Le Blog des Fondateurs

Sacrilège


COLLOT-DHERBOIS

Les épouvantables évènements récents renvoient aux principes fondateurs de notre République, notamment la Liberté d’expression, l’Education  et la Laïcité. La République esté ébranlée par le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo. Les autres attentats, aussi abominables qu’ils soient, n’ont pas le même impact. L’antisémitisme des assassins avait, hélas, fait déjà d’autres victimes.

 

Mais avec l’assassinat de talents créatifs, de dessinateurs impertinents, d’artistes inoffensifs, de célébrités aussi, peu ou pas protégées d’ailleurs, les meurtriers s’attaquent au  totem républicain de la liberté et commettent un sacrilège. C’est la première fois depuis près de 250 ans qu’on tue en France au nom d’une religion, depuis les meurtres judiciaires de Callas en 1762, du Chevalier de la Barre en 1766.  Comme alors, un prétendu blasphème motive l’horreur.

 

Tant de questions fusent désormais sur la Liberté, la place des religions, les valeurs républicaines communes, l’intégration. Tant mieux si une prise de conscience émerge de ce désastre, si ces principes républicains, trop souvent mollement revendiqués et défendus, regagnent leur vigueur d’origine.

 

De quoi s’agit-il  à l’époque de la Convention ?

Les Conventionnels sont marqués par la terrible guerre de Vendée, par les atrocités commises par les Vendéens au nom de Dieu et pour la défense du Roi Très Chrétien. L’Armée Catholique et Royale exerce sur le territoire qu’elle contrôle un pouvoir barbare. Les prêtres réfractaires jouent un rôle d’incendiaires auprès de populations superstitieuses et très majoritairement analphabètes. Le pouvoir absolu des prêtres impose partout où il s’installe l’adhésion à leur foi, leur dogme, leurs croyances.

Après deux ans de guerre civile, un répression inouïe et la victoire finale des républicains, la Convention veut rassembler la Nation et panser les plaies.

Cependant, sa politique n’a rien d’angélique en ce qu’elle identifie les responsabilités : une religion dominante aux  innombrables affidés guidés par des chefs intéressés au maintien de l’ignorance.

 

Ce constat établi et largement partagé, Cambon, député de l’Hérault, lance une première salve au nom du Comité des finances et fait décréter le 18 Septembre 1794. « La République Française ne paie plus les frais ni les salaires d’aucun culte. »

Surtout, le 21 Février 1795, au nom des trois plus influents Comités de la Convention, Salut Public, Sûreté Générale et Législation, Boissy d’Anglas, député protestant de l’Ardèche, applique le principe de laïcité et établit la Séparation des Eglises et de l’Etat. L’expression n’est pas employée mais la chose naît ce jour-là. Il n’est question officiellement que de « police des cultes ».

D’abord, sans surprise, Boissy d’Anglas rappelle la guerre de Vendée.

« Vous avez gémi trop longtemps des maux affreux de la Vendée. (…) Le fanatisme en fut le mobile, les opinions religieuses l’occasion et le prétexte. On égara les hommes pour les perdre. On les persécuta pour les rendre cruels et féroces. (…) On veut armer les citoyens contre les citoyens, et les Français contre les Français, et condamner une partie de la France à être la victime des  erreurs ou du ressentiment de l’autre. »

Quelle résonance en ce mois de Janvier 2015 !

Boissy d’Anglas continue et développe les leçons à en tirer : « On fait cette injure au Dix-Huitième siècle de croire qu’il puisse être encore souillé par une guerre de religion. (…) Le Législateur (…) doit contempler avec calme les agitations qui sont nées des opinions religieuses et leur influence terrible sur le sort de l’espèce humaine. »

Boissy d’Anglas dénonce « les maux affreux dont la religion a été la source. » mais il table sur « le temps », « l’expérience » et « la philosophie » pour lutter contre les « opinions surnaturelles » ; « Il n’y a que la raison seule qui puisse triompher de l’erreur. »

Boissy d’Anglas indique un premier remède : « Vous l’avez expulsée [la religion] à jamais de votre organisation politique. (…) Citoyens, le culte a été banni du gouvernement, il n’y rentrera plus. »

Puis un second ; « Vous avez organisé l’instruction publique, et c’est l’instruction qui peut seule, en développant la raison, renverser les préjugés et les erreurs. »

Mais cela ne suffit pas car la Convention sait qu’il y a urgence.

Boissy d’Anglas dresse du péril un  portrait étonnamment actuel ; « C’est dans les lieux sombres et déserts, où les hommes religieux se retirent (…), qu’ils ouvrent leurs âmes à ces affections lugubres qui la plongent dans une habitude de démence et de férocité, qu’on appelle fanatisme. (…) Il faut des martyrs à la religion. »

Bref, l’Etat doit se défendre et contrôler les assemblées cultuelles.

« les cultes, quels qu’ils soient, n’auront de vous aucune préférence. (…) ne considérant la religion que comme une opinion privée. (…) Les édifices publics ne peuvent être prêtés à aucune secte. (…) Votre police doit s’étendre sur la morale qui sera répandue dans les assemblées destinées aux cérémonies d’un culte particulier ; cette morale ne doit jamais être en opposition avec les lois de l’Etat, avec les principes du gouvernement. (…) Les cris séditieux seront punis, soit qu’ils s’échappent de la bouche des prêtres, des sectaires, des fanatiques, (…) »

Que peut-on dire de plus aujourd’hui quand cet aspect des choses revient dramatiquement au premier plan ? Il faut avoir à l’esprit que cette Loi du 21 Février 1795 exige plus des religions que la fameuse Loi de 1905. Les Articles V et VII proscrivent l’usage en public des «habits, ornements et costumes affectés à des cérémonies religieuses. »

Mais surtout, l’Article VI mérite d’être cité intégralement : « Tout rassemblement de citoyens pour l’exercice d’un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées. Cette surveillance se renferme dans des mesures de police et de sûreté publique. »

Aujourd’hui, le défaut de « police des cultes » s’est fait cruellement sentir. Les imams fondamentalistes remplacent les prêtres fanatiques d’hier. Daech travaille sur le même terrain d’ignorance que l’Armée Catholique et Royale. Une théocratie contrôle un territoire entier. Des financements extérieurs parviennent en France à des prédicateurs malfaisants. Au delà du difficile arrière-plan social et éducatif, qui méritent attention et efforts dans la durée, la République doit sans délai repérer ses ennemis et savoir ce qu’ils trament. Sans doute, la liberté individuelle ne doit pas en pâtir. Mais, compte tenu des évènements récents, pourquoi renoncer a priori à une police des cultes qui opèrerait notamment dans certaines prisons et mosquées ?

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