La République aux mains des Royalistes, Janvier - Juin 1795

Les Subsistances de Paris sont assurés

ISNARD

Au cours de l’hiver et du printemps 1795, l’essor des Royalistes devient irrésistible. Comble d’ironie, les Royalistes vont avoir en main les destinées de la première république démocratique au monde. Dans l’assemblée, les non-régicides, autrefois tenus à l’écart des responsabilités par les Montagnards, accèdent au pouvoir. Parmi ces députés qui n’ont pas voté la mort de Louis XVI, les Royalistes forment un groupe relativement compact et décidé. Leurs chefs, apparus au premier plan à l’occasion de la lutte contre les Montagnards, sont bientôt récompensés. Le Comité de Salut Public accueille le premier non-votant et Royaliste, Pelet de la Lozère, dès le 5 novembre 1794. Il est suivi en décembre par Boissy d’Anglas. En mars 1795, Pelet est aussi le premier non-votant depuis plus de deux ans, élu Président de la Convention, suivi en avril 1795 par le même Boissy d’Anglas. Des noms inconnus apparaissent dans les organes dirigeants : Marec, Coren-Fustier, Lomont, Boudin, Auguis, Delecloy, Pémartin. Tous ces députés Royalistes se manifestent après trente mois de silence. Pour l’assemblée, c’est presque une génération spontanée de députés. Les Girondins réactionnaires et les Modérés suivent leurs traces.
Dans les premiers mois de 1795, les armées occupent toute la Belgique et toute la rive gauche du Rhin, la Savoie, une partie de la Ligurie, de la Catalogne et du Pays Basque. L’Armée du Nord réalise le tour de force d’envahir la Hollande en plein hiver. La Vendée semble se calmer. La situation extérieure paraît toujours aussi faste.
La réalité, compte tenu de la misère des soldats et de la désertion qui s’ensuit, est plus fragile. Mais les problèmes intérieurs sont plus préoccupants encore. Le peuple de Paris, qui n’est plus soutenu par les pouvoirs publics, surtout depuis l’abrogation du Maximum, est confronté à une disette grandissante. Désorganisé, misérable et effrayant, le peuple des sans-culottes est poussé à la révolte par le désespoir. Sur fond de crise alimentaire, les passions s’exaspèrent.
La Convention poursuit sur sa nouvelle lancée. Le Thermidorien Courtois présente après cinq mois de préparation, le rapport sur les papiers personnels de Robespierre. Le Montagnard Choudieu obtient l’impression, c’est-à-dire la publicité du rapport et de toutes les pièces. Fait révélateur de la faiblesse de la Montagne et de l’ingratitude de la Droite envers les Thermidoriens, des députés de Droite, qui n’ont aucune considération pour les Thermidoriens, ont soutenu la Montagne ! L’enjeu du rapport Courtois est de taille. Même un Royaliste comme Boissy d’Anglas écrivait de Robespierre :“C’est Orphée enseignant aux hommes les principes de la civilisation et de la morale.” Cela permet d’imaginer ce que contenaient les lettres des Thermidoriens, anciens adulateurs de Robespierre. Courtois a dans ses mains une bombe qui peut exploser à la figure des Thermidoriens.
L’un des plus compromis, André Dumont, prend peur : “On veut vous tendre un piège. On veut assassiner une foule de patriotes qui ont écrit à Robespierre au temps de sa popularité.” Ruamps, Montagnard orthodoxe, le traite “de Royaliste, de coquin, de chef des muscadins et des fainéants poudrés”. Mais cette fois, le vice triomphe de la vertu. Courtois, qui a devancé les craintes de ses amis Thermidoriens, a trié les lettres et escamoté ce qui aurait pu les compromettre. Le lendemain, Fréron, furieux d’avoir eu peur, lance un appel au meurtre dans son journal l’Orateur du Peuple : “Vous avez fermé les Jacobins, vous les anéantirez !”. Les émeutes et les rixes entre Muscadins poudrés et Sans-culottes faméliques se multiplient.
Dans le même temps, la majorité hétéroclite de la Convention se montre doublement imprévoyante. Le 12 janvier, l’indemnité des députés est doublée alors que l’inflation est catastrophique. Et le 14, un Boissy d’Anglas jovial affirme à la Convention que “les subsistances de Paris sont assurées” alors que la population parisienne souffre de froid et de faim. Dans un climat social chaque jour plus orageux, la majorité de la Convention, soutenue par le triomphe de l’Armée du Nord en Hollande, et la signature d’une paix plâtrée avec les Vendéens, avance dans la voie de la réaction. Parmi les nouveaux hommes forts, aucun ne pressent le terrible réveil du peuple de Paris.
Au contraire, des questions secondaires et des règlements de compte semblent accaparer l’attention des Thermidoriens vendus aux Royalistes. Le 29 janvier, Tallien attaque son ancien compère Fouché, qui s’est opposé au rappel des 73. Le 23 février, Merlin de Thionville demande du sang, peut-être pour conjurer l’émeute qui monte. Il critique la Commission des Vingt-et-Un, trop molle à son gré, pour mener les accusés à la guillotine :“Qu’aviez-vous besoin de ces formes lentes ?” Mais Legendre a des scrupules : “Quand on a été opprimé, il ne faut pas devenir oppresseur”.
Le 2 mars, le Royaliste Saladin présente le rapport d’accusation contre les “Décemvirs”. Legendre, qui n’a plus de scrupules, réclame l’arrestation immédiate de Barère, Billaud-Varenne, Vadier et Collot d’Herbois, sous les acclamations de la Droite. Mais dans sa masse, la Convention est encore réticente. La réaction met pourtant les bouchées doubles. Le 3 mars, Boissy d’Anglas présente les difficultés présentes, agiotage, corruption, disette et désertion, comme les résultats de la politique de Robespierre, guillotiné sept mois plus tôt ! La Convention trouve l’explication plus commode que convaincante. Comme remèdes, Boissy d’Anglas obtient la réouverture de la Bourse, afin de stimuler le commerce. La Bourse avait été fermée par les Montagnards pour lutter contre la corruption et la spéculation. Puis, compte tenu de l’agitation à Paris, la Convention décide de nommer elle-même les autorités de Paris. La Convention sous influence modérée organise la répression en priorité absolue.

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