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Soupçon

11-THERMIDOR

Autre élément de tension, le soupçon à l’égard de tous les hommes politiques est recommandé par la plus élémentaire prudence. La Révolution a des ennemis irréconciliables. Le roi, traître et emprisonné, sans pouvoir, n’est pas pour autant inoffensif. Ses complices, ses frères et les émigrés rallient tous les despotes étrangers à sa cause et complotent à l’intérieur et à l’extérieur en son nom. Depuis 1789, toutes sortes d’embuches ont amené la Révolution à se raidir. Le peuple de Paris, de naïf qu’il était, est rapidement devenu exigeant vis-à-vis de ses représentants. Pendant quatre ans, les trahisons et les complots de toutes natures ont entravé la marche de la Révolution. Beaucoup de chefs révolutionnaires populaires, parvenus aux marches du pouvoir, se sont compromis. Barnave, Mirabeau, Duport, Lally-Tollendal, Lameth, La Fayette, grands orateurs du Tiers Etat à la Constituante, ont fini par pactiser avec la Cour. Les Conventionnels ont par exemple retenu de la Constituante des leçons de manipulation, comme l’accord secret entre Malouet et Barnave, officiellement opposés, pour obtenir que la révision de la Constitution se fasse au profit d’un renforcement des pouvoirs du Roi.
La méfiance est donc une nécessité. C’est ainsi que tous les personnages en vue sont l’objet d’une surveillance attentive. On guette leur première défaillance. Le soupçon s’attache aux actes de tous les hommes publics. La Révolution s’est toujours défendue en dénonçant, plutôt trop que pas assez, tous ceux qui sont soupçonnés de vouloir arrêter sa marche. Cela dit, la délation est une arme constante des pouvoirs, depuis des siècles. Plus récemment, les rois Louis XIV et Louis XV, et le Clergé, pendant des décennies, ont encouragé la dénonciation interessée de protestants. De même, la Législative a officiellement recours à la délation pour traquer les prêtres réfractaires.
Mais, même si la protection de la Révolution est un objectif plus louable, bien des maux qui vont accabler les Conventionnels, trouvent là leur origine. Cette méfiance, longtemps salutaire, favorise bientôt une répression croissante, alors même qu’elle se justifie moins. Marat incarne cet esprit scrutateur, lui qui se surnommait non seulement l’Ami, mais aussi l’Oeil du Peuple. Officiellement, la dénonciation est bien vue et ne peut être que désinteressée. Dénoncer, “démasquer les traîtres”, c’est le premier devoir du républicain. Les autorités encouragent les citoyens à exercer une juste surveillance républicaine. Mais le préjugé favorable qui entoure le dénonciateur devient vite un tremplin vers le pouvoir. Un homme habile obtient rapidement une sérieuse notoriété à dénoncer à tout va. La Convention n’échappe pas à cette règle. C’est la tactique des démagogues et des corrompus comme Tallien, Fréron et Chabot.
Les dénonciations portent d’abord sur des députés identifiés et sur des faits précis. Puis faute de temps, l’investigation se limite à des impressions et des on-dit. L’habitude est prise de recevoir des accusations sur des circonstances connexes, des rapprochements de faits, de vagues présomptions. Il suffit parfois d’un mot, prononcé en privé, pour être dénoncé.
Si le dénonciateur intervient a priori pour protéger la Révolution, a contrario, la personne dénoncée souffre du préjugé inverse. Ainsi, la République en péril se trouve en totale contradiction avec le principe révolutionnaire qui veut que tout accusé soit présumé innocent. Sous la Convention, la personne dénoncée est présumée coupable. Encore une fois, seules les circonstances expliquent cette frénésie de dénonciations.
Toutes ces dénonciations laissent aujourd’hui une impression de malaise. Tout d’abord la délation est moralement discutable. De plus, les dénonciations, se multipliant, toujours moins fondées, toujours plus suspectes, frappent au hasard et ratent leurs cibles, oublient parfois les criminels et atteignent des innocents. Mais surtout, du point de vue des Conventionnels, les dénonciations ont un terrible inconvénient. Elles éclaboussent un nombre croissant de députés, et, en définitive, la République elle même.

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