L’atmosphère des ultimes séances de la Convention est donc au désenchantement. Trente sept mois et cinq jours après son entrée en fonction, la Convention est épuisée.Si à cet instant, les représentants du peuple dressent le bilan des trois années passées ensemble, le constat est rude. Rejetés par le peuple comme pourris et incompétents, par les royalistes commes des dictateurs sanguinaires et illégitimes, par les faiseurs d’opinions comme versatiles et démagogues, les députés s’autocritiquent : “Nous avons tous commis des erreurs”.
En premier lieu, beaucoup de grands hommes, d’idoles, de chefs, ont disparu. Ceux qui parlent aujourd’hui ne sont pas les vrais acteurs de la pièce.Ce ne sont que des doublures.Sur les 26 orateurs du 21 septembre 1792, premier jour de la session, 11 (!) ont été guillotinés et neuf autres persécutés. Sur les 29 orateurs du 22 septembre 1792, 13 (!!) ont été guillotinés et dix autres arrêtés ou pourchassés. La Convention d’aujourd’hui n’est donc plus que l’ombre d’elle-même. De plus, tel député, qui a survécu à toutes les vicissitudes de la Convention, a dû, à un moment ou un autre, se déjuger ou déserter au moment des grandes épreuves. Parmi les députés qui ont siègé durant toute la session, aucun ne peut s’enorgueillir d’un parcours absolument rectiligne. De réputation intacte, point. De personnalité irréprochable, pas davantage. Tous ont été témoins d’ignominies et tous sont au moins coupables de “non-assistance à personne en danger”. En cette fin octobre 1795, les députés se méprisent les uns les autres. Par ailleurs, les multiples virages politiques montrent que toute déclaration, même officielle, peut être contredite tôt ou tard. Aucun discours n’est plus fiable. Mirabeau disait de Robespierre :“Il croit tout ce qu’il dit.” Aujourd’hui, beaucoup de députés ne croient plus en rien, ni en personne. Les députés sont donc pressés de respirer un autre air, de voir d’autres visages plus ingénus. Assez de palinodies, d’apostasies, de lâchetés. Les députés ne veulent pas en savoir davantage sur les turpitudes de tel ou tel. Ainsi, les dernières dénonciations de Tallien, qui donnent lieu à des justifications pénibles, mettent en relief l’immense lassitude de la Convention. Tallien attaque avec raison Lesage de complot royaliste ; mais il est accusé d’opportunisme avec raison par Thibaudeau, qui lui-même pourrait être accusé, encore avec raison, de lâcheté au 12 Germinal.
A ce motif humain, s’ajoute un motif politique. L’opinion publique, désorientée, ne s’y retrouve plus. La Convention comprend, mais un peu tard, que la République ne gagne rien à ces étalages perpétuels et à ces affrontements trop voyants. Ainsi, après s’être soustraite aux regards extérieurs, quelques jours plus tôt, la Convention, pour la première fois de la session, enterre sans examen une dénonciation motivée. Le dossier explosif des papiers de l’agent royaliste Lemaître est évacué.Par cette décision, la Convention déplace la notion de salut public. Auparavant, toute dénonciation devait être reçue comme un bienfait pour la cause révolutionnaire. Or dans les derniers jours, les esprits sont saturés d’accusations, les consciences politiques sont submergées, les convictions sont en désordre. L’abus des dénonciations de toute nature et de toutes origines, est une des causes majeures de cette désaffection, désaffection qui est bien plus nuisible à la République que l’abandon d’une dénonciation.
Mais au bout de cette logique, la contradiction devient éclatante. La Convention abandonne les poursuites contre les Royalistes pour le bien de la République ! La dénonciation de Tallien menaçant essentiellement des députés Royalistes, la Convention refuse de les compromettre pour ne pas discréditer encore un peu plus la République qu’elle incarne encore. Les Royalistes sont dans la Convention comme le ver dans le fruit. La Convention ne peut les atteindre et les châtier sans risquer de se déchirer elle-même.
Les Conventionnels régicides ont cependant tiré une leçon : il n’y a pas de pardon à attendre. Les royalistes, par leurs agents, leurs journaux, les déclarations des Bourbons, leur ont promis la mort. Aussi, tous les moyens sont bons pour empêcher le retour des Royalistes au pouvoir. Ainsi s’explique pour une part la violence politique qui ne cessera de troubler le Directoire. Toutes les secousses de la Convention s’expliquent par la gravité incommensurable de la situation. Quand les choses vont mieux, la pratique du coup d’état subsiste parce que la tentation du coup d’état est inscrite dans la mentalité des Régicides.
En octobre 1795, la Convention n’ose plus. La gauche ne parvient pas à imposer des candidats républicains. Pourtant les résultats des élections ne laissent aucun doute sur l’orientation générale des nouvelles assemblées. Royalistes absolutistes et constitutionnels vont envahir en masse les Anciens et les Cinq-Cents, les deux assemblées du Directoire. Les républicains légalistes, comme Daunou, refusent d’envisager le recours au coup d’état pour ne pas ternir les débuts “officiels” de la Constitution.
Or le mal est fait. Le Décret des Deux-Tiers est considéré par beaucoup comme un coup d’état par anticipation. Souillée, la Constitution ne bénéficie plus du respect dû à la pureté virginale. Les républicains de la Convention affichent là un respect bien tardif de la légalité, peu en rapport avec les circonstances. Ce coup d’état, les Directoriens y auront recours au prix du reste de crédibilité dont jouissait la Constitution de l’An III. La tentation du coup d’état a été très forte en octobre 1795.Les régicides n’y résisteront pas, deux ans plus tard, au 18 Fructidor V. A cette époque, curieuse coïncidence, deux partisans du coup d’état républicain, Barras et Larévellière-Lépeaux, sont Directeurs.
Nous avons tous commis des Erreurs
GUADET