Désastres et catastrophes continuent de se succéder. Mais après l’arrestation des Girondins, la Convention change de peau. Avec la mue qui s’opère, l’effervescence devient énergie et l’indiscipline, application. En contrepartie, les scrupules humanitaires disparaissent et l’exaspération devient mortelle. En un mot, la Révolution devient implacable. Ici, il faut suivre de près le film des évènements pour démonter le mécanisme de l’enchaînement fatal.
Dans l’immédiat, la Commune de Paris s’impose comme grande triomphatrice du coup d’état. La Convention, qui a besoin du peuple de Paris et des sections, doit donner des gages pour les désolidariser de la Commune, diminuer le pouvoir de celle-ci et écarter la menace extraparlementaire. Par ailleurs, le Club des Jacobins, qui gagne soudain une influence immense, popularise une nouvelle conception politique. Afin de sauver la liberté, il prône la dictature provisoire de Salut Public. La Convention, sous leur impulsion et compte tenu de circonstances épouvantables, récupérera son pouvoir chancelant et se ralliera à cette conception.
Vis-à-vis des Girondins, le climat reste bon enfant. Les Montagnards, compréhensifs, traitent d’ailleurs avec bienveillance ceux qui protestent ou montrent d’une manière ou d’une autre leur désaccord. Les députés arrêtés sont gardés fictivement chez eux. Selon Cambon, un projet de protestation contre l’attentat de la Commune était même préparé par le Comité de Salut Public. Marat va jusqu’à proposer sa propre démission. La Commune de Paris propose de fournir des otages pour garantir la vie des députés arrêtés. Ceux-ci restent d’ailleurs chez eux ou peuvent se déplacer dans Paris, sous la surveillance d’un seul et unique gendarme. Valazé réclame et obtient le versement de son indemnité tout en étant en état d’arrestation. Le 5 juin, Maure, pourtant Montagnard, défend les Girondins arrêtés et Chabot proclame :“Nous ne voulons point leur tête”.
Mais la peur commence à gagner du terrain. Certaines travées se vident chaque jour davantage. Les offres de démission et les absences vont se multiplier. Or, les Montagnards, qui craignent les complots des députés absents, veulent que tous les députés soient à leur poste. De plus, certains députés arrêtés ont déjà déjoué la surveillance débonnaire de leur gardien. Le 10 juin, quand Vernier et Defermon, Girondins chevronnés, s’écrient :“Vous allez rappeler tous les membres !”, la réponse cingle immédiatement :“Ils sont émigrés !” Des reclassements individuels s’opèrent dans le courant du mois. A contre-courant, Petit et Saladin quittent les Montagnards alors que les bancs de la Droite se dégarnissent. Le Comité de Salut Public et la Convention flottent, indécis, jusqu’à ce que, le 9 juin, Robespierre, lassé des hésitations du Comité de Salut Public, établisse une fois pour toutes la légitimité du coup de force.
Une course contre la montre s’engage alors.Les Montagnards sont pressés de rallier les départements révoltés autour d’une Constitution démocratique et d’écarter ainsi l’accusation de dictature.La Droite veut obtenir la libération des députés arrêtés. La discussion sur la Constitution s’ouvre. Guyomar, Ducos, Boyer-Fonfrède, Génissieu pour les Girondins, Lémane et Mercier pour le centre, Devars et Réal pour la droite royaliste participent aux débats. L’ambiance est surréaliste.Chaque séance voit à la fois l’annonce de nouveaux désastres aux armées, en Vendée ou dans les départements, désastres qui semblent devoir enterrer la République, et un débat de haut niveau théorique sur les articles constitutionnels qui doivent régir pour l’éternité cette même République.
Ainsi, le 11 juin, Lacroix dénonce à nouveau les députés conspirateurs qui ont fui la surveillance décontractée de leur garde, regagné leur département et y prêchent la révolte. Il réclame l’appel nominal pour identifier les absents. Le Girondin Defermon répond comme la veille : “Commencez par rappeler tous les membres”, sous-entendu, les membres mis abusivement en état d’arrestation. Il réclame une fois de plus le rapport du Comité de Salut Public sur les députés arrêtés.Et inlassablement, les Girondins restants réclament ce rapport promis par le Comité de Salut Public. Le fait est que l’on n’a rien à reprocher aux députés arrêtés, que leur arrestation est illégale et que le Comité, composé de Montagnards modérés, est mal à l’aise pour justifier l’injustifiable. Comme les Montagnards ne peuvent pas non plus les relâcher officiellement, ils gagnent du temps.
Nous ne Voulons point leur Tête
SAINT-MARTIN-VALOGNE