Au XIXè siècle, les républicains de l’intérieur ignorent peu ou prou les Conventionnels, et n’attirent pas l’attention sur le scandale du bannissement des Régicides.Carnot mort à Magdebourg, David, Prieur de la Marne, Quinette et Cambon à Bruxelles, Roger-Ducos à Ulm, Thuriot à Liège, Billaud-Varenne à Saint-Domingue, tous ces fondateurs de la République sont bannis. Ils traînent leur martyre pendant des années avant de mourir isolés. Pourtant, ils n’ont pas droit à l’admiration, ou même à la compassion de leurs contemporains. Cette mise en quarantaine surprenante prend sa source dans la propagande de la hiérarchie catholique et des Bourbons. Louis XVI sacralisé, sanctifié, ses juges deviennent par réaction des démons. Oser condamner à mort un Roi de Droit Divin est trop subversif.Défi à Dieu et à la Monarchie, cette éxécution menace la hiérarchie de la naissance, l’ordre établi, la résignation. Ceux pour qui la Royauté est une monstruosité féodale, pour qui il y a autant de dieux que d’hommes, pour qui la royauté doit être définitivement proscrite par la mort du dernier des Rois, ceux-là sont dangereux.
A l’inverse, les Bourbons peuvent admettre la gloire militaire et l’Empire, construit sur le modèle monarchique, et oint d’ailleurs par le pape. Leur propagande n’a pas laissé de trace sur l’image de Napoléon. L’Usurpateur est devenu Grand. Les bonapartistes ont su utiliser l’agonie de Napoléon, banni, mort isolé à Sainte-Hélène après avoir trainé son martyre pendant six ans. Cette fin, qui a renforcé sa légende, a largement contribué à soutenir le bonapartisme au XIXème siècle et a facilité, et l’élection, et le coup d’état de Napoléon III. Pourtant, Napoléon Ier est en partie responsable du sang de dizaines de milliers de soldats, notamment en Egypte, en Espagne et en Russie. Dans le domaine du sang, la mort du seul Louis XVI a plus de poids que les six cent mille morts et les deux cent mille mutilés dûs à dix ans de guerre napoléonnienne. Ainsi, les Bourbons ont tant “chargé” les régicides que personne ne s’attendrit sur leur sort.
La réputation indéfendable construite par les royalistes et la Restauration explique l’atmosphère de sang qui a, avec persistance, accompagné les Conventionnels. Depuis 1795, objets d’une propagande royaliste intense, la violence des régicides en fait des criminels. De fait, l’agression pendant la session a été monnaie courante. Entourés de menaces d’assassinats ou d’éxécutions, les Conventionnels évoluent en permanente insécurité. Par la suite, ils sont tous considérés comme complices de la Terreur. Tous, qu’ils le veuillent ou non, y compris les non-votants, et même s’ils ont été eux-mêmes victimes de l’oppression. Car, collectivement, la Convention a inspiré la terreur. Dès la fin de la session, ses membres isolés sont malmenés. Progressivement, à mesure que les passions sont comprimées, sinon calmées, les assassinats disparaissent.Mais, à la Restauration, les Conventionnels, régicides en particulier, craignent un massacre général. C’est une hypothèse d’autant plus crédible que depuis 1795, et le fameux “Tuez-les”, ils savent que les Royalistes fanatiques ne leur pardonneront jamais. Les Régicides ont cristallisé la haine des Ultras.
Les manoeuvres des Thermidoriens pour discréditer la mémoire de Robespierre, relayées et amplifiées par les Royalistes pendant plus de trente ans, ont fini par discréditer tous les fondateurs de la République, même aux yeux des républicains. Toutes les forces de propagande de la Restauration, tous les biographes, les journalistes, les hommes de lettres, véhiculent le même message. Dans les écrits de la Restauration, la Convention est inlassablement décrite comme guillotinière et terroriste, dirigée par des bouchers, des cannibales et des buveurs de sang.
L’histoire officielle ne recule pas devant la falsification de la vérité. Dans la version royaliste de l’Histoire de la Révolution, la seule qui soit admise sous la Restauration, l’effet devient la cause. Le bon roi, victimes des cannibales, est assassiné.Après quoi, ils dévorent et pillent le Royaume, provoquant la fuite de milliers de citoyens paisibles, puis ils se dévorent les uns les autres. Pour les royalistes, la Terreur a entraîné l’Emigration. C’est le contraire de la simple vérité chronologique. A cette époque, le jugement de la Restauration, sans surprise et sans nuance, reflète le sentiment largement dominant : la Convention et la barbarie ne font qu’un. Une de ses têtes pensantes, Labourdonnaye, parle avec horreur de “cette Convention exécrable, qui, après s’être souillée du sang de son Roi, couvrit pendant si longtemps la France de carnage.” La thèse royaliste laisse une empreinte profonde. Le message simple se répand même dans la population éclairée. Elle présente les républicains comme viscéralement sanguinaires, la République et la guillotine comme une seule et même chose.
Ainsi, “Le sang à la Une !” piége pour longtemps les Républicains du XIXème siècle. Plus surprenant encore, malgré un recul de plusieurs années, beaucoup de Conventionnels s’imprègnent de cette image de sang. L’un des plus illustres, l’Abbé Grégoire est plus que sévère : “De quoi se composait cette majorité de la Convention ? D’hommes féroces et surtout d’hommes lâches. Elle renfermait des hommes hideux que l’enfer semblait avoir vomi comme indignes même de ce séjour d’horreur !” Un tel témoignage fait longtemps autorité et d’innombrables écrivains reprennent la thèse en toute bonne foi.
Rares sont les voix qui viennent alors troubler l’unanimité accusatrice. Curieusement, l’ancien collègue de Grégoire, Charles Pérard, n’a apparemment pas cotoyé les mêmes hommes : “Le grand caractère de la Convention, ce fut un patriotisme brûlant, et un désintéressement qui n’a pas eu d’imitateurs.” De même, le plaidoyer de René Levasseur, ancien Conventionnel, est tout d’abord bien isolé. Le premier, il invoque les “circonstances” : “Ceux qui nous jugent si sévèrement devraient peut-être mettre en ligne de compte les circonstances au milieu desquelles nous nous trouvions. Dites-nous, grands discoureurs, qui refaites l’histoire après coup, … ce que nous aurions dû faire au milieu d’orages que vous ne sauriez envisager sans en être submergés !”
Mais progressivement, le jugement péremtoire de la Restauration est modulé. Peu à peu, timidement, le XIXe siècle trouve quelques mérites aux Conventionnels. La Convention s’enrichit d’une historiographie à son image, mouvementée. Les historiens, pourtant moins impliqués que les Conventionnels, s’opposent en polémiques passionnées, au long des décennies suivantes.
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