L'Empire, 1800 - 1814

Noblesse

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Napoléon agite aux yeux de ses adulateurs des carottes de plus en plus séduisantes, telle la Légion d’Honneur, les charges rétributives, les domaines profitables ou les titres de noblesse. Les courtisans s’abaissent toujours plus. Parmi eux, les ex-conventionnels ne sont pas des courtisans comme les autres : ils ont fait plier l’Europe. Hélas, certains Conventionnels jouent volontiers ce rôle de laudateurs indignes. Dès 1800, Treilhard, par exemple, chante les louanges du siècle de Napoléon, le XIXème siècle ! Le maître ne distribue ses hochets que si sa vanité y trouve son compte.
La Convention devenant Noblesse d’Empire en s’inclinant devant la dictature, c’est une double humiliation à l’échelle de l’Histoire. A y regarder de plus près, les conventionnels promus sous l’Empire siègeaient à la Convention presque exclusivement sur les bancs de la Plaine, ralliée, modérée ou royaliste, et sur les bancs de la Gironde réactionnaire. Ces Conventionnels formaient le moteur de la Convention thermidorienne. Cela n’est pas un hasard. Politiquement, ils n’ont jamais été le fer de lance de la démocratie. Socialement, leur attitude reflète le souci du conservatisme et de la stabilité. Ainsi, gorgés de récompenses et même s’ils se sont trompés sur la nature du coup d’état, ils s’accommodent, faute de mieux, de l’abandon des libertés.
Doulcet-Pontécoulant, Siéyès, Thibaudeau, Roger Ducos, Boissy d’Anglas, Rousseau, Lanjuinais, Pelet, Cochon-Lapparent, Merlin, Treilhard, Vernier, Chasset, Villetard, Dubois-Dubais deviennent des Comtes d’Empire.Debry, Richard, Bailly, Eschasseriaux, Thabaud deviennent Barons. Alquier, Casenave deviennent Chevaliers. Beaucoup d’autres fondateurs de la République sont annoblis tels Curée, Dyzès, Garran-Coulon, Olivier-Gérente, Guyton-Morveau, Isnard, Jard-Panvillier, Lamarque, Louvet de la Somme, Loysel, Oudot. Le général Milhaud devient Comte et le peintre David Chevalier. Tous obtiennent la noblesse d’Empire, héréditaire et avec majorat, c’est-à-dire que leurs titres et distinctions sont transmissibles sur l’aîné de leurs fils. L’on mettra à part le cas de Carnot qui sera fait comte à son insu en 1815.
Ces républicains, dont beaucoup de régicides, devenus apôtres de la Noblesse, sont loin de la République, et même de 1789. En exil, leurs collègues, restés républicains, les appelleront les magnats. Il est cruel de mettre chacun des magnats en contradiction avec lui-même. Tous sont méconnaissables. Thibaudeau siègeait en bonnet rouge et se surnommait “la barre de fer sur laquelle viendraient toujours se briser les complots”. Debry voulait créer une “Compagnie de Tyrannicides”, des tueurs à gages qui devaient assassiner tous les rois de la terre ! Treilhard institutionnalisait le serment de Haine à la Royauté et demandait la peine de mort contre ceux qui voudraient rétablir la Monarchie ! Siéyès, depuis devenu Comte de Crosne, le plus illustre et donc l’auteur de la plus coupable palinodie, écrivait le brûlot “Qu’est-ce que le Tiers Etat ?” Les carrières des Conventionnels, nobles d’Empire, donnent ainsi lieu à des juxtapositions saisissantes. Cambacérès, l’un des créateurs du Tribunal Révolutionnaire et l’apologiste du Gouvernement Révolutionnaire, devient Duc de Parme, Archichancelier et Président du Conseil de Régence. Fouché, séminariste nécessiteux, terroriste féroce, ami de Chaumette, de Collot d’Herbois et de Babeuf, athée et socialiste en son temps, devient Duc d’Otrante, Ministre de l’Intérieur et de la Police. Jolis tours de force !
L’Empire consacre le bouleversement social de la période révolutionnaire. Les anciens républicains parvenus se donnent en spectacle. Il est fascinant de les imaginer, anciens députés à carmagnole, se déplacer en culotte de soie et escarpins vernis, se plier en révérences onctueuses sur des parquets luisants, s’interpeller dans les salons lambrissés d’un jovial “Bonjour, Monsieur le Comte !” auquel répond un non moins satisfait “Ce cher Baron !”. Gageons que, quand les grands fantômes de la Convention planaient autour d’eux, ils devaient, en leur for intérieur se sentir dépouillés de leur superbe arrogance et de leur vanité aristocratique.

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