Organisation

Régicide

PETION

Pour aboutir, la Convention a dû s’organiser, parfois douloureusement, dans le bruit et la fureur. Dans les premiers temps, malgré les dispositions précises du règlement, tous les organismes et toutes les institutions qui gravitent autour de la Convention paraissent livrés à eux-mêmes. Le désordre apparaît peu dans la mesure où la République semble invincible. Puis, les échecs survenant, tout se choque, s’entrave et se contredit en un ballet insensé, tant le centre du pouvoir politique est désorienté. Pendant de longs mois, alors que tout s’écroule autour d’elle, la Convention s’entête dans un mode de fonctionnement suicidaire. Ainsi, le Conseil Exécutif, ou conseil des ministres, est censé appliquer les ordres de la Convention et mettre de l’ordre dans la marche du gouvernement. Mais ces ministres n’ont ni pouvoir, ni autorité. Surtout, ils dépendent du Comité de Défense Générale de la Convention, instance pléthorique et indisciplinée, qui délibère en public et qui étale ses divisions et son impuissance. Au printemps 1793, les premiers correctifs apparaissent. Puis, peu à peu, l’assemblée est mise sous l’éteignoir. En contre-partie, l’énergie de l’assemblée est alors canalisée. L’unité d’action permet de concrétiser sous formes de lois et de créations, les multiples projets agités dans l’assemblée. Par la suite, le privilège de la parole est réservé à un groupe ou à une tendance.Le pouvoir est monopolisé. Les différents opposants n’ont qu’à se taire ou à s’en aller, à se soumettre ou à se démettre. Trop rarement, la Convention a pu s’écarter de cette pénible alternative : impuissance ou oppression. Le parlementarisme, qui en est à ses balbutiements, n’a pas le temps de trouver son rythme.
Le parlementarisme souffre par ailleurs d’un handicap essentiel, résultat d’un évènement apparemment sans rapport : la condamnation de Louis XVI. En effet, le régicide a marqué l’organisation de l’assemblée. Le mécanisme est simple.
Sur le moment, la République est triomphante et chacun participe à l’allégresse. Puis les orages s’annoncent et les Régicides se comptent. Très vite, les 334 députés qui n’ont pas voté la mort du roi (46%), sont mis à l’écart des missions et autres fonctions politiques. De février 1793 à mars 1795, tous les présidents successifs sont régicides. D’avril 1793 à novembre 1794, tous les membres du Comité de Salut Public sont régicides. De mars 1793 à août 1794, la règle non écrite est de n’envoyer que des régicides pour les missions importantes. Ce parti-pris est apparent dès le 9 mars 1793. Quand le Girondin Pénières demande la nomination par le bureau de l’assemblée des 82 premiers Représentants en mission, le Montagnard Collot d’Herbois demande que “ces commissaires ne puissent être pris parmi ceux qui ont voté pour l’Appel au Peuple.” Et Pénières de protester en vain. L’altercation entre Buzot et Basire le 30 avril 1793 est encore plus explicite. Au nom du Comité de Salut Public, Cambon propose une liste de noms de députés à envoyer aux armées.Le Girondin Buzot observe qu’ils ne sont pris que du côté des Montagnards. Réplique de Basire :“Ceux qui ont voulu sauver le tyran ne doivent pas remplir de telles fonctions … Nous, qui avons voté la mort du tyran, si par malheur, nous étions la minorité, nous serions des victimes. C’est notre droit de nous soutenir pour combattre tous nos ennemis.” Et Buzot de se taire.
Quelques chiffres permettent de mesurer cette évolution. Avant le 21 janvier 1793, 59% des députés en mission sont de futurs régicides. Le 9 mars 1793, la proportion monte à 95%. Le 30 avril 1793, on passe à 97% de régicides en mission. Au 28 mai 1793, la proportion redescend à 85%. En juin et juillet 1793, 88%. Enfin, d’août 1793 à août 1794, tous les représentants en mission sont des régicides. Puis, progressivement, cause ou effet de la réaction en province, la proportion de régicides diminue. Le 27 décembre 1794, Bézard manifeste son étonnement et son inquiétude de voir en mission de plus en plus de non-régicides. Au 30 novembre 1794, la proportion est déjà descendue à 76% de régicides. En 1795, le pourcentage se stabilise autour de 40%.
L’exclusion des non-votants de toutes les responsabilités a une double conséquence. D’abord, la Convention “tourne” avec la moitié de son personnel. Ensuite, les non-régicides sont privés de rôle actif. Leur vote indulgent les cantonne dans un rôle passif ou technique, toute initiative de leur part pouvant être suspectée. Donc ils n’interviennent pas dans le débat et les Montagnards les utilisent comme caution démocratique. Au-delà de ce partage des tâches, il est clair que les députés tenus en dehors du pouvoir sont frustrés et que leur revanche s’alimentera de ce ghetto de méfiance.
Ce parti-pris des régicides met en lumière le fonctionnement de la Convention pendant la période montagnarde. Minoritaires, les Montagnards font adopter leur politique par l’assemblée. Pourtant, de nombreux députés qui votent à l’assemblée, sont jugés inaptes à défendre la République sur le terrain ou au pouvoir. En clair, près de la moitié de la Convention n’a pas la confiance de la majorité du moment.
Les Montagnards ont d’ailleurs raison dans une large mesure. Qu’on en juge par le Traité de La Mabilais signé le 20 avril 1795 avec les Chouans. Parmi les dix députés de la Convention mandatés pour la signature de ce traité, on ne compte que trois régicides. Trois royalistes notoires sont parmi les sept autres. A ce stade, les conditions extrêmement favorables concédées aux chefs royalistes rebelles ne constituent plus une surprise.

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