Le Blog des Fondateurs

25 aout 1793 – Un jour à la Convention Nationale


GREGOIRE

Le déroulement d’une journée, normalement organisée, comprend la lecture du courrier, d’origines et de motivations très diverses. Ensuite vient la réception des pétitionnaires. Enfin, le travail parlementaire proprement dit avec lecture ou discussion d’un ou plusieurs projets de décret. Donc, l’ordonnancement s’articule autour de trois ensembles : courriers, pétitions, débats.

En réalité, à tout moment, l’imprévu peut intervenir.

 

J’ai choisi un jour parmi plus de mille. Ce dimanche 25 Août 1793 n’est pas une grande date de l’Histoire. Il n’appartient pas aux grandes journées révolutionnaires. A ce titre il peut être représentatif du travail des Conventionnels, à cette période.

ROBESPIERRE, député de Paris, préside depuis le 22 Août pour deux semaines. Il est assisté de six secrétaires : MERLIN DE DOUAI, député du Nord, AMAR, député de l’Isère, Léonard BOURDON, député du Loiret, LAVICOMTERIE, député de Paris, FAYAU, député de Vendée, LAKANAL député de l’Ariège.

Tous ont voté la mort de Louis XVI et contre le sursis.

 

Ce matin là, neuf courriers et adresses sont lus sans encombre et sans grand intérêt. Parmi eux, comme d’habitude à cette époque, on trouve des adresses de ralliement à la Convention de la part de communes ou administrations départementales qui se sont laissé entraîner dans le mouvement fédéraliste et qui se rétractent de leur égarement. Bien. On imagine les Conventionnels gagner leur siège progressivement.

 

Vient ensuite le courrier des Représentants en Mission dans la Somme André DUMONT, député de la Somme, et Joseph LEBON, député du Pas-de Calais, qui s’alarment de la disette croissante. Et déjà, l’attention de l’assemblée est sollicitée et l’inquiétude pénètre dans la salle. En effet, la lettre comprend notamment une phrase anxiogène : « Si la Loi du 4 Mai n’est pas rapportée, la famine ravagera la République ». Cette Loi concerne le prix maximum des grains. Dans un premier temps, la Convention confie à son Comite d’Agriculture le soin de présenter dans les trois jours un rapport sur cette Loi.

 

Ensuite, cinq décrets sont votés sans rapport entre eux. Parmi ces décrets, la Convention complète son Comité de la Marine et des Colonies, sur rapport de MAREC, député néo-royaliste du Finistère, qui a voté pour le bannissement au procès de Louis XVI.

Il faut noter que, des douze membres nommés, huit ont voté dans le sens le plus sévère, deux viennent d’arriver en tant que suppléants et deux enfin ont voté pour le bannissement et le sursis.

Un autre décret, présenté par TALLIEN, député de Seine et Oise, pour le Comité de Sûreté Générale, annule l’article IV du décret du 30 Juillet précédent, et met en liberté le lieutenant-colonel Caire, accusé par le Général Westermann.

Deux choses à noter : d’une part, la Convention est sollicitée sur le sort des individus ; d’autre part, elle se déjuge sans complexe.

Un autre décret l’amène d’ailleurs à se déjuger à nouveau. Laurent LECOINTRE, député de Seine et Oise, relayant la lettre de DUMONT et LEBON, demande et obtient la révision de la Loi du 4 Mai.

 

Là-dessus, est admise une délégation de pétitionnaires, composée de femmes, sœurs et épouses de soldats. Après la réponse attentionnée du Président, Maximilien ROBESPIERRE, leur demande est transmise au Comité des Marchés.

Puis un décret mineur est voté qui concerne la pétition d’un citoyen.

Un autre, très important, présenté par Elie LACOSTE, député de Dordogne, concerne la division territoriale du territoire. Il s’agit de favoriser les districts au détriment des administrations départementales qui ont trop souvent donné dans le fédéralisme, ou soutenu les Girondins insoumis. L’examen de ce décret technique prend sans doute plus d’une heure de temps car il suscite de multiples interventions. MONMAYOU, député du Lot, Gilbert ROMME, député du Puy-de-Dôme, LACROIX, BREARD participent au débat et ROMME fait conclure sagement à un renvoi à trois jours. La Convention se donne du temps ! C’est le seul moment de la journée où l’on s’approche du parlementarisme contemporain.

Est admise ensuite une pétition de Vétérans proposant une mesure radicale (et inapplicable) pour repousser l’ennemi.

