Girondins Discrédités, Janvier - Mai 1793

Il me suffit de mon Ame

DESMOUNLINS

Dans les sections, la fermentation des extrêmistes a repris, malgré les Montagnards. La section Bon Conseil dénonce les complices de Dumouriez : “La voix publique nous indique les Brissot, Guadet, Gensonné, Vergniaud, Barbaroux, Louvet, Buzot.” La Convention offre à nouveau le spectacle du plus grand désordre. Cette agitation à répétition devrait amener les Girondins à ne pas se mettre en travers des mesures proposées par la masse de plus en plus décidée de leurs adversaires. Mais tous les avertissements de la Commune sont inutiles.

Le 10 avril, séance dramatique, où se perd peut-être l’ultime chance de compromis. Premier temps, Pétion, indigné, dénonce l’adresse d’une section de Paris, présidée par Marat. Cette section réclame notamment la mise en accusation des chefs girondins. Deuxième temps, Danton, afin de clore l’incident, propose la mention honorable mais le Girondin Birotteau l’empêche de venir à la tribune. Danton :“Vous êtes des scélérats !” Birotteau :“Je mourrai républicain et tu mourras tyran !” Les Girondins : “A bas le dictateur !” Troisième temps, Pétion demande la mise en accusation de Marat. Le Montagnard Danton, d’accord avec le Girondin Boyer-Fonfrède, oppose une offre de conciliation. Mais Delahaye le Royaliste, et Guadet remettent de l’huile sur le feu. Quatrième temps, Robespierre, qui veut couvrir les Montagnards sur leur gauche, choisit ce moment pour dénoncer à son tour par un long discours préparé, Guadet, Vergniaud, Gensonné et Brissot. Cinquième temps, Vergniaud répond par une improvisation impressionnante tout en ironisant sur le discours laborieux de Robespierre :“Je n’ai pas comme lui besoin d’art.Il me suffit de mon âme.” La Convention, séduite à la fois par la forme du discours et par les qualités de grandeur et de générosité qui en émanent, méprise les conclusions de Robespierre. Elle espère enfin s’occuper des affaires de la République. Sixième et dernier temps, Guadet, à nouveau, demande la mise en accusation de Marat. Et Danton, à nouveau, veut noyer le poisson. Mais cette fois, les plus vindicatifs des Girondins triomphent. Marat sera accusé et l’acte d’accusation sera dressé par le Comité de Législation, une des dernières places fortes des Girondins.

Le lendemain, l’acte d’accusation contre Marat, jugé partial, donne lieu à une nouvelle querelle. Puis le 13, la Convention est consultée par appel nominal. Les Girondins rassemblent 220 voix contre 92. Marat sera jugé.Le triomphe final des Girondins est une victoire à la Pyrrhus. Le jour-même de ce vote funeste, les Vendéens remportent une nouvelle victoire.

Où les Girondins veulent-ils en venir ? En fait, ils ne le savent pas eux-mêmes. Leur seul point d’accord avec leurs alliés porte sur leur opposition aux Montagnards et à Paris. Ils n’ont jamais été en mesure de voter des décrets positifs, surtout quand ils ébrèchent les principes de l’économie libérale, comme le cours forcé de l’assignat, voté sans eux le 11 avril. Distancés en matière militaire, économique, politique, les Girondins se posent en martyrs et montent l’affaire Marat en épingle. Le 25 février, Buzot avait pourtant montré tous les inconvénients d’une telle accusation. Aujourd’hui, 13 avril, alors que les circonstances intérieures et extérieures sont devenues infiniment plus préoccupantes, l’attention de l’assemblée est accaparée par des querelles d’intêret secondaire. Par cette offensive, les Girondins visent à remobiliser leurs troupes.

Mais quels inconvénients pour un si piètre résultat ! 1) La mobilisation s’opère sur une motion négative. 2) Pour le peuple de Paris, les Girondins ne sont décidément bons à rien. 3) Avant même que son jugement ne soit rendu, Marat est transformé en héros et martyr. 4) Le procès de Marat crée un dangereux précedent. 5) Le Tribunal Révolutionnaire est détourné de sa vocation, qui est de poursuivre les auteurs de complots contre-révolutionnaires ! 6) Par incohérence, les Girondins utilisent le tribunal qu’ils ont tant critiqué. 7) Enfin, la manoeuvre aboutit à un échec cuisant, le 24 avril.

La tension est montée et devient insupportable. La Convention, qui enregistre les premières démissions de députés, cherche fébrilement une solution politique. Le Girondin Vernier, figure respectée, propose par souci d’apaisement l’ostracisme volontaire des chefs des deux côtés (rétrospectivement, il leur aurait évité à tous la mort). Mais Gensonné et Buzot réclament encore une fois les assemblées primaires. Qui peut prendre au sérieux cette proposition de remplacer la Convention ? Par ironie, Desmoulins propose le retrait volontaire des seuls chefs Girondins. Cette seule phrase provoque un nouveau désordre.

Le 15 avril, une nouvelle pétition des sections parisiennes demande l’expulsion des vingt-deux, “coupables du crime de félonie envers le peuple souverain”. La mise en accusation de Marat est dans tous les esprits. Les vingt-deux députés cités sont Brissot, Guadet, Vergniaud, Gensonné, Grangeneuve, Buzot, Salle, Birotteau, Barbaroux, Pétion, Valazé, Lehardy, Gorsas, Fauchet, Lasource, Valady, Chambon, Doulcet-Pontécoulant, Lanjuinais, Hardy, Lanthenas, Louvet. Seuls les cinq derniers survivront à la Convention.

Pour la première fois, la liste est précise, la pétition est soutenue par la Commune de Paris et par 35 sections sur 48. Elle est signée dans l’assemblée-même, par le maire de Paris, Jean-Nicolas Pache. L’importance des soutiens de cette revendication illégale révèle les dispositions de la population parisienne envers les Girondins. Dès ce moment, les Girondins ont un interêt objectif à adopter un registre plus conciliant. Cependant, à la Convention, cette pétition déplaît. Perçue comme une immixtion inadmissible dans le pouvoir législatif, la pétition menace l’intégrité de l’assemblée. Les Girondins en tirent avantage et redorent passagèrement leur blason à la Convention : la pétition est improuvée comme calomnieuse. Mais la coupure avec les sections de Paris paraît irréversible.
Le 19 avril, nouvelle grande séance de stérilité têtue. Fauchet, l’un des vingt deux, qui prend conscience de la haine qu’inspirent maintenant les Girondins, commence une humble justification de sa conduite. Mais Guadet, qui l’interrompt, contre-attaque et dénonce violemment la Commune de Paris, instigatrice de la pétition des jours précédents. Vergniaud intervient à son tour pour amadouer Guadet et les Girondins étalent leurs désaccords. Augustin Robespierre défend la Commune et demande pour elle un décret de “bien mérité de la patrie”.Cette provocation ressoude les Girondins aussitôt. Un très long chahut commence. Lanjuinais et Valazé refusent les honneurs de la séance aux officiers municipaux de la Commune de Paris, présents à la barre. De longues heures sont perdues pour ce détail de procédure, pour que quelques personnes qui répriment leurs baillements, aient le droit de s’asseoir. Finalement, il est plus d’une heure du matin quand les Montagnards obtiennent les honneurs de la séance pour les officiers municipaux.Les autres députés leur ont laissé le champ libre. La Convention a aussi livré des batailles ridicules.

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