Girondins Discrédités, Janvier - Mai 1793

Les hommes faibles doivent se taire

PETION

Depuis longtemps, le roi Louis XVI est détenu à la prison du Temple avec sa famille. Que faire d’un roi détrôné et coupable de trahison dans une République naissante ? Laborieusement, la Convention a décidé de répondre à cette question et elle organise le procès du roi. Ce procès gigantesque par son enjeu, la fin du système millénaire de droit divin, pouvait permettre aux Girondins de récupérer leur influence perdue et de consolider leur pouvoir. Il n’en fut rien. Tout d’abord, les Girondins traînent les pieds dans les préparatifs du Procès de Louis XVI, multiplient les artifices de procédure, contestent à la Convention le droit de juger le roi, attaquent Egalité, cousin du roi, qui siège parmi les Montagnards, en feignant de craindre ses ambitions au trône. Le Ministre Roland, leur ami, est soupçonné d’avoir subtilisé des papiers compromettants pour les Girondins, papiers découverts dans une armoire de fer aux Tuileries. Surtout, les Girondins lancent l’idée de l’Appel au peuple, sorte de parapluie pour ne pas avoir à décider. Le raisonnement des Girondins est d’accuser le Roi tout en refusant à la Convention le droit de le juger. D’où l’idée de recourir à la sanction du peuple, qui, lui, n’est pas juge et partie. Or le 26 décembre 1792, le Montagnard Amar les ridiculise cruellement : “On vous dit partie intéressée. Mais le Peuple Français est partie intéressée … Où faudrait-il en appeler ? Aux planètes, sans doute !” Depuis, les Girondins traînent la réputation d’aller chercher leurs solutions dans la lune.

Gênés par leurs alliés réactionnaires ou royalistes, qui veulent sauver le Roi par tous les moyens, les Girondins continuent de retarder l’échéance, tout en se montrant républicains.Ainsi, au Royaliste Lanjuinais qui réclame une majorité des deux tiers pour juger le roi, le Girondin Garran-Coulon répond :“Il faut que tous vos décrets soient également respectés, qu’ils soient acquis à une majorité considérable ou d’une seule voix !” Les Girondins sont là en pleine contradiction. Les chefs républicains et les députés de base Royalistes se ménagent mutuellement. Mais le résultat est catastrophique. Dans cette affaire, sans détermination, sans choix positif, sans mot d’ordre, les Girondins se discréditent en tant que parti de gouvernement. Si les Girondins avaient adopté une position de fond indulgente et s’ils l’avaient défendue solidairement, le cours de la Révolution eût certainement changé. Mais ils n’y sont pas tous favorables. Ils défendent la clémence à contre-coeur, hypocritement. Loin de faire bloc, loin de défendre hautement cette position, ils se laissent prendre l’initiative et sont dramatiquement divisés.

Ce mois de janvier 1793 est décidément celui de leur déclin. Les Girondins sont d’abord mis en difficulté par une dénonciation du Montagnard Gasparin, qui leur reproche la lettre que leurs chefs de file, Vergniaud, Guadet et Gensonné, ont adressée à Louis XVI en juillet 1792, dans laquelle ils posent en termes voilés leur candidature au Ministère. Puis Barère détruit tous leurs arguments dilatoires, notamment celui de l’Appel au peuple, par un discours qui, lui, est sans appel. Par ailleurs, sur une accusation lancée à la légère dans son journal, Brissot est pris en flagrant délit de mensonge. Enfin et surtout, ils votent en ordre dispersé au jugement. Trois questions sont posées successivement aux députés : pour ou contre l’appel au peuple, pour ou contre la mort, pour ou contre le sursis.

Entre le vote clairement républicain réclamé par les Montagnards, contre l’appel au peuple, pour la mort et contre le sursis, et le vote favorable aux vues des Royalistes, pour l’appel au peuple, pour la détention et le bannissement, et pour le sursis, vote symétriquement opposé, les chefs Girondins s’éparpillent.

