Le Sang des Députés
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Psychologie

COLLOT-DHERBOIS

Au-delà des destins personnels tragiques, la période est marquée par la spectaculaire transformation du climat, dans la première année de la session. L’examen de l’évolution des mentalités permet de mieux comprendre comment“les apôtres de l’humanité sont amenés à devenir cruels” (Gallois). A l’origine, la Convention est très divisée, mais elle est unie sur deux principes importants. D’une part, les différends doivent se résoudre par la Raison, et d’autre part, la personne physique des membres de l’assemblée est sacrée. Ces deux points sont irrévocables.
Dans ces conditions, la première mort violente d’un député a un retentissement politique considérable. Après les appels nominaux du jugement de Louis XVI, les députés sont exaspérés et inquiets. La Convention a siègé presque sans interruption depuis le 15 janvier 1793. Les séances ont occupé plusieurs nuits blanches. Dans le public, les passions sont chauffées à blanc. Ceux qui voulaient sauver le roi et ceux qui voulaient sa mort se sont mutuellement traités de traîtres et d’assassins. Le 20 janvier, le sursis à l’éxécution du roi est repoussé. Le soir, Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, noble richissime, député de la Noblesse de Paris aux Etats-Généraux, ancien président de la Constituante, député montagnard, auteur d’un plan d’éducation et d’un projet de code pénal avant-gardistes, dîne au Palais-Royal. Quelqu’un s’approche de sa table et lui demande s’il est bien le député Lepeletier qui a voté la mort. Sur la réponse positive du député, l’inconnu sort un sabre de sous son manteau et lui enfonce dans le ventre. “Voilà ta récompense !” s’écrie l’assassin avant de prendre la fuite.
Si un député était aujourd’hui assassiné pour un motif politique, on imagine à quel point la secousse ébranlerait la démocratie. Les partis tenteraient peut-être de s’accuser ou de tirer profit du crime. Le meurtre donnerait lieu sans doute à tous les débordements de haine partisane. De terribles divisions traverseraient l’assemblée, peut-être en proie à la peur physique. Les amis politiques de la victime obtiendraient la chute d’un gouvernement, incapable d’assurer la sécurité des représentants du peuple.
Or la mort de Lepeletier émeut mais n’effraie pas les Conventionnels. Elle a même pour résultat immédiat de mobiliser les députés, et spécialement les régicides, qui sont clairement désignés comme cible par la contre-révolution. La Convention se réunit autour d’une nécessité désormais évidente, celle de vaincre ou de mourir. A aucun moment, les Montagnards n’accusent leurs adversaires.La Convention observe un calme imposant. C’est une nouvelle preuve de sa maturité et du fait que, seules, des circonstances extraordinaires ont pu l’éloigner de ce parti-pris de stoïcisme républicain. Mais il reste que le climat devient tout à coup plus grave. Après la condamnation du roi, entre la Convention et les Bourbons, plus de retour en arrière possible.
Le meurtre d’un député place la Convention dans une situation particulière. Aucun membre des assemblées précédentes n’avait été assassiné. Jusque là, les contre-révolutionnaires n’avaient pas attaqué la personne des représentants du peuple. Ce précédent ouvre insidieusement la voie à l’idée que la violence peut frapper les députés, qu’elle peut même règler des conflits, que des mesures de légitime défense pourraient être indispensables. Froidement, sans panique, la Convention se familiarise avec le sang. Oeil pour oeil, dent pour dent, la Loi du Talion tend à remplacer la Loi de la Raison.
Alors le terrible printemps de 1793 remet en cause le principe de l’inviolabilité de la Représentation Nationale. La funeste trahison de Dumouriez, les défaites, l’agitation sociale, aboutissent au procès de Marat. Dans le même temps, les députés découvrent, avec l’atroce soulèvement de la Vendée, la cruauté d’une population qu’ils connaissent mal, la paysannerie inculte et superstitieuse. Mais Marat est acquitté le 24 avril 1793 et le sang ne coule pas.
De même, l’arrestation des vingt neuf députés girondins, le 2 juin 1793, est loin d’être un décret de mort. Au contraire, la Convention, qui a dû obéir à l’injonction de la Commune de Paris, est tacitement d’accord pour enlever à ce décret son aspect le plus répressif. Elle le transforme en une mesure de détention conservatoire. Peu après, 23 des 29 députés arrêtés se soustraient au décret d’arrestation. Le Comité de Salut Public ferme les yeux.
Mais, sur fond d’invasion étrangère, deux évènements enfoncent irrémédiablement la Convention dans la voie de la mort. Les députés Girondins arrêtés qui se sont enfuis, ont gagné les départements.Ils lèvent des troupes contre la Convention. Cette fatale erreur les met au même rang que les Emigrés dans l’estime des républicains. La Convention les met hors-la-loi. L’autre évènement est le meurtre de Marat.La jeune fille qui l’a poignardé est soupçonnée d’être téléguidée par des députés girondins. Le rapprochement avec le meurtre de Lepeletier s’impose à tous. Les Girondins ont les mêmes armes que les Royalistes : l’assassinat.
La mort de Marat, deuxième mort violente d’un député, modifie l’état d’esprit de la Convention. D’abord, le peuple de Paris réclame désormais inlassablement la mort des “coupables”. Même si l’assemblée n’est pas convaincue de la culpabilité des girondins, elle doit tenir compte de ce voeu qui peut facilement devenir impératif. Ensuite, à la différence de Lepeletier qui avait été tué par un royaliste, dont les maîtres à penser étaient hors de portée de la Convention, les hommes qui ont favorisé le meurtre de Marat par leurs attaques continuelles, font ou ont fait partie de l’assemblée. Les girondins encourent désormais le reproche de complicité d’assassinat. Plus largement, tous ceux qui ont voté pour l’accusation de Marat le 13 avril précédent, soit pas moins de 220 députés, sont mal à l’aise. Car la logique veut que celui qui accusa Marat et l’envoya devant le Tribunal, soit aujourd’hui satisfait de sa mort, et soit peut-être son instigateur.

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