Assiduité
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Présence

CARRIER

La Convention a en mémoire les exemples fâcheux des assemblées précedentes. De 1789 à 1791, l’Assemblée Constituante avait perdu une grande partie des députés de la Noblesse et du Clergé.Quelques uns avaient démissionné officiellement mais la pratique courante était de demander un congé et de ne pas revenir à l’expiration du congé. Rythmés par la prise de la Bastille, la marche sur Versailles, la fuite à Varennes, les départs des députés des ordres privilégiés s’étaient transformés presque tous en émigrations. Ces émigrés avaient pris les armes avant même la déclaration de guerre. De tous leurs moyens, ils avaient aidé à la constitution d’une armée contre la France du Roi Louis XVI et ils s’étaient renforcés après la chute du trône.
Plus récemment, à la Législative, après l’émeute canalisée du 20 juin 1792, les députés demandent des congés par dizaines. Le 10 juillet 1792, il est décrèté qu’aucun congé ne sera plus accordé car la Patrie est en Danger. Mais cela n’empêche pas les demandes de démission d’affluer. Théoriquement, les refus sont confirmés en bloc par deux fois, les 26 juillet et 14 août 1792. Mais Jaucourt, le futur ministre de Louis XVIII, par exemple, parvient à faire accepter sa démission le 30 juillet.
Contre leur gré, beaucoup restent à l’Assemblée et inaugurent la technique de la résistance passive. Ils boudent les débats et les agitateurs de la gauche.Ils votent cependant avec la droite contitutionnelle. Le 10 août 1792, l’insurrection détruit le trône multiséculaire. Le viol de la Constitution les libère de leur obligation morale de se maintenir à leur poste. C’est la débandade. L’examen de la composition de la Commission Extraordinaire des Douze est à cet égard éloquent. Cette Commission est la plus importante de l’assemblée et compte, pour cette raison, presque tous les chefs de la majorité, illustres à l’époque : Pastoret, Lacépède, Lacuée, Viennot-Vaublanc, Bigot-Préameneu, Muraire, Lémontey, Tardiveau. Du jour au lendemain, ces huit hommes, tous anciens présidents de l’assemblée, personnalités de premier plan, disparaissent dans la nature. Ils déculpabilisent et entraînent dans leur sillage une foule de députés. La peur aidant, tous quittent discrètement et simplement leur poste.Ceux-là sont couverts de mépris par ceux qui restent. Le 26 août, le même Jaucourt, arrêté, invoque dans une lettre l’inviolabilité des députés et implore l’assemblée de le faire libérer. Le président Lacroix passe à l’ordre du jour : “Au moment-même de sa démission, Monsieur Jaucourt a cessé d’être député.” Le même jour, les députés, debouts, prêtent serment : “ Nous jurons de ne pas quitter notre poste à Paris, que nous ne soyon s remplacés par la Convention Nationale!”
Pourtant, en quarante jours, entre 10 août et le 20 septembre 1792, plus de la moitié des députés quitte clandestinement l’Assemblée! Là encore, mais dans une moindre mesure, les députés partants ont rejoint l’émigration ou les provinces en voie de rébellion comme Lyon ou la Vendée. Il n’y a eu que quatorze démissions officielles mais, après le 10 août 1792, il reste environ 300 députés, sur plus de 700 en théorie! Dès le 13 août, pour pallier cet inconvénient, la loi fixe à 200 membres le seuil à partir duquel l’assemblée légifère valablement. De même, la Convention sera déclarée constituée quand elle aura réuni plus de 200 membres. La Convention conserve ce seuil de validité dans son règlement. En réalité, un nombre, inconnu mais important, de décrets sera rendu sans que ce seuil ne soit atteint.
Par ailleurs, les députés de la fin de la Législative ont un sérieux avant-goût de la violence révolutionnaire. Le 2 septembre 1792, la Législative se résoud à envoyer des délégués auprès des assassins qui sévissent dans les prisons. Douze députés, à l’indiscutable courage, partent négocier avec les massacreurs. Ils cherchent à convaincre des hommes payés pour tuer, avinés, débraillés, excités, riant et suant parmi les cadavres, sabres ou piques sanglantes à la main, de mettre fin aux éxécutions. On voit que cette mission était tout sauf paisible. Or neuf des douze sont de futurs Conventionnels et huit de futurs Montagnards : Basire, Lequinio, Soubrany, Calon, Duquesnoy, Chaudron-Roussau, Laplaigne, Audrein. On peut comprendre que ceux qui assument ce genre de risques, qui courent de tels dangers aient ensuite des raisons de se méfier des députés déserteurs et de ne leur manifester aucune pitié.
En ce 21 septembre 1792, l’expérience de la vie parlementaire, acquise depuis 1789, est limitée. Le problème majeur rencontré jusqu’ici est donc celui de l’assiduité. Les précédents de la Constituante et de la Législative préoccupent la Convention. Pour éviter semblable hemorragie, dès le début, la Convention est très attentive à la présence des députés à leur poste. Les difficultés venant, sera suspect celui qui quittera l’assemblée. L’expérience du passé explique pour une part la dureté de la répression.
Mais l’absentéisme va dépasser de beaucoup les prévisions les plus pessimistes. Or combattre l’absentéisme des députés n’est pas aisé. Il faut distinguer celui qui déserte de celui qui s’absente pour une raison valable. La question est tranchée d’autant plus difficilement que les députés s’ingénient à trouver des alibis. Le 16 avril 1793, les absents sans cause sont déclarés démissionnaires, et bientôt ils deviennent suspects. Or la Convention, malgré ses précautions, va accentuer la tendance à la désertion. Le maximum théorique est de l’ordre de 749 députés mais il y a en permanence au moins 100 absences justifiées et une cinquantaine d’absences incompressibles. Dans les premiers mois, la présence des députés aux séances est satisfaisante, notamment lors des votes importants. Les chiffres des scrutins secondaires donnent une idée du nombre de députés en séance. D’après ces informations et compte tenu du fait que les élections à la présidence attiraient peu les députés, la Convention a probablement environ 550 députés régulièrement présents.
Pendant la période montagnarde, le chiffre moyen vraisemblable est de 250 députés. Certains députés contournent l’obligation de présence en apparaissant fugitivement, ainsi, Pénières, Mailhe ou Siéyès, qui touchent leur indemnité et s’esquivent aussitôt. En plusieurs occasions, la Convention a dû légiférer avec moins de 150 membres. Par la suite, le chiffre remonte légèrement à 350 députés environ. Bien que l’essentiel de l’orage soit passé, de nombreux absents se refusent à siéger. Le traumatisme les a décidément marqués.

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