Puis surtout, la Convention admet une délégation de dix des quarante huit sections de Paris. Même si c’est un enfant qui présente la pétition, l’attention de l’assemblée est mobilisée. D’une part, la pétition réclame l’éducation gratuite et obligatoire, ce qui est évidemment précurseur. D’autre part, la pétition dénonce l’instruction donnée par les prêtres « au nom d’un soi-disant  Dieu ».

Des Conventionnels s’agitent, murmurent, voire s’indignent : la déchristianisation est encore mal vue par la Convention, mais ce mouvement  porte en germe la laïcité.

 

Vient ensuite la lecture d’une lettre de l’accusateur public du Tribunal Criminel Extraordinaire,  Fouquier-Tinville. Très loin de son image sanguinaire, Fouquier-Tinville se déclare bloqué dans certaines procédures, faute de pièces pour le dossier d’instruction. Les graves affaires du Général Custine, de la reine Marie-Antoinette, de certains des chefs de la faction Girondine, par exemple, n’avancent pas. Fouquier-Tinville se plaint d’être critiqué dans la presse pour sa lenteur alors qu’il n’y est pour rien.

Donc, Fouquier-Tinville, qui ne veut pas être considéré comme modéré, est néanmoins procédurier et, à cette époque, le futur Tribunal Révolutionnaire est fort éloigné de l’abattage, à tous les sens du mot, qu’on lui impute.

Quoi qu’il en soit, AMAR, assure la Convention du « zèle » du Comité de Sûreté Générale auquel il appartient. AMAR explique que ces affaires demandent un soin particulier et que le Comité s’en occupe « sans relâche ». Il désarme ainsi la critique sous-jacente de « modérantisme ».

Curieusement, tout de suite après est admise la pétition d’un citoyen parisien qui dénonce « les longues procédures qu’enfante la chicane ». Sa demande (téléguidée ?), transmise au Comité de Législation, illustre le climat psychologique dominant.

 

Vient ensuite la lecture d’une lettre des Représentants en Mission à l’Armée du Rhin, MILHAUD, député du Cantal, et RUAMPS, député de Charente Inférieure. Les courriers des armées, qui apportent soulagement ou abattement, sont toujours écoutés. En l’occurrence, les nouvelles sont bonnes et la lecture est applaudie : l’Armée du Rhin a résisté victorieusement depuis le 19 Août pendant trois jours sur les lignes de Wissembourg.

A noter que le courrier fait l’apologie du Général d’Arlandes de Salton qui, au moment de la lecture, est déjà passé du côté des Prussiens.

Dans le même ordre d’idées, le Général Leclerc de Landremont, lui aussi cité en bien dans cette lettre, nommé Général en Chef le 18 Août par les mêmes MILHAUD et RUAMPS, sera suspendu le 29 Septembre et finalement emprisonné le 4 Octobre pour près d’un an.

La Loi des Suspects qui vise notamment à neutraliser les ex-Nobles, n’est plus éloignée…

Pour l’anecdote, citons un extrait de la lettre : « Il faut absolument chasser du sein de la République les riches égoïstes…Il faut confisquer tous leurs biens au profit de la République. » Le piquant vient du fait que le signataire ultra-communiste MILHAUD est bien le futur Comte d’Empire, Général de cavalerie, gorgé d’or par Napoléon, complice du coup d’Etat du 19 Brumaire !

 

A ce stade, la Convention a atteint le milieu de la journée. Son attention a été mobilisée sur une multitude de sujets. Mais beaucoup reste à faire…

 

Après deux courriers d’intérêt mineur lus à la tribune, est admise une délégation des Assemblées Primaires, venus de tous les départements pour signifier leur soutien à la Convention le 10 Août et proclamer la Constitution, connue dans l’Histoire sous le nom de Montagnarde ou de l’An I. Les délégués présents à Paris depuis deux semaines au nombre de près de plusieurs milliers annoncent enfin leur retour dans leurs foyers au grand soulagement des Conventionnels. Leur présence couteuse a en effet occasionné des troubles et un surcroît de surenchère politique.

Remarquable est la réponse du Président ROBESPIERRE qui, élu avec deux cent vingt quatre voix de députés, déclare sans crainte: « …dites surtout à vos concitoyens que vous avez vu ici six cents hommes qui mourront à leur poste… ». Le Président et l’orateur de la délégation se donnent l’accolade fraternelle sous les applaudissements.

