Le Blog des Fondateurs

La mauvaise réputation de 1793


12-FRUCTIDOR

A propos d’un conflit social à Air France, l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy s’illustre à nouveau par son sens de la nuance. Je cite, après avoir dénoncé la « chienlit » et « le délitement de l’Etat », « ON N’EST PAS EN 1793. On ne peut pas accepter que deux dirigeants soient au bord de se faire lyncher…» Pour Nicolas Sarkozy, l’année 1793 est donc synonyme de chienlit, délitement de l’Etat et lynchage. Il relaie ainsi la vulgate réactionnaire dominante depuis plus de deux siècles. Voyons cela de plus près.

Indiscutablement, l’année 1793 a peu à voir avec un long fleuve tranquille. Près de soixante administrations départementales en rupture avec la Convention Nationale, seul pouvoir légitime, une dizaine de départements de l’Ouest soulevés contre Paris, des villes comme Marseille, Lyon, Toulon, Bordeaux en révolte, une vingtaine de puissances européennes dont l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche, l’Espagne, coalisées pour se partager la France, des trahisons innombrables au plus haut niveau, sont des éléments de nature à créer le désordre et la pagaille. Pourtant, au 31 Décembre 1793, la chienlit a, pour l’essentiel, disparu. Globalement, la Convention a neutralisé les différentes menaces. Sans doute, la République paie le prix fort et la Convention elle-même crée des martyrs en son sein. Mais les faits sont têtus : la République est sauvée. Donc chienlit ? Oui, mais provisoirement, jusqu’au rétablissement d’un pouvoir fort, perçu rapidement comme trop fort d’ailleurs.

En parlant de lynchage, Nicolas Sarkozy ne pense certainement pas au journées des 2 Juin et 5 Septembre 1793, journées pendant lesquelles une partie du peuple parisien (ou de la populace selon sa vision des choses) impose des décisions à la Convention. Lors de ces journées critiques, aucun mort à déplorer. Peut-être pense-t-il aux jugements expéditifs du Tribunal Révolutionnaire ou aux décisions des commissions militaires, juridictions qui illustrent par leur indéfendable sévérité, l’exaspération des responsables politiques d’alors. Mais aussi atroces qu’aient été certains jugements, il y a eu jugement et pas lynchage.
Le terme de lynchage correspond peut-être au sort du député de Corrèze, CHAMBON. Peut-être, dans la mesure où il était proscrit, en fuite et condamné à mort. Mis hors la loi par la Convention le 18 Juillet 1793, il fut tué le 20 Novembre 1793. En revanche, il correspond tout à fait au député FERAUD, élu des Hautes Pyrénées, massacré par la foule, à Paris mais beaucoup plus tard, le 20 Mai 1795.
Toutes sortes de violences interviennent en 1793 mais peu de lynchages proprement dits.

Enfin, en matière de « délitement de l’Etat », Nicolas Sarkozy se trompe à deux niveaux. D’abord, l’établissement du Gouvernement Révolutionnaire, avec le Comité de Salut Public à sa tête, traduit tout sauf du délitement. Ensuite, la Constitution de l’An I, peut-être inapplicable, montre en tous cas le souci des fondateurs de la République de fixer un cadre institutionnel démocratique.
Alors pourquoi tant de haine sur 1793 ? Il s’agit toujours de jeter le discrédit sur l’année décisive de la fondation de la République. C’est d’autant plus regrettable de la part d’un ancien président.

One thought on “La mauvaise réputation de 1793”

Répondre à Robert Dupanloup Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.