Mentalite
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Intransigeance

12-FRUCTIDOR

Il reste que les discours les plus applaudis des tribunes, les orateurs les plus appréciés sont les plus intraitables. La Convention se laisse ainsi entraîner à une attitude jusqu’auboutiste. Elle veut tout, tout de suite. Elle ignore les concessions, parce que les concessions supposent des tractations suspectes.Tel qui évoque des difficultés matérielles et signale des obstacles concrets, peut vouloir parlementer, négocier, trahir peut-être. Ainsi, la politique de la Convention tend parfois au surréalisme. Saint-Just et Lebas font répondre à des plénipotentiaires Prussiens : “La République Française ne reçoit de ses ennemis et ne leur envoie que du plomb !” Transportée, galvanisée, la Convention commandera la victoire à date fixe. Elle laisse un délai de vingt quatre heures aux placefortes occupées par l’ennemi pour une reddition sans conditions. Elle laisse quinze jours à ses propres soldats pour abattre la Vendée. Les Conventionnels, par la bouche de Barère, n’admettent ni la défaite, ni les retards. Selon le mot de Basire, les Républicains ont bien fait un pacte avec la mort.
Imprégnés d’histoire romaine, les Conventionnels y puisent surabondamment des noms, des citations, des exemples et des leçons. Ils ont le culte de l’honneur et de la fierté, jusqu’au fanatisme, à la mode de Plutarque. L’inflexibilité des Conventionnels laisse peu de place au sentiment d’humanité. Les lois sont de plus en plus sévères envers les Emigrés, les prêtres réfractaires, les insoumis, les royalistes armés. Les comportements charitables sont dangereux, donc remarquables. Quand Cassanyès aide Birotteau, du parti opposé, à prendre la fuite, quand le Montagnard Marcoz cache Condorcet, traqué, ils risquent au moins la prison. Quand Rabaut-Saint-Etienne et son frère, tous deux députés proscrits, sont découverts chez les époux Paysac, ces derniers sont guillotinés. Un jour, Barère, tout puissant rapporteur du Comité de Salut Public, rencontre le député fugitif Philippe-Delleville. Barère le reconnaît et lui dit, à la fois prévenant et prévoyant : “Soyez tranquille, je ne vous ai point vu. Je prends part à votre situation qui, dans un autre temps, sera peut-être la mienne.” Barère risquait sa tête.
Ce parti-pris d’intransigeance se renforce et éclaire d’un jour nouveau la quantité de sang répandu. Les chefs rompent mais ne plient pas. Les grands disparus de la Convention, avec un peu de souplesse politique, auraient survécu. Mais précisément parce qu’ils sont passionnés, d’un caractère entier, ils ont souvent creusé leur propre tombe. Il ne faut pas attendre d’eux concession ou compromis.La force des convictions étouffe leur instinct de survie. Les leaders de la Convention n’ont pas peur de mourir. Condamnés comme Duquesnoy et Bourbotte, traqués comme Lidon et Condorcet, désespérés politiquement comme Lebas, se croyant déshonorés comme Brunel et Tellier, les Conventionnels recourent au suicide. Quand il apprend que sa femme, Madame Roland, a été guillotinée, elle-même grande admiratrice des héros de Plutarque, l’ancien ministre Roland décide de ne pas lui survivre. Arrêtés ou menacés de l’être, certains refusent de fuir, comme Danton et Vergniaud. Quand son ami Romme est menacé de mort, Soubrany se joint à lui et partage son sort.
La mentalité moderne honore sans doute ces traits d’héroïsme, mais déplore le manque de sens politique. Car après tout, au prix d’une tache passagère sur leur honneur, il leur était permis de se cacher, non par lâcheté, mais pour poursuivre la lutte et défendre leur idéal politique. Qui sait ? Ces Républicains passionnés auraient peut-être empêché la dictature militaire, l’avènement de Napoléon et la Restauration de Louis XVIII ?

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