Mentalite
Vertu   |   Raison   |   Peuple   |   Intransigeance   |   Soupçon   |   Haines   |   Exaltation   |  

Vertu

07-GERMINAL

Quel portrait psychologique peut-on tracer des Conventionnels ? Quelques points particuliers permettent de mieux cerner leur mentalité.
Dans leur immense majorité, les députés sont animés des meilleures intentions. Ce sont des hommes polis et policés. Honnêtes, travailleurs, désinteressés et sincères, ils sont décidés à achever l’ouvrage que le destin leur a réservé. Presque tous ont la noble ambition de servir la patrie et la liberté.Les Conventionnels, autrefois sujets d’un roi tout-puissant, accèdent enfin à la politique. Anonymes à peine sortis de la foule du vulgaire Tiers-Etat, ils vont écrire l’histoire. En quatre ans, quel chemin parcouru !
Les Conventionnels, fils du siècle des Lumières, formés à l’école des philosophes, partagent la même culture et les mêmes cultes : raison, tolérance, justice, dignité. En matière religieuse, leurs croyances sont diverses. En économie, en revanche, ils s’appuient sur le principe intangible du libéralisme absolu et du droit de propriété.Pour les Conventionnels, imprégnés de rousseauisme, la politique est pure. La Révolution a régénèré les moeurs des dirigeants en chassant l’aristocratie.La corruption est l’apanage de l’Ancien Régime, de la Cour et des classes oisives, clergé et noblesse. Comme Robespierre, les Conventionnels, dans leur immense majorité, “croient ce qu’ils disent”.
Les Conventionnels affichent un mépris absolu de l’argent. L’indemnité des députés, qui est modeste, représente environ deux fois le salaire d’un ouvrier qualifié. De plus, les avantages en nature du député sont pratiquement nuls. Rares sont les élus qui nourissent, dès le début, l’ambition plus égoïste de parvenir à la célébrité et à la fortune. Encore, à la fin de la session, par un souci étonnamment actuel, la Convention demande à chacun de ses membres un état de fortune comparé entre 1789 et 1795. Par exemple, quand Viennet et Cochon-Lapparent dénoncent le fournisseur qui leur a proposé 1 400 000 F de l’époque (aujourd’hui, il faudrait multiplier par dix) pour un marché crapuleux de chevaux, la Convention ne leur accorde pas un mot de remerciement. Morale autant que politique, la rigueur est de rigueur.
Spéculation et corruption sont rares. Pourtant, l’occasion est belle et la tentation forte d’amasser une fortune dans la vente des biens nationaux, la confiscation des biens d’églises, les fournitures aux armées, le trafic des grâces des détenus, ou tout autre domaine nouvellement soumis au controle politique. Tout peut devenir source de profit pour un député habile et peu scrupuleux. Parmi les députés qui se laissent corrompre, quelques uns sont d’ailleurs sévèrement châtiés. Mais par la suite, le ressort de la Terreur se détend et les principaux acteurs du 9 Thermidor étant eux-mêmes très suspects de tripotages, la gangrène gagne. Au point de représenter un “lobby”, un véritable groupe de pression à l’intérieur de la Convention. Les principaux thermidoriens sont alliés à des fournisseurs aux armées, des spéculateurs et des profiteurs, qui obtiennent une certaine influence politique.
Encore la corruption n’empêche-t-elle pas toujours les convictions sincères. L’exemple de Julien de Toulouse inspire une certaine tendresse. C’est un montagnard, mais aussi un pourri avéré. Alors que tous ses amis et complices sont guillotinés avec Danton, il en réchappe par miracle.Le danger passé, il pourrait profiter de ses biens mal acquis. Mais au contraire, il participe à toutes les agitations de gauche sous le Directoire. Il finance Babeuf et le Club du Manège avant d’être finalement déporté par Bonaparte.
Le nombre total des députés manifestement corrompus est de l’ordre de la quarantaine. Ce chiffre peut paraître élevé. Mais au regard des tentations qui les environnent et de la confusion qui devrait leur conserver l’impunité, quarante voleurs, c’est peu. C’est même très peu si l’on considère que les “affaires” et la politique n’ont pas encore complètement divorcé de nos jours. La Convention est donc “vertueuse” à 95%.
Quelques uns des corrompus sont des Girondins réactionnaires ou des Royalistes, dix sont Centristes.Plus de la moitié sont des Thermidoriens de la première heure, des hommes qui ont renversé Robespierre, qui ont changé de camp pour préserver leur interêt personnel, leur vie et leur fortune. Après coup, ils ont proclamé un objectif politique louable, la fin de la Terreur.Sur le moment, ils voulaient la fin de leur propre terreur, liée à leur conduite douteuse. La Convention n’est pas pourrie pour autant mais, détail significatif, la répression des trafics cesse en même temps que la domination montagnarde.
Dans le même ordre d’idées, quelques députés connaissent dans leur parcours à la Convention ou en mission, des femmes qui vont changer leur orientation politique. Ces histoires d’amour se concluent souvent par des mariages. Laurence, Laporte, Bentabole, Rovère, Chabot et, bien sûr, Tallien, finissent par épouser leur conquête. Les histoires d’amour peuvent aussi mal finir. Le riche mariage de Chabot est cause de sa disgrâce. Turreau se serait suicidé à cause de l’inconduite de sa femme. Les maîtresses de Hérault de Séchelles, de Simond, d’Osselin, sont toutes des “aristocrates” ou des émigrées cachées. Et quand elles sont découvertes, la position de leur amant devient intenable. Ces liaisons jettent le doute sur la pureté des intentions révolutionnaires des députés et sont pour beaucoup dans leur chute. Dans l’esprit du temps, il n’y a qu’un pas de la corruption morale à la corruption politique. La même Vertu doit rendre les députés doublement incorruptibles. En l’An III, la vertu privée est moins exigeante. Legendre vit avec l’ancienne maîtresse du Comte d’Artois, Mademoiselle Contat, et baigne dans l’aristocratie avec la bénédiction des Thermidoriens. La maîtresse de Julien de Toulouse est Comtesse.
Trop de femmes apparaissent au même moment dans la vie des hommes importants de la Convention pour qu’il ne s’agisse que des hasards de Cupidon. Déjà Barbaroux avait dénoncé l’utilisation par l’aristocratie des femmes pour corrompre les révolutionnaires. A l’époque du Procès du Roi, beaucoup de députés Montagnards, comme Choudieu et Azéma, décidés à voter la mort, doivent refuser force cajoleries interessées. Les agents Royalistes de Paris sont les organisateurs de cette campagne de jupons. Chabot et Julien étaient liés au Baron de Batz, fameux conspirateur royaliste. Larévéllière, membre influent de la Convention en l’An III mais peu gâté par la nature car il est bossu, note avec ironie : “Je suis environné de femmes.” Et Legendre dénonce lui-même à la tribune de la Convention les sollicitations douteuses de Madame de Staël, étonné qu’un simple boucher ait pu attirer l’attention de la fille de Necker.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.