Le Blog des Fondateurs

Deux listes de 17 conventionnels face à face


GENSONNE

Au 20 Brumaire An VII (10 Novembre 1799), dix sept ex-Conventionnels sont compris dans la proscription qui frappe les députés opposants au Coup d’Etat. Dix sept ex-Conventionnels, complices du Coup d’Etat, proscrivent (entre autres) dix-sept de leurs anciens collègues.

Qui trouve-t-on dans ces listes ?

Parmi les opposants, à part GARRAU et LESAGE-SENAULT, ex-Montagnards passés à travers les mailles des répressions, beaucoup appartenaient à la Gironde modérée mais républicaine tels FRONTON-DUPLANTIER, QUIROT, POULLAIN-GRANDPREY, BERTRAND-LHODIESNIERE. D’autres siégeaient dans le Marais à la Convention avant de se révéler tardivement franchement républicains comme LEGOT et BORDAS par exemple.

Enfin, notons la présence surprenante d’ex Thermidoriens. Leurs positions étaient évolutives, voire opportunistes, à la Convention. Aujourd’hui, ils font face. GOUPILLEAU-MONTAIGU est de ceux-là.

Presque tous sont harcelés, voire persécutés, à partir du Coup d’Etat. Tous sont espionnés. Treize sur dix-sept rentrent dans la vie privée, dont TALOT  et BERTRAND-LHODIESNIERE, qui refusent avec hauteur toutes les propositions de postes, grades et gratifications. Plusieurs (5) sont mis en résidence surveillée ou condamnés à l’exil intérieur. D’autres (4) sont arrêtés et séjournent en prison. Plusieurs cumulent peines et vexations.

 

Mais nécessité fait loi pour ceux (4) qui n’ont pas les revenus ou le patrimoine qui auraient permis de conserver toute sa dignité. BORDAS rentre au Ministère de la Justice, LEGOT dans l’administration fiscale, GARRAU dans l’Armée. L’exemple le plus frappant est celui de JOUBERT de l’Hérault, qui à peine proscrit, fait allégeance et obtient un poste modeste dans l’administration militaire. « Les citoyens qui en sont chargés (du Gouvernement Provisoire-NDR) offrent aux Républicains une garantie irrécusable ». Cette humiliation ne lui porte pas bonheur. Il meurt après deux mois d’agonie en 1812 lors de la retraite de Russie.

 

Ceux qui se sont opposés au 19 Brumaire méritent en tous cas le respect. Notons que ne figure parmi eux aucun personnage de premier plan. Mais ces hommes se sont battus sans espoir pour la Liberté, invoquant la Loi devant les bayonnettes de Bonaparte. En outre, à la persécution du Consulat et de l’Empire a succédé pour beaucoup celle de la Restauration. Leur vie à tous a basculé ce 19 Brumaire. Aucun d’entre eux ne vivra l’avènement de la IIè République.

 

Les dix sept ex-Conventionnels complices du Coup d’Etat forment eux un groupe plus diversifié. Notons tout d’abord que des célébrités de l’époque et encore de nos jours figurent parmi eux. Ils ont en effet occupé des postes importants avant le 19 Brumaire.

A la Convention, sept ont été membres du Comité de Salut Public, trois du Comité de Sûreté générale, quatre du comité de Législation et deux de la Commission des Onze (qui a préparé la Constitution de l’An III). Surtout, cinq ont eu l’immense responsabilité de présider la Convention (CHENIER, DAUNOU, MATHIEU, LALOY et VERNIER).

Ensuite, là aussi, observons que leur positions politiques ont été très diverses. Par exemple, lors du Procès de Louis XVI, quatre avaient voté pour l’extrême sévérité, sept avaient choisi les votes les plus indulgents, deux avaient opté pour des votes intermédiaires. Quatre ne siégeaient pas encore en Janvier 1793.

Notons enfin que cinq d’entre eux ont favorisé et soutenu le Coup d’Etat du 18 Fructidor An V (4 Septembre 1797) qui avait neutralisé la menace Royaliste sous le Directoire. Ils ont eu alors le courage de se compromettre contre le pouvoir personnel.

Arrive le 20 Brumaire auquel ils prêtent main forte. En récompense de leurs services, sept complices rentrent au Tribunat, cinq au Sénat, quatre au Corps Législatif, un devient Préfet. Bien.

Mais les choses se compliquent et l’épuration commence. Des sept complices membres du Tribunat, six sont exclus en 1802, le septième en 1804 ! Des quatre complices membres du Corps Législatif, l’un est exclus en 1802, un deuxième en 1803, un troisième en 1806 ! Les cinq complices membres du Sénat sont plus dociles : un seul est disgracié en 1808. Au total, onze complices sur dix-sept déplaisent au fil du temps au nouveau pouvoir. Quelques uns s’humilient encore d’avantage et reviennent en grâce comme CHAZAL (Préfet) ou GIROT-POUZOL (Sous-Préfet). Mais d’autres, à leur tour – hélas, trop tard – s’enveloppent dans leur manteau et rentrent dans la vie privée. Cela dit, ils ne sont pas persécutés comme les opposants au 19 Brumaire. Les plus serviles conservent leurs charges et deviennent Chevaliers (deux), Barons (deux) ou Comtes d’Empire (quatre). Deux de ces « fondateurs » puis fossoyeurs de la République seront même Pairs de France sous Louis XVIII !

 

Que conclure ? D’abord que de nombreux complices du Coup d’Etat, pourtant a priori bien informés, ont été victimes d’un formidable mirage politique. Que des hommes comme CHENIER, DAUNOU, LALOY et MATHIEU aient pu croire que Bonaparte préserverait les libertés si chèrement acquises montre qu’avant d’être Empereur, Napoléon était déjà roi de la propagande. Que Bonaparte a su diviser les Républicains pour installer sa dictature. Qu’au fil des années, il a proscrit la moindre velléité d’indépendance d’esprit. Qu’enfin, ceux qui sont restés « sages », couverts d’or et de broderies, ne lui ont été d’aucune utilité le moment venu où le courage et l’énergie étaient si nécessaires, en 1813.

Les grands Conventionnels manquaient tous à l’appel.

 

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