Rabaut Saint Etienne, Defermon, Fauchet, choisissent toutes les options indulgentes pour le roi. Leurs amis Lasource, Ducos, Boyer-Fonfrède, Larévéllière, Isnard, s’alignent sur les Montagnards. Entre les deux, Barbaroux, Vergniaud, Gensonné votent pour l’appel au peuple et contre le sursis. Mais, Brissot, Guadet, Buzot et Pétion, eux, sont pour l’appel au peuple et pour le sursis. Gorsas vote contre la mort mais contre le sursis à l’éxécution ! Quelle cacophonie ! Quand les chefs s’égaillent dans toutes les directions, rien d’étonnant à ce que les troupes finissent par se débander. Ce n’est pas tout. L’appel au peuple est repoussé par 424 voix sur 711, la mort est votée par 387 voix sur 721, le sursis est repoussé par 380 voix sur 690. Louis Capet est guillotiné le 21 janvier. Ecoeurés, leurs amis Kersaint et Manuel démissionnent. Le Bureau de l’Esprit Public, organisme de propagande girondine, aux mains de Roland, Ministre Girondin de l’Intérieur, est supprimé. Roland démissionne à son tour. C’est un désastre.

La première conséquence durable de la mort de Louis XVI dépasse le problème de l’influence des Girondins. Les votes du procès ont dessiné des fractures dans l’assemblée. Très vite, tous ceux qui ont voté l’appel au peuple ou le sursis et, a fortiori, ceux qui n’ont pas voté la mort, les non-votants, deviennent, de fait, des députés de second ordre. Pendant leurs interventions, ils sont l’objet d’interruptions douteuses de la part des Montagnards ou bien de moqueries, en provenance des tribunes. Désormais, les non-votants obtiennent difficilement la parole et sont tenus à l’écart de la présidence, des missions, des Comités de gouvernements, puis du Comité de Salut Public. Sans pour autant être considérés comme des complices de l’aristocratie, ils sont jugés impropres à la défense ferme de la République. Le jour même de la mort du roi, l’illustre Pétion, premier président de l’assemblée, appelle de ses voeux la réconciliation de tous les membres de la Convention. En plein discours, il est interrompu sans ménagement par un Montagnard anonyme : “Dans des temps critiques comme ceux-ci, les hommes faibles doivent se taire et laisser parler les hommes vigoureux !” La majorité est donc faussée. L’organisation parlementaire de la Convention devient malsaine. A la majorité de droite, se superpose désormais la majorité des régicides. En principe, les députés sont égaux. En pratique, la parole est presque monopolisée par les régicides, les “hommes vigoureux”.

Deuxième conséquence, l’assemblée est transformée. Chez beaucoup de députés, une prise de conscience s’opère. Actifs, bavards, souvent éloquents ou émouvants, les Girondins sont inaptes au gouvernement.Un parti qui a la prétention de guider la République ne peut se laisser aller aux états d’âme individuels. Sur le problème du sort du Roi, grande question s’il en fut, les chefs Girondins étalent leur inconsistance politique. Leur crédit politique est entamé. Les Montagnards, au contraire, ont voté de manière homogène. La mort du roi traître prouve au monde la fermeté des républicains. La clarté de leur ligne politique leur rallie des députés influents, peu suspects de sympathie pour les émeutes. Les Montagnards gagnent en respectabilité. Après la mort du roi, leur influence progresse au dépens des Girondins. Le 21 janvier, le Comité de Sûreté Générale, contrôlé jusque-là par les Girondins, est remanié dans un sens Montagnard, et compte douze régicides sur douze membres !
Mais les progrès montagnards et l’effritement girondin ne rapprochent pas les ailes antagonistes de la Convention. Leurs forces se neutralisent et paralysent l’assemblée. La Convention, seul pouvoir légitime en France, est impuissante. Cependant, tant que la situation militaire reste apparemment faste, la division interne de la Convention n’a pas de conséquence dramatique.

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