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Le panache : de la fiction et à la réalité


10-MESSIDOR

Il est des rencontres étonnantes entre la fiction et la réalité historique. Ainsi, Edmond Rostand a créé en 1897 le personnage de Cyrano de Bergerac sans se douter que certains traits de caractère de son héros fictif (même si le personnage a existé) pouvaient dépeindre un homme réel qui a vécu de 1749 à 1813, le Conventionnel JEAN BON SAINT ANDRE.

Cyrano de Bergerac, dans la pièce éponyme, Acte I, Scène IV, se trouve confronté à des moqueries sur son accoutrement de la part d’un Vicomte. Il faut ici citer quelques vers de Rostand.

Le Vicomte : « Ces grands airs arrogants ! Un hobereau qui…qui… n’a même pas de gants ! Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses !

Cyrano : Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances. (…) Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise, Empanaché d’indépendance et de franchise. (…) Je fais en traversant les groupes et les ronds sonner les vérités comme des éperons. »

Or dans ses Mémoires, le Comte Beugnot détaille une scène à la cour de Napoléon dans laquelle JEAN BON SAINT ANDRE tient le rôle de Cyrano. Beugnot n’est pas suspect de partialité : il était royaliste constitutionnel quand JEAN BON SAINT ANDRE votait la mort de Louis XVI. La scène se déroule à Mayence, à l’été 1813.

« Le salon de service était peuplé, d’aides de camp, de chambellans, d’officiers d’ordonnance, de secrétaires, distingués entre eux par des habits plus ou moins riches et d’une élégance recherchée. (…) Le vieux Conventionnel faisait tache au milieu du tableau avec son costume de préfet le plus modeste possible (…) et le reste de son habillement en noir (…) Il avait éprouvé plus d’une fois à ce sujet les aimables moqueries de la bande dorée (…) Il leur répondit avec un sang-froid qui ajoutait à la puissance du discours :

« J’admire en vérité que vous ayez le courage de vous occuper de mon costume et de la couleur de mes bas, le jour où je dois dîner avec l’Empereur et l’Impératrice. (…) Je n’aurais pas sitôt le dos tourné que vous direz : « En vérité, on ne conçoit pas l’Empereur de faire dîner avec (…) la nouvelle Impératrice, un Conventionnel, un votant, un collègue de Robespierre au Comité de Salut Public, et qui pue le Jacobin une lieue à la ronde. » (…) L’Europe était alors conjurée contre la France, comme elle l’est aujourd’hui. Elle voulait nous écraser (…) Eh bien, les rois en ont eu le démenti ; nous avons dégagé le territoire et reporté chez eux la guerre d’invasion. (…) Nous avons (…) forcé ces mêmes rois à venir humblement nous demander la paix. Savez-vous quel gouvernement a obtenu ou préparé de tels résultats ? Un gouvernement composé de Conventionnels, de Jacobins forcenés, coiffés de bonnets rouges, habillés de laine grossière, des sabots aux pieds (…) et qui se jetaient sur des matelas étalés par terre dans le lieu de leurs séances quand ils succombaient à l’excès de la fatigue et des veilles. Voilà quels hommes ont sauvé la France. J’en étais, messieurs, et ici, comme dans l’appartement de l’Empereur où je vais entrer, je le tiens à gloire. (…) Au surplus, attendons quelque temps : la fortune est capricieuse de sa nature. Elle a élevé la France bien haut ; elle peut tôt ou tard la faire descendre, qui sait ? aussi bas qu’en 1793. Alors on verra si on la sauvera par des moyens anodins, et ce qu’y feront des plaques, des broderies, des plumes et surtout des bas de soie blancs. »

JEAN BON SAINT ANDRE, dans cette tirade, fait immanquablement penser à Cyrano et montre un panache admirable. Il peut se le permettre, par ce qu’il a vécu et par ce qu’il a accompli dans l’Histoire. De plus, tel Cyrano qui se sacrifie pour Roxane, il se sacrifie pour les soldats français. Son dévouement le mène en effet à la mort quelque mois plus tard en soignant les blessés contagieux de retour de la gigantesque bataille de Leipzig, qui sonne le glas de la dictature impériale. Malgré les bas de soie blancs.

 

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