 

Suit immédiatement après une autre délégation provenant d’une section de Paris qui réclame le maintien de la Convention jusqu’à la paix.

Or la Constitution proclamée entraîne le remplacement automatique de l’assemblée. Cette demande revêt donc un caractère sacrilège clairement anticonstitutionnel. La Convention tranchera la question le 10 Octobre en décrétant le Gouvernement Révolutionnaire ; dans l’immédiat, la réponse du Président se ressent de la délicatesse du sujet : « Nous engager à ne point quitter notre poste est la preuve d’estime la plus sensible… » Le Président, prudent, élude mais, pour la première fois, la question se pose dramatiquement.

 

Deux courriers mineurs suivent puis une pétition est présentée par la commune de Guerner qui se plaint de l’inconduite du curé de la paroisse ( !). La pétition est renvoyée au Comité de Sûreté Générale. Par cet exemple, on voit que la Convention, au risque du ridicule et d’un gaspillage de temps inouï, prête attention aux moindres soucis du moindre citoyen.

 

Sept décrets sont ensuite votés, les deux premiers sur les subsistances qui, avec la situation militaire, forment les deux crises conjoncturelles majeures.

Le premier, présenté par BARERE, député des Hautes Pyrénées, membre du Comité de Salut Public, impute la disette aux « malveillants » qui veulent « empêcher les subsistances d’arriver à Paris. Ils se servent pour cela de la Loi du 1er Juillet ( !) »

En bref, cette Loi, qui complétait la Loi du 4 Mai, établissait une sorte de droit de réquisition aux mains des départements et des districts. BARERE juge ses effets négatifs aujourd’hui. Mais pour faire passer son abrogation, il met en cause des malveillants anonymes. Votée par la Convention le 1er Juillet, cette Loi est donc rapportée le 25 Août, cinquante cinq jours après. Cependant, le droit de réquisition appartient désormais au Conseil Exécutif, donc à la Convention. Nouvelle illustration des errements.

Le second, présenté par TALLIEN, vise à satisfaire la municipalité de Paris et sa population (ainsi que sa propre popularité).

Pour ce faire, il soutient BARERE, son futur ennemi de l’An III, attaque lui aussi les « malveillants » qu’il situe notamment dans le Comité d’Agriculture dont « tous les membres qui le composent sont des hommes qui ont du blé à vendre ». TALLIEN demande et obtient le renouvellement pour le lendemain de ce Comité ainsi que l’approvisionnement de Paris par réquisitions, comme c’est le cas pour les armées et les place fortes.

Cette sortie violente, ce climat pesant, doivent agiter désagréablement certains Conventionnels.

Un autre décret nomme BREARD, député de Charente Inférieure, et TREHOUART, député suppléant d’Ille et Vilaine, qui vient d’être admis, comme Représentants en Mission dans les ports militaires de Brest et Lorient, pour mettre fin à l’indiscipline, aux sabotages et aux trahisons.

BARERE : « Le comité a pensé qu’il fallait nommer à cet effet deux membres de la Convention, connaisseurs en marine, et qui eussent de la fermeté ».

La fermeté se mesure au vote dans le procès de Louis XVI.

Ensuite, un décret présenté par HERAULT DE SECHELLES, député de Seine et Oise, membre du Comité de Salut Public, nomme SIMOND, député du Bas Rhin, et DUMAZ, député du Mont Blanc (les deux Savoies), admis après l’annexion en Avril précédent, Représentants en Mission auprès de l’Armée des Alpes. Là aussi, la situation préoccupe la Convention : la Savoie est envahie par l’armée piémontaise. Mais ce n’est pas tout !

HERAULT DE SECHELLES : « Le mal est venu de ce que l’armée a été obligée de se porter en partie sur Lyon. ». Et en effet, la révolte de la ville de Lyon préoccupe simultanément les Conventionnels. Comment déterminer une priorité dans ce choc des urgences ?

A cet instant, un Conventionnel moyen a de quoi douter de l’avenir.

Ce décret donne lieu d’autre part à un accrochage puisque DUHEM, député du Nord, demande maladroitement l’ajournement au motif que ce département ne mérite pas d’être secouru et doit être abandonné. TALLIEN intervient vivement : « Quoi ! C’est un Montagnard qui a fait cette motion. Elle est bien digne de l’aristocrate le plus raffiné. » Les deux députés se retrouveront à nouveau face à face en l’An III, avec cette fois TALLIEN dans le rôle de l’aristocrate.

Suit un décret plus reposant sur la création d’une fonderie de canons.

Puis un projet présenté par Laurent LECOINTRE au nom du Comité de la Guerre est repoussé par la Convention qui reconnaît pertinentes les objections de LACROIX, député d’Eure et Loir. Le débat a montré que la Convention veut décidément s’orienter vers une armée dépourvue de privilèges d’aucune sorte.

On voit qu’un rapporteur peut échouer et que la popularité de LACROIX, ancien Président de la Législative sans roi, n’est pas éteinte.

 

Arrive le premier épisode du scandale de la Compagnie des Indes. JULIEN DE TOULOUSE, député de Haute Garonne, dénonce cette Compagnie « dont le nom seul rappelle l’Ancien Régime » pour avoir prêté à Louis XVI des sommes considérables afin de défendre le Trône. La Convention décrète que JULLIEN sera adjoint à la Commission des Cinq chargée de la liquidation de cette Compagnie.

 

D’autres courriers et adresses, une dizaine en tout, ont été lues en séance mais la chronologie de ces lectures est perdue.

L’un d’entre eux émane du Commandant de Dunkerque qui flatte la conduite du Général de Carrion de Loscondes à Bergues pour avoir répondu aux Anglais assiégeants que, comme républicain, il préférait mourir que de se rendre. A noter que ce général offrira sa démission dès le 21 Septembre, sera suspendu le 4 Octobre et placé en maison d’arrêt pendant huit mois à partir de Décembre.

Un autre courrier retient l’attention ; le Ministre de la Justice résume un fait divers intervenu dans un théâtre à Bordeaux. Le 17 Juin, un spectateur a crié : « Vive Louis XVII ! ». Toute une procédure s’est enclenchée pendant laquelle le perturbateur a été recherché. Des citoyens ont été arrêtés puis relâchés. Comme la Convention avait décrété le 6 Juillet que le Ministre lui rendrait compte, ce dernier s’acquitte de sa tâche. Quelle perte de temps !

 

La séance est levée à quatre heures et demie. Ce jour-là, il n’y a pas de séance du soir. Décidément, c’est une journée calme.

 

Que dire de ce survol d’une journée à la Convention Nationale ?

On voit d’abord que le ridicule menace. Vue du XXIème siècle, on ne peut pas concevoir qu’une assemblée souveraine composée de plus de sept cents membres en théorie consacre du temps à ce qui relève du fait-divers, voire de la plaisanterie. Il semble que les Conventionnels en aient eu conscience puisqu’ils transmettent ce genre d’affaires aux Comités concernés aussi vite que possible. Mais il faut y voir aussi peut-être leur souci de ne pas paraître indifférents aux maux qui accablent les citoyens, quelle qu’en soit la nature. Politique ou sincère, ce dévouement mérite d’être noté.

 

On constate également une inorganisation frappante dans le déroulement de la séance. Tout s’enchevêtre et s’interrompt sans cesse. Tels pétitionnaires peuvent interrompre la séance au milieu d’un débat ou de l’examen d’un projet de décret. Les sujets abordés sont innombrables et touchent tous les domaines. Sans doute, la Convention a cherché à remédier à cette situation, mais sans jamais la maîtriser. Les Conventionnels s’épuisent en séance chaotiques. Au plan technique également, la Convention forme un laboratoire de la vie parlementaire.

 

Plus grave, les trahisons se succèdent sans interruption. A cette date, les généraux sont encore presque tous des ex-Nobles. Insidieusement se profile l’ombre noire de la Terreur. Le soupçon devient le quotidien des Conventionnels. A ce jour, deux d’entre eux ont déjà été assassinés : LEPELLETIER DE SAINT-FARGEAU et MARAT . Malgré ce « stress » croissant, la Convention poursuit sa route.

 

Enfin, de tous les intervenants du 25 Août présents au procès de Louis XVI, un seul n’a pas voté la mort. On peut en conclure que le régicide est à l’époque une forme de brevet qui donne accès à la parole, aux missions, aux postes de secrétaire, de président, de membres des Comités de Sûreté Générale et de Salut Public. Or on compte moins de quatre cents régicides à l’origine. Plus de cent sont en mission aux armées ou dans les départements. Une cinquantaine de députés régicides est proscrite. Il reste moins de deux cent cinquante députés pour animer la Convention Nationale… et défendre la République.

A l’époque du 25 Août 1793, la Convention fonctionne sans la participation d’une grosse moitié de ses membres.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.