Le Règne des Thermidoriens, Août - Décembre 1794

Viens m’accuser, Tallien !

GUADET

Le mouvement s’accélère et l’offensive se poursuit, le lendemain 4 octobre. L’affaire de Lyon, où la répression a été féroce, gène les Montagnards. Les Montagnards Fouché et Reverchon se défendent platement sur leur mission à Lyon et font amende honorable. Reconnaissant les excès de la répression dont ils sont eux-mêmes responsables, ils sont d’accord pour mettre en liberté les Lyonnais qu’ils ont fait emprisonner. Le prestige de Fouché ne le protège plus. Les Thermidoriens remportent là un nouveau succès.
Puis, Bourdon de l’Oise qui s’est montré Montagnard la veille, prononce un grand discours réactionnaire. Attaquant les Sociétés populaires, les pétitions, les sections, invitant les “honnêtes gens” à occuper les sections et à en chasser les “brigands”, il réclame pour conclure la discipline et l’unité du Gouvernement Révolutionnaire. Le royaliste Pelet le relaie aussitôt et explique que pour supprimer les divisions, il faut que les députés cessent de fréquenter le Club des Jacobins. Dubois-Crancé, Thirion et de nombreux Montagnards croient encore à la sincérité du propos. Ils tombent dans le piège :“Je suis jacobin mais cette société célèbre est dégénérée.”Les trois Comités, où les Thermidoriens font prévaloir leur point de vue, sont chargés de l’affaire.
La séance se termine par un troisième succès thermidorien. Un rapport des trois Comités absout les Thermidoriens Barras et Fréron des accusations de prévarication, malgré des preuves flagrantes apportées par les Montagnards Moïse Bayle et Granet. Mais les Thermidoriens sont payés en nature des services qu’ils rendent à la réaction. Le surlendemain, Tallien justifie politiquement l’accusation des anciens membres des Comités et fixe la nouvelle ligne de la Convention par rapport aux “décemvirs”, leur nom polémique.
Après une préparation soignée et une suite ininterrompue d’attaques, la lutte engagée pour détruire ce qui reste de la puissance des Montagnards, a abouti. Le bilan de la dénonciation de Legendre est éloquent. Cette fois, les Thermidoriens se sont unis. Ils ont agi de concert avec la Droite et les Royalistes actifs. La Convention conservatrice est avec eux. Barère a attaqué la masse, désormais éveillée, de ceux qui n’ont pas voté la mort de Louis XVI. Les Thermidoriens sont maîtres du terrain.Ils ont vaincu les Montagnards en croyant toujours utiliser la Droite et les Royalistes. Les défenseurs des Montagnards sont devenus rares et les Montagnards eux-mêmes perdent de leur fermeté. Alors que Lindet et Cambon sont inflexibles, Fouché et même Barère cherchent les bonnes grâces de leurs adversaires. Les défections se multiplient. Des députés marquants passent à droite en l’espace de vingt-quatre heures : Delmas, Bourdon de l’Oise, Thirion, Richard, Goupilleau-Fontenay. Les Montagnards n’ont plus d’orateurs de combat.
Enfin et surtout, la Convention s’est discréditée. Acceptant aujourd’hui une accusation qualifiée de fausse et calomnieuse un mois plus tôt, elle perd, à l’intérieur et à l’étranger, son prestige et son aura d’intransigeance. A l’extérieur, la Révolution est affaiblie parce qu’elle montre ses divisions. Tous les puissants adversaires de la République redécouvrent la possibilité de manoeuvrer la Convention en manipulant ou en achetant des députés. La Convention hésite, tâtonne, dénonce son propre ouvrage. Elle fourbit elle-même les armes de la Contre-Révolution. En deux jours, toutes les dernières illusions sont perdues. La Révolution n’a plus de défenseur irréprochable. La politique du grand Comité de Salut Public, qui incarnait la France de la liberté contre l’Europe féodale, aboutissement logique de cinq ans de lutte des Lumières contre l’Obscurantisme, cette politique n’est plus reconnue comme la ligne juste de la Révolution. A l’intérieur, il n’y a plus de place pour le patriotisme rectiligne, pour la pure idéologie, pour l’illusion émancipatrice. La Révolution perd son Etoile du Berger. Les acteurs n’ont plus de vérité révolutionnaire indiscutée. Toutes les convictions sont fragilisées. En définitive, la Convention, en se reconnaissant des torts, se mortifie. Dès lors, les mailles du tricot Montagnard filent sans retenue. Sur tous les fronts.
Pour le moment, l’ambiance étant à la libération des détenus, les représentants en Mission, les Jacobins, les Clubs et les sections sont plus menacés que jamais. Avant d’être marginalisés, les Montagnards livrent leurs derniers combats d’arrière-garde, parfois avec panache. Un jour, malgré les sarcasmes et les grognements, le Montagnard Fayau défend crânement un projet de distribution de biens nationaux aux pauvres et aux soldats, projet inspiré des lois de Ventôse de Saint-Just. Le projet ne donne même pas lieu à discussion.
Un autre jour, Cambon, traité de perfide par Tallien, se met en colère.Cambon, qui a eu accès à tous les comptes de la République pendant un an, évoque au passage la complicité de Tallien dans les massacres de Septembre 1792 :“Viens m’accuser, Tallien ! Je n’ai rien manié, je n’ai fait que surveiller ! Nous verrons si dans tes opérations particulières, tu as montré le même désinteressement ! Nous verrons si tu n’a pas fait payer une somme dont la destination te fera rougir ! Oui, Tallien, je t’accuse d’agiotage, monstre sanguinaire. Je t’accuse d’avoir trempé tes mains dans trop de massacres !” Ambiance …
Toute la Convention connaît les faiblesses de Tallien et de ses amis. Mais la Droite ne regarde pas de si près à la pureté de ces “instruments de la Providence”. Au contraire, le 13 octobre, le Montagnard Ultra Carrier est dénoncé, preuves à l’appui, pour la terrible répression qu’il a menée à Nantes un an plus tôt.

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