Trois Montagnes, Janvier - Mars 1794

Un Acte d’indulgence envers les Ennemis du Peuple

GENSONNE

Aux alentours du 23 décembre 1793, compte tenu des missions et des attributions des uns et des autres, l’équipe gouvernementale est réduite. Quatre membres du Comité de Salut Public sur douze sont en mission : Saint-André à Brest, Prieur de la Marne en Vendée, Prieur-Duvernois à Lille, Saint-Just à Strasbourg. L’ami de Danton, Hérault de Séchelles, est suspecté de trahison. Attaqué sans relâche, il est contraint d’offrir sa démission et n’est pas remplacé. Collot d’Herbois revient à peine de Lyon. Carnot et Lindet sont “ensevelis sous leurs dossiers”. Couthon, paralytique, participe peu au travaux du Comité. Barère est le porte-parole attitré mais n’a pas d’influence propre. Bref, le gouvernement de la République repose sur deux hommes : Billaud-Varenne et Robespierre.
Leur dévouement est indiscutable. Le premier a gagné le surnom d’Inflexible”, le second, d’”Incorruptible”. Ils partagent les mêmes positions politiques de principe. Mais leur appréciation de la situation différe.Leurs positions sont presque incompatibles. En schématisant, Robespierre voit le danger du côté des Ultras et Billaud-Varenne du côté des Indulgents. Les autres membres des Comités s’alignent sur l’une de ces positions et s’en remettent à leurs collègues, absorbés qu’ils sont par des tâches matérielles écrasantes.
Ces derniers jours, les discussions au sein du Comité de Salut Public ont été extrêmement houleuses. Plus que la coalition étrangère, la division du Comité menace la République. Déjà, quand Desmoulins, l’ami de Robespierre, a dénoncé Collot d’Herbois comme Ultra, Billaud-Varenne a aussitôt rappellé de Lyon son ami Collot d’Herbois en renfort. Or le conflit entre dans une phase très aigüe. Le Comité de Salut Public divisé, est malmené à la Convention. Les factions se combattent avec un acharnement croissant. Les Montagnards qui sont pris dans cette partie d’échecs, penchent pour l’un ou l’autre camp, Indulgent ou Ultra. Le Comité de Salut Public connaît la même fracture et ne constitue plus le pôle de ralliement indispensable.
Le 26 décembre 1793, le danger culmine. Le Comité se torpille lui même ! Barère, membre du Comité et allié de Billaud-Varenne, demande le remplacement de la Commission d’Examen créée six jours plus tôt à la demande de Robespierre. Robespierre répond aussitôt à Barère et défend sa commission. Déjà, la Convention est surprise de ce combat des chefs. “Les membres du Comité ne se consultent donc plus ?” se demandent les députés. Billaud-Varenne intervient de manière décisive.Galvanisé par le retour de son ami Collot d’Herbois, il provoque à la fois Robespierre et les Indulgents. Il écrase la Convention d’un discours hautain, où le mot indulgence résonne comme une insulte : “Cette Commission d’examen est un acte d’indulgence envers les ennemis du peuple français. Si la Convention eût conservé toujours son energie et sa fermeté, elle aurait passé à l’ordre du jour sur les réclamations des contre-révolutionnaires qu’on vous présenta à la barre.” Après cette rude semonce, Billaud-Varenne obtient la suppression de la Commission d’Examen. Exceptionnellement, Robespierre est resté sans voix.La Convention, accusée de faiblesse, assiste, désolée, à ces règlements de compte à la tribune entre membres du même Comité de Salut Public.
L’effet est désastreux. Plus d’un député envisage alors le remplacement imminent de l’équipe dirigeante. Une fermentation préoccuppante traverse la Convention.Les membres du Comité sont conscients du danger. Le soir-même du 26 décembre, Billaud-Varenne et Robespierre s’engagent sur un compromis. Ils conviennent que désormais, aucun différend entre membres du Comité n’apparaitra plus sur la place publique et que toutes les initiatives seront défendues en commun devant la Convention. Surtout, ils tombent d’accord pour combattre au besoin les éléments les plus exaltés des deux factions. Robespierre obtient que Danton et Desmoulins soient mis hors de cause.En échange, Collot d’Herbois obtient l’oubli de sa mission sanguinaire à Lyon.
Dès lors, l’équipe du Comité donne l’image d’un bloc indissoluble, se protégeant alternativement des deux côtés, cherchant des renforts. Ce jour-là, Robespierre préfére le Comité avec ses Ultras aux Indulgents sans le Comité. Robespierre se détermine en faveur de la solidarité gouvernementale, quoi qu’il en coûte. Billaud-Varenne passe avant Danton.
Sur ces entrefaites, deux très bonnes nouvelles confortent définitivement la position du Comité : victoire de Savenay sur les Vendéens et reprise de Toulon sur les Anglais. L’invasion est stoppée sur toutes les frontières et les rébellions intérieures sont matées. L’hiver ralentit les opérations militaires mais l’extraordinaire mobilisation du pays devrait assurer définitivement la victoire de la République au printemps 1794. L’immense effort entrepris va permettre d’engager plus d’un million de soldats républicains. Pour équiper, organiser, instruire ces masses innombrables, pour préparer cette campagne décisive, le Comité de Salut Public a besoin de sérénité, de calme et de la confiance de la Convention.

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