Mobilisation Républicaine, Juillet - Octobre 1795

Par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre

SAINT-MARTIN-VALOGNE

Quel bonheur pour le prétendant au trône en cette fin du mois de juin 1795, de voir encore tant de républicains disparaître de la Convention ! Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, il s’appelle désormais officiellement Louis XVIII : son neveu, le roi Louis XVII, est officiellement mort en prison, au Temple, le 8 juin, pour lui permettre de règner ! Galvanisé, dès le 24 juin, il écrit au pape et annonce le prochain rétablissement de la religion d’état, catholique, apostolique et romaine, de toutes ses propriétés et prérogatives. De Vérone, Louis XVIII lance la proclamation de son avènement : “Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous nos sujets, salut …”
Ses agents s’activent et leurs opérations occultes redoublent d’intensité. De plus, tirant la leçon des divisions de la Convention et de la domination des Royalistes, les puissances étrangères, Angleterre et Autriche en tête, recommencent à croire en l’éventualité d’une prochaine Restauration.Elles financent toutes les manoeuvres des Bourbons, y compris l’achat de députés et le noyautage des sections de la capitale. L’Ancien Régime est décidément pour bientôt !
Les convictions des Conventionnels ont-elles à ce point changé, qu’une Restauration des Bourbons paraisse si proche ? Les Royalistes ont-ils convaincu tous les députés ? Les agents de Louis XVIII ont-ils pu corrompre toute la Convention ? Ce rêve d’une République où tous les hommes seraient solidaires, égaux et dignes, s’est-il évanoui ? La masse de la Convention compte pourtant toujours les mêmes hommes, qui ont condamné Louis XVI à mort, qui ont proclamé la République Une et Indivisible, qui ont repoussé l’invasion des armées des rois d’Europe ! Plus tout à fait, car la Convention s’est beaucoup dépensé, en hommes, en énergie et en idéal.
Or où va-t-elle aujourd’hui ? Un parti semble l’entraîner sans révéler l’essentiel de son projet. Le parti Royaliste domine maintenant la Convention.Il a toutes les caractéristiques du parti Montagnard : des chefs, des courroies de transmission, la cohésion, la parole, la décision et un objectif clair, bien qu’inavoué. Seule la couleur change. La Convention passe du rouge au blanc et la Terreur également.
Le parti Royaliste, extrêmement puissant et oppressif, tient les Comités de la Convention, les nominations, les pouvoirs. A l’extérieur, il a l’appui des journaux, des sections parisiennes, de l’état-major de l’armée de l’Intérieur, de la jeunesse dorée et de ses agents. Son action est en outre relayée dans les départements. Les députés Royalistes de toutes nuances, juchés en haut, à droite de la salle, se sont installés à la place des Vergniaud, Brissot et Lasource, des Pétion, Guadet et Barbaroux. En se rattachant à des grands républicains, les chefs royalistes entretiennent la confusion car ils ne peuvent pas encore se déclarer ouvertement pour la Monarchie. Autour d’eux, vers le bas et le centre, s’est rassemblée une cour de députés aux préoccupations différentes.
Des Thermidoriens cherchent leur protection en cas de Restauration. Des anciens Girondins rejoignent aussi les Royalistes, par conviction ou par réaction. D’autres députés, convertis, ont renoncé à la République qui leur paraît hors d’atteinte.D’autres ont simplement été achetés.D’autres encore s’imaginent qu’il suffit de supprimer les Montagnards, pour qu’aussitôt, la violence disparaisse de la Convention. En outre, les indécis et les muets sont du côté du plus fort.
Face à eux, en haut à gauche, une trentaine de républicains avancés n’osent plus s’appeler ni Montagnards, ni Crêtois, ni Jacobins. Cependant, ils ont le courage d’occuper toujours les bancs où ont siègé Danton, Marat et Robespierre, Billaud-Varenne, Lindet et Cambon. Ils attendent le décret qui peut à tout instant les jeter en prison. De leur coin sombre, ils observent dans un silence morne, la décomposition de la République.
D’autres républicains, plus modérés, Montagnards “acceptables” qui ont donné des gages, ou anciens Montagnards repentis, forment un fort contingent. Pour se démarquer, ils ont insensiblement glissé de banc en banc et occupent la gauche de la salle. Eux peuvent parler sans provoquer les interruptions scandalisées de la Droite. A ceux-là, s’agglomèrent peu à peu des Girondins qui ne désespèrent pas de la République, et des Thermidoriens qui opèrent un nouveau virage.
Tel est le nouveau portrait de la Convention. Après plus de trente mois d’existence, impopulaire, coupée de la population, elle doit faire vite pour éviter un effondrement général. Les administrations, ballottées d’un parti à l’autre, les armées, où la désertion n’est pas réprimée, l’activité économique, bloquée par une inflation démesurée, sont en pleine déliquescence. La guerre de Vendée reprend, les massacres continuent. La France, dont le gouvernement n’est ni stable, ni respecté, s’enfonce dans l’anarchie. Seul point positif au tableau, la formidable coalition européenne est essouflée. La Prusse, la Hollande, l’Espagne, la Toscane, une foule de petits états allemands et italiens signent des traités avec la République Française, enfin reconnue.
A l’assemblée, la violence de la répression finit par diviser ceux mêmes qui sont d’accord sur son principe. Le flot d’accusations, de meurtres légaux, de suicides, donne la nausée et indispose un nombre croissant de députés. Si les députés de Droite ont des scrupules, ils les cachent parce que politiquement, ces éxécutions et ces emprisonnements anéantissent et terrorisent leurs adversaires. Mais des républicains modérés, des Girondins lucides, et même des Thermidoriens, s’interrogent. La personnalité et la mort héroïque des Crêtois, qui se sont passé un couteau de main en main pour échapper à la guillotine, provoque un malaise. Un début de transformation psychologique s’opère sur certains Girondins, revenus à la Convention aigris par l’emprisonnement ou la persécution. Hardy, par exemple, pourtant responsable du suicide de Maure et de l’incarcération de Lindet, rejoint les républicains. De même, le Thermidorien Barras quitte ses amis Royalistes.
A chaque éxécution depuis le début de la Convention, il est d’usage de souiller la mémoire des morts en les traitant de tyrans, de conspirateurs et de contre-révolutionnaires, afin de justifier la décision politique. Or cette fois-ci, les morts sont respectés.Pour se justifier, la Convention invente une nouvelle et ténébreuse faction de l’étranger, qui aurait intrigué et tout manigancé dans l’ombre afin que le sang coulât abondamment !
Comme la mort des Girondins avait entraîné la naissance du parti des Indulgents, la mort des Crêtois donne naissance au parti des républicains. Dès le 23 avril, le Girondin Larévéllière et le Centriste rallié Chénier avaient ouvert la voie en combattant ensemble les Royalistes. Face aux Royalistes, une coalition hétéroclite commence à resserrer les rangs et, à l’été 1795, les classifications d’origine tendent à disparaître. Mais tout contribue à rendre l’entente difficile entre tous les députés de cette coalition républicaine : haines tenaces, buts différents, passé douloureux. La lutte est longtemps indécise.Alors que les Royalistes ont un but clair et unique : obtenir tout ce qui peut faciliter la Restauration, leurs adversaires ont au contraire des objectifs divergents et doivent surmonter leurs haines.

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