciens et 35 aux Cinq Cents, soit 7% des députés !
Les Cinq Cents, sous influence néo-jacobine, s’allient à Siéyès et aux révisionnistes par haine du Directoire. La haine doit être féroce pour préférer Siéyès à Larévéllière ! Siéyès, avec l’appui des assemblées, obtient le renouvellement du ministère et du Directoire à sa convenance, en donnant dans un premier temps des gages à la gauche. C’est le coup d’état du 30 Prairial. En quelques jours, Gohier, Moulin, Roger-Ducos, remplacent les Directeurs régicides Larévéllière, Merlin de Douai et Treilhard. Des ministres à la réputation sulfureuse de Jacobins sont nommés, tels Robert Lindet, Quinette, Bernadotte, Fouché. Mais Siéyès conserve le contrôle du pouvoir avec Cambacérès, Roger-Ducos et Reinhard. Le 30 Prairial An VII (18 juin 1799) est une convulsion parlementaire de plus, qui a pour effet immédiat de minimiser le poids du Directoire, d’enfoncer un peu plus la Constitution, de rendre inévitable aux yeux de nombreux observateurs, une révision constitutionnelle. Elle laisse face à face la mouvance révisionniste à la recherche de la stabilité, et la mouvance néo-jacobine à la recherche de la victoire à tout prix.
En août, Siéyès se débarrasse de ses alliés de gauche, trop encombrants. Leurs initiatives, telles que l’emprunt forcé sur les riches, ou la demande de levée en masse, ne sont pas du goût des révisionnistes, alliés aux conservateurs. Bernadotte est remercié, Fouché circonvenu. Le Club du Panthéon, place forte de la gauche, où parade Drouet, est fermé sans ménagements. La situation militaire s’aggrave avec une succession de défaites et de capitulations en Italie, un débarquement de Russes et d’Anglais en Hollande, la perte des avant-postes sur la ligne du Rhin. Mais en septembre, la situation se rétablit grâce à des victoires en Hollande et en Helvétie, et alors que l’avance des coalisés en Italie est stoppée.
A Paris, pendant deux mois, le destin hésite. Le Directeur Siéyès, élu grâce à la gauche, s’appuie maintenant sur le Centre, les révisionnistes et les Royalistes modérés. Les ex-conventionnels ont relativement confiance en Siéyès, lui-même régicide. Siéyès attend la collaboration docile d’un général pour mater les néo-jacobins et transformer la Constitution. Son dernier candidat, Joubert, est mort au combat. De son côté, le Directeur Barras se perd en intrigues louches avec les Royalistes.Les autres Directeurs n’ont pas d’influence. La gauche néo-jacobine s’épuise en déclamations stériles. Pourtant tout annonce une purge imminente. Bertrand-Lhodisnière, Quirot, Génissieu, ex-girondins, attaquent le Directoire et ses ministres, incapables de rétablir durablement la situation militaire et d’organiser un campagne décisive. Garrau, ex-montagnard, exalte la guerre à outrance. Plutôt la mort qu’une paix honteuse ! Garrau est en première ligne mais ses convictions obèrent sa lucidité. Le 14 septembre, il attaque Siéyès :“Je ne crains pas un coup d’état.Ce que je crains, c’est la Réaction !” Seule conséquence, le fantôme effrayant de 1793 semble renaître.
Or les députés centristes et les révisionnistes veulent la paix et l’ordre. La révision, afin d’établir un gouvernement fort et stable, leur paraît plus urgente que jamais. Les Conseils sont traversés de messes basses et de chuchotements.Il y a plus de coteries, d’intrigues et de combinaisons que de grandes mesures de salut public. Les différents pouvoirs légaux se neutralisent. C’est une atmosphère de fin de règne. Tout le monde cherche une issue. Les Néo-Jacobins n’osent pas mobiliser les faubourgs. Le recours au peuple, comme en l’An II, les effraie au fond.
Siéyès, lui, ose utiliser un militaire pour trancher la crise constitutionnelle. Il trouve enfin l’épée qu’il cherchait. Mais l’épée de Bonaparte, revenu à Paris le 22 octobre, est dangereusement ambitieuse. Bonaparte, après avoir déserté l’Egypte, abandonné son armée déjà réduite de moitié, chargé Kléber à son insu de réparer des dégâts irréparables, cherche très vite à concrétiser en pouvoir sa popularité et sa gloire. Il s’abouche avec Siéyès et prépare avec lui les obsèques de la démocratie. Beaucoup de personnalités puissantes gravitent autour du tandem Siéyès-Bonaparte. Le programme de tous ces conjurés est simple. Pour eux, ”le Directoire est un gouvernement de désordre” (Dubois-Dubais). Selon Benjamin Constant, complice du coup d’état, ”le premier devoir d’un gouvernement est la protection de la fortune acquise, que toutes les mesures des législateurs doivent tendre à maintenir, à consolider, à entourer d’une barrière sacrée.”

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