Deux Montagnes, Indulgents et Ultras, Novembre - Décembre 1793

Des Longueurs qu’on apporte à juger les Conspirateurs

CHENIER

En opposition à ces inquiétudes indulgentes, la puissance des Ultras s’affirme. Les extrêmistes avaient jusqu’ici été contenus par l’autorité de Danton et la popularité de Marat. Les agitateurs Ultras du 10 mars avaient été dénoncés comme contre-révolutionnaires, Jacques Roux avait été arrêté. Mais Marat est mort, Danton est absent. Les Cordeliers ont exclu les anciens dirigeants dantonistes, comme Legendre, qualifiés d’“endormeurs”. L’influence et la cohésion des Ultras progresse.
Les Ultras se rassemblent autour de quelques options politiques fondamentales. D’abord, ils sont convaincus que, seules, la Terreur et une répression tous azimuts contiendront tous les ennemis de la Révolution : nobles, prêtres et émigrés, mais aussi banquiers, spéculateurs et accapareurs. Ils voient des traîtres partout et veulent leur extermination. Aux Jacobins, Julien de la Drôme, adversaire des Indulgents, s’écrie : “Les malheurs de la patrie proviennent des longueurs qu’on apporte à juger les conspirateurs !” Les Ultras, qui ont poussé à l’éxécution des chefs Girondins, réclament par ailleurs inlassablement la mort des 73 députés girondins détenus, la mort de toute la famille Capet, des “affameurs du peuple”, de toutes “les jambes cassées en révolution”. Comme Marat, ils réclament le despotisme de la liberté. Ce despotisme doit aussi agir sur le plan économique. Car les Ultras s’appuient sur une partie du peuple parisien, les sans-culottes, dont les revendications vont au-delà des droits politiques. Les Ultras, socialement progressistes, sont prêts à utiliser la contrainte pour soulager la misère. La Commune de Paris, où ils sont très influents, a montré l’exemple des taxations. Leur troisième cheval de bataille, la déchristianisation, sert de prétexte à une vaste opération de propagande. Ils veulent entraîner la Convention dans la surenchère anticléricale.
Les chefs Ultras ont aussi un objectif plus terre à terre. Ils vivent le drame de ne pas être au pouvoir.Ils ne sont pas députés et ils ne peuvent que chercher à influencer la Convention de l’extérieur. Pour augmenter leur pouvoir, ils souhaitent le renforcement de l’appareil répressif et la multiplication des Comités de surveillance. Les Ultras, d’autant plus frustrés qu’ils se sentent forts, sont à l’origine du formidable outil de pouvoir qu’est l’Armée Révolutionnaire.Ils contrôlent son action redoutable, sa mission de police intérieure, de surveillance et de répression. Cette Armée commet des excès de toutes natures. Ronsin, son chef,Boulanger et Mazuel, ses bras droits, l’état-major et les cadres de cette armée, sont Ultras.
Ce n’est pas tout. Les Ultras dominent la Commune avec le Substitut du Procureur qui a donné son nom à la faction, Hébert, et dans une moindre mesure avec le Procureur Chaumette et le Maire Pache. Les Ultras contrôlent totalement le Club des Cordeliers, qui se veut plus révolutionnaire que celui des Jacobins. Ils ont la haute main sur le Ministère de la Guerre avec le secrétaire général Vincent et secondairement, avec le ministre, Bouchotte. Ils ont un journal populaire et ordurier, le Père Duchesne, rédigé par Hébert et financé largement par Vincent. De plus, les Ultras sont actifs aux Jacobins et parviennent parfois à contrôler les séances du Club.
Enfin, depuis le 14 septembre, les Ultras ont conquis une nouvelle place forte.Le Comité de Sûreté Générale compte désormais des députés proches d’eux tels que Voulland, Elie Lacoste, Amar et surtout Vadier, son chef spirituel, l’ami de Ronsin. Au Comité de Salut Public, ils ont l’appui de Collot d’Herbois, et à la Convention, de quelques députés tels que Carrier, Fouché, Javogues et Léonard Bourdon.Si leur influence parlementaire reste limitée, ils exercent de l’extérieur une pression croissante. Dès septembre 1793, les Ultras favorisent en sous-main le remplacement de la Convention. Ils espèrent avoir une place déterminante dans l’assemblée suivante. Ils demandent d’abord l’application immédiate de la Constitution proclamée le 10 août 1793. Puis, la manoeuvre ayant échoué, ils demandent l’exclusion des “endormeurs”. Enfin, ils s’orientent plus ou moins fermement vers l’insurrection